La décision rendue le 3 novembre 2025 par le tribunal administratif de Rennes fait les gros titres : « annulation partielle du RLPi », « camouflet pour Rennes Métropole », « le retour des grands panneaux publicitaires ». La réalité est plus nuancée. Derrière les formules rapides, une bataille juridique et politique se joue autour d’un choix assumé par la municipalité : reprendre l’espace public aux logiques marchandes et réduire l’emprise publicitaire sur le paysage urbain et mental.
Loin de sonner la fin du règlement local de publicité intercommunal (RLPi), le jugement confirme au contraire l’essentiel de sa philosophie : protéger les centres-villes, les quartiers résidentiels, les secteurs patrimoniaux, et limiter la prolifération des écrans numériques. Ce sont seulement certaines restrictions jugées trop vastes ou insuffisamment justifiées qui ont été retoquées pour les zones d’activités situées en périphérie. Une « victoire à 80 % », selon un élu écologiste rennais.
Un principe maintenu : moins de pub là où l’on vit, circule et habite
Le tribunal l’a rappelé avec force : une collectivité peut limiter l’affichage publicitaire au nom de la protection du cadre de vie, à condition que ces limites restent proportionnées et « territorialement adaptées ». Ce contrôle de proportionnalité est la clef du jugement. Autrement dit : la ville de Rennes a gagné sur le fond. Le juge n’a pas censuré la philosophie anti-pub, mais une partie de son application technique.
Ce qui a été censuré : des restrictions trop globales dans les zones d’activités
Pour les zones périphériques – loin des quartiers d’habitation – le tribunal a estimé que la Métropole était allée trop loin dans l’interdiction générale de certains formats :
- Formats standards et grands panneaux 8 m² : interdiction totale jugée excessive → devront être à nouveau possibles dans les zones d’activités.
- Publicité numérique limitée à 2 m² : revient à l’interdire → disproportionné.
- Supports scellés au sol : leur interdiction sur les grands axes routiers intra-rocade n’est pas justifiée par un enjeu de “cadre de vie”.
Le RLPi n’est donc pas annulé, il est reconfiguré : à Rennes centre, dans les faubourgs, dans les lieux de vie, la limitation demeure. En périphérie, certains formats devront être de nouveau autorisés.
Mais nul retour d’immenses panneaux 4×3 en centre-ville, contrairement à ce que certains titres laissent entendre.
Une décision attendue… et intégrée dans la stratégie municipale
Depuis la présentation du RLPi en 2022, la majorité rennaise savait qu’un face-à-face juridique aurait lieu. Les afficheurs nationaux (JCDecaux, Exterion, Clear Channel…) ont attaqué tous les RLP restrictifs de France. Trois décisions dans la même journée (Rennes, Ploemeur, Lanester) confirment une chose : la bataille se mène ville par ville, mais le mouvement de fond est irréversible. Car au-delà du droit, le sujet est politique et culturel : Quel droit les collectivités ont-elles de protéger le paysage, la sobriété énergétique, l’attention visuelle des habitants ? Rennes fait partie des villes pionnières — avec Grenoble, Nantes, Lyon, Paris — qui posent la question de l’écologie mentale : limiter l’occupation marchande des murs, du ciel, des trottoirs, et réduire le matraquage visuel des écrans lumineux.
Prochaine étape : réviser, affiner… et tenir la ligne politique
Trois voies s’ouvrent désormais :
- Faire appel devant la cour administrative d’appel de Nantes (délai : 2 mois) – possible si la Métropole veut défendre certains points censurés.
- Réviser le RLPi de manière ciblée : réécrire seulement les parties retoquées, sans toucher à la logique générale.
- Donner des consignes transitoires aux afficheurs : car rien ne revient automatiquement, les sociétés devront redéposer des demandes d’autorisation.
Dans les faits, la publicité ne va pas “revenir en masse” demain. Elle pourrait revenir partiellement, lentement, sur dépôt de dossiers, dans les seules zones d’activités et sous contrôle, puisque chaque implantation restera soumise au droit commun de la publicité extérieure et au futur calibrage du RLPi par la métropole. Autrement dit : une victoire partielle des afficheurs, mais non une défaite de la sobriété visuelle.
Pourquoi ce combat reste populaire à Rennes
Selon les consultations menées en 2021-2022, une large majorité d’habitants se dit favorables à une réduction de la publicité, en particulier des écrans lumineux, souvent perçus comme agressifs, énergivores, intrusifs.
Les arguments avancés par la municipalité restent inchangés et partagés par une large majorité des Rennais :
- réduire l’empreinte énergétique des dispositifs lumineux,
- protéger le patrimoine visuel et l’architecture des rues,
- préserver l’attention, l’enfance, le droit au répit visuel,
- limiter la captation commerciale de l’espace public,
- favoriser l’affichage culturel, associatif, et artistique.
« Moins de pub, plus de culture » : ce slogan résumé par les élus écologistes reste heureusement au cœur de la politique rennaise.
Une bataille juridique, mais surtout un choix de société
L’annulation partielle du 3 novembre 2025 n’est pas un recul idéologique, mais un ajustement technique imposé par le droit administratif. Le cap reste intact : diminuer l’invasion publicitaire, défendre un espace public respirable, lisible, commun. Dans un contexte où la publicité se dématérialise, se personnalise, s’infiltre par les écrans, les vitrines numériques, les smartphones, l’enjeu dépasse largement la taille des panneaux. Ce que Rennes défend, c’est une idée simple : la ville n’est pas un support publicitaire comme un autre. Et ce combat, loin d’être terminé, gagne chaque année de nouveaux alliés.
