Derrière les portes du 18 Quai – situé à Rennes au 18 quai Duguay-Trouin –, une exposition double et complémentaire se déroule du 19 mai au 12 juin. Entre sculptures et peintures, la peintre Marie-Pierre Jan et le sculpteur Jean-Michel Darras communient dans leur vision de… l’arbre. Vernissage jeudi 21 mai à partir de 18h30 en présence des artistes.
Dans de moelleux fauteuils, éclairés par les rayons de soleil qui traversent la verrière du lounge central, les visiteurs auront plaisir à échanger avec ce duo d’artistes. Un endroit agréable, paisible, harmonieux, c’est ce que recherchaient Marie-Pierre Jan et Jean-Michel Darras quand ils ont découvert le 18 Quai lors d’un vernissage. Ils se sont immédiatement pris d’affection pour les lieux. Le côté coconing, les couleurs, l’aménagement des lieux et, surtout, la vitalité d’un espace d’exposition qui n’est pas vide mais chaleureux.
Aujourd’hui, les deux artistes ont investi à leur tout la structure. Dés l’entrée du18 Quai, ils ont recréé le carton d’invitation de l’exposition. Ainsi, la peinture dans les tons violets et orange de Marie-Pierre Jan et la sculpture d’acier de Jean-Michel Darras accueille le visiteur. Une bonne entrée en matière. Ou le thème de l’arbre est très présent…
Les deux artistes confient que le montage de l’exposition s’est fait tout simplement. Le sculpteur a créé un jardin aux allures féériques et poétiques : entre saule pleureur et arbre à nuages… De toutes tailles, des arbres en acier se dressent dans l’espace lounge, à la fois immobiles et comme vivants. Le premier de la collection ouvre le chemin : un bonsaï aux racines imposantes. Sur les murs, les peintures de Marie-Pierre Jan rehaussent le 18 Quai de ses traits. Les deux pratiques artistiques se font face, se croisent et se retrouvent dans un point commun : l’arbre. L’arbre, présent dans chaque coup de couteau qui crée la peinture comme dans chaque maniement de l’acier qui construit la sculpture.
Mais qui sont ces artistes semblant porter un culte aux arbres ?
Marie-Pierre Jan et Jean-Michel Darras se sont rencontrés dans un salon artistique. Leur stand étant côte à côte, un échange autour de leur pratique s’est naturellement développé. Il a suffi d’une nouvelle rencontre, dans un autre salon, pour que le train se mette en marche. Désormais, ils exposent régulièrement en duo dans une indéniable complicité artistique.
Tous deux présentent un parcours atypique qui ne présageait pas un tel dénouement. Marie-Pierre Jan possède une formation scientifique. Elle s’est ensuite tournée vers les Beaux-Arts où elle a eu accès aux dessins techniques. Son intérêt pour le dessin l’a poussé à continuer en s’intéressant davantage au dessin d’architecture.
À ses débuts, ses dessins étaient réalisés à l’encre de Chine et à la plume. Beaucoup ont pour sujet le vieux Rennes. Les bâtiments, rues, paysages… différentes visions qui se retrouvent aujourd’hui nourrir son œuvre. Après avoir ouvert un cabinet d’architecte avec son mari, le besoin de contacts humains l’ont conduit à ouvrir un magasin pour enfants qu’elle a géré pendant 15 ans. Brin de folies, rue de la Monnaie, un magasin rennais spécialisée dans les jouets en bois éducatif et l’ameublement pour la petite enfance. Un autre détail de son parcours qui se retrouve en élement-clé de sa pratique artistique.
À la vente de son magasin, alors qu’elle n’a plus touché un crayon depuis des années, l’envie de créer s’impose à elle. Elle apprend la peinture grâce à des cours et son inclination pour la petite enfance la conduit naturellement à explorer l’intimité de la couleur. Sa pratique se dessine petit à petit. L’enfance, la couleur et le dessin – éléments phares de sa création. Elle appréhende les nuances, le mariage et la cohérence des couleurs, en réalisant des associations atypiques qui… fonctionnent.
Au premier abord, tableaux colorés et enfantins, son travail nécessite un temps de préparation long et fastidieux. À l’image du travail de Jean-Michel Darras, le temps se dissout et n’a guère d’importance : seuls le résultat et la démarche comptent. Tout commence par trois couches de peinture noire sur la toile vierge afin d’augmenter la vitalité des pigments. Parallèlement, une ébauche de son tableau sur papier est réalisée avant qu’il soit dessiné sur la toile désormais toute noire. Acrylique et couteau sont ses matériaux. Les couleurs sont superposées et, au final, le spectateur ne saurait deviner quelle est la couleur appliquée initialement. Entre les couches de peinture, des matières sont rajoutées (papiers de soie, carton, ficelle, sables et faïences depuis peu) ainsi que des mots, mais sans message subliminal; de simples mots qui ont attiré son regard l’espace d’un moment. Voilà comment les paysages imaginaires de Marie-Pierre Jan naissent.
Jean-Michel Darras présente un parcours hors norme. Il a quitté son emploi après sept ans dans l’industrie, précisément dans la soudure, où il baignait déjà dans le montage et l’installation. Son travail l’a conduit à passer beaucoup de temps sur la route et ne lui convient plus. L’un comme l’autre se tournent vers l’Art assez tardivement et à la suite de nombreuses étapes dans leurs vies.
Une fois au pied du mur, il s’installe dans la métallerie, un domaine où il réalise des petits chefs-d’œuvre : portails, verrières et autres. « Un échange de mots et les idées prennent forme ». Son travail lui permet d’écouter les gens, de ressentir et découvrir pour ensuite réaliser la commande à l’image de ses clients. « On ne peut pas créer quelque chose pour quelqu’un, sans le connaître a minima ». Comme pour sa consoeur, le temps n’a pas d’importance, ce n’est pas quelque chose qui devrait compter. L’acier arrive dans sa vie; son travail dans la soudure lui sert autrement désormais : ses sculptures sont réalisées à partir de cubes en acier qu’il forge et module jusqu’à obtenir la forme désirée. Ponctués de quelques aplats colorés, les arbres de Jean-Michel Darras naissent ainsi.
La figure de l’arbre habite, voire hante, la vie de chacun des deux artistes. Jean-Michel Darras se souvient d’un événement sur la route de Rennes-Angers, pendant la construction d’un rond-point. Un arbre en feuilles avait été arraché. Un côté dévoilait les racines et de l’autre, la couleur verte des feuilles montrait sa vitalité. Marie-Pierre Jan renchérit : « Un arbre retourné, c’est malheureux. C’est comme si on enterrait quelqu’un vivant. » De son côté, un épisode de son enfance a marqué sa mémoire : au parc du Tabhor, un chêne a été déraciné après une tempête. Allongé de tout son long, les racines sorties de terre alors qu’il était en pleine fleur de l’âge, les feuilles encore vertes.
« Je pense qu’un jour, je me suis trouvé sur cette Terre et les arbres sont nés. Je me suis posé et enraciné. » Pour le sculpteur, le choix de l’arbre comme fil conducteur est arrivé comme une renaissance. « L’arbre est naturellement beau et bon. Il est là, simple et humble, et donne spontanément à qui le prend, animaux, humains, insectes… C’est un exemple universel de générosité ». Marie-Pierre Jan le regarde comme un père universel, les racines communes. La symbolique ne peut être plus claire : « C’est la vie », conclut finalement la peintre. Une vie à parcourir et à ressentir jusqu’au 12 juin à l’espace d’exposition le 18 Quai (voir le plan).