L’inter-organisation de soutien aux personnes exilées appelait à manifester samedi 15 janvier 2022 à Rennes, esplanade Charles de Gaulle. L’objectif était d’attirer l’attention sur le sort d’une centaine de personnes sans logement, parmi lesquelles des familles et des enfants, ballottés entre les hébergements précaires et temporaires depuis des mois. Dans la foulée du rassemblement de samedi, des militants ont organisé l’occupation d’un gymnase du quartier La Poterie, dans le sud de Rennes (rue de Vern), pour accueillir les familles sans-abri en attendant des solutions durables qui tardent à venir. 70 personnes y sont encore à ce jour installées.
Chaque année, même combat. Plus les températures baissent au thermomètre, plus ça s’échauffe du côté des organisations de soutien aux personnes exilées, précaires et sans abri. Malgré une politique volontaire de la municipalité en la matière, malgré la loi française censée garantir un logement décent pour tous, malgré le droit au logement opposable qui permet même, théoriquement, de saisir les autorités quand ce droit n’est pas appliqué, tous les ans un certain nombre de personnes semblent oubliées par le système. Et laissées à la charge des associations, comme celles-ci le dénoncent régulièrement au sein de l’inter-organisation de soutien aux personnes exilées, qui se réunissait samedi 15 janvier 2022 pour manifester sur l’esplanade Charles de Gaulle à Rennes.
Et tous les ans, c’est le même manège infernal. Les organisations militantes et associations s’égosillent. La mairie se défend en précisant, à juste titre, que le sujet ne relève pas directement de son autorité, et qu’elle œuvre déjà bien assez en la matière, notamment au travers son dispositif de mise à l’abri (qui accueille cette année à Rennes 950 personnes, selon David Travers, délégué municipal à la Solidarité). La préfecture, quant à elle, chargée de faire respecter la loi française, et donc y compris le droit au logement, a bien du mal à répondre à tous les besoins en proposant des solutions adaptées.
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence », Code de l’action sociale et des familles, Article L345-2-2
Pourtant, depuis 2007, année de l’adoption du droit au logement opposable, les besoins ont fortement augmenté en Bretagne, principalement en Ille-et-Vilaine. De 615 demandes d’asile qu’on dénombrait alors dans toute la région, on passe à 3404 en 2019, dont 2231 en Ille-et-Vilaine seulement. Les sites d’hébergement répertoriés par la préfecture de Bretagne comptaient 4 191 places ouvertes au 31 décembre 2020, dont 1410 en Ille-et-Vilaine (chiffres du dernier Schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés).
« S’il n’y a pas de place, il faut en créer », revendique Coline Gayou, coordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Rennes. Il est indéniable que des équipements ont été mis en place, ou accompagnés, par les autorités compétentes, la mairie de Rennes aidant plus souvent qu’à son tour dans l’affaire, comme elle le rappelle régulièrement à la préfecture et aux associations militantes. En 2021, la préfecture prévoyait encore la création de 76 places en centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). La capacité d’accueil pourrait peut-être suffire à absorber le flux, mais c’est sans compter les lenteurs dans le traitement administratif des dossiers, qui finissent par engorger les centres d’accueil. Les demandes peuvent mettre un mois ne serait-ce qu’à être enregistrées, et donc à ouvrir ses “droits” à la personne demandeuse, entre autres l’orientation vers un logement d’accueil. Et puis il y a les questions épineuses des mineurs non reconnus tels ou des “déboutés” du droit d’asile, « aidés financièrement et hébergés par l’État, tant qu’ils étaient demandeurs du droit d’asile » (Emmanuel Berthier), abandonnés par le système, en cas de refus de leur demande, quand ils n’acceptent pas une aide au retour “volontaire”.
Alors, malgré les efforts déployés par les collectivités et services publics, le logement solidaire, le dévouement acharné des associations militantes, tous les ans, Rennes compte encore des familles sans logement stable pour passer l’hiver. Les associations répertorient une centaine de personnes dans cette situation en ce début d’année 2022. Une vingtaine sont à la rue ou dans leur véhicule. Une autre vingtaine occupent depuis la Toussaint des locaux préfabriqués du campus de Villejean, à l’invitation d’étudiants de Rennes 2 et avec l’accord de l’université. « Un hébergement censé être temporaire, mais qui dure tant qu’il n’y a pas de solution », commente Coline Gayou.
Et puis le véritable point noir dans le dispositif d’accueil local, c’est le sort de cette soixantaine de personnes, dont une vingtaine d’enfants, ballottées depuis plusieurs mois, du parc des Hautes-Ourmes, quartier La Poterie, au campement des Gayeulles à l’été 2021. Le 2 octobre dernier, pendant des intempéries particulièrement violentes, les bénévoles d’Utopia 56 en déménagent la majorité au centre forestier Bec Rond des Éclaireuses Éclaireurs de France à Thorigné-Fouillard, au nord-est de Rennes. Cet accueil bienveillant de la part des scouts laïcs devait lui aussi être temporaire, et cesser au 15 janvier 2022 pour laisser au centre l’opportunité de reprendre son activité normale. Prévenue de cette échéance, la préfecture n’a pas proposé de solutions dans l’immédiat, préférant son bilan positif, les 1450 personnes qu’elle affirme déjà héberger, pour rester indifférente, semble-t-il, au négatif, celles qui sont effectivement dans des situations de détresse et de vulnérabilité.
La décision d’installer les familles à Thorigné avait été prise en l’absence de proposition de la préfecture. Celle-ci a, de plus, manqué à organiser la réquisition du centre de loisirs Robert Launay, qu’elle annonçait pourtant en octobre 2021. Celui-ci devait compenser le campement des Gayeulles, définitivement démantelé par les forces de l’ordre le 25 octobre, et délester le centre forestier de Bec Rond, qui est tombé sous le coup d’une fermeture administrative après une inspection de la Commission de sécurité, le 15 octobre, demandée par le maire de Thorigné-Fouillard, Gaël Lefeuvre.
Mais les associations militantes ne se laissent pas démonter et lancent, dans la foulée du rassemblement de samedi 15 janvier, l’occupation d’un gymnase du quartier La Poterie, rue de Vern. Habitat précaire, l’endroit est tout de même chauffé, avec des douches et des toilettes, mais beaucoup moins isolé que le centre forestier. Et puis c’est un équipement public, et non les locaux privés d’une structure dont la bienveillance est à saluer, mais qui n’a pas vocation à pallier les lacunes des pouvoirs publics. Alors que la mairie demande que l’occupation cesse rapidement, elle accepte de ne pas exiger d’évacuation policière tant qu’une solution de relogement ne sera pas proposée par la préfecture.
Alors, où iront les exilés de Thorigné ? Sans chercher à trancher si la France, et l’Europe, connaissent une crise des migrants ou plutôt une crise des politiques d’hospitalité, on peut à juste titre se demander si la promesse fondamentalement humaine qu’aucun enfant ne dorme dehors sera effectivement tenue un jour.