Depuis quelques semaines, le centre-ville rennais se passionnait pour le différend qui opposait la Mairie de Rennes et les brocanteurs. Ces « brocs » qui égayent le boulevard de la liberté, la rue Jules Simon et une partie de la place Honoré Commeureuc chaque jeudi depuis des années. Il semble que les choses soient rentrées dans l’ordre : la disparition de cette sympathique animation du centre-ville serait reportée sine die. Étant donné que des questions restent posées, tentons d’apporter quelques réponses.
Les premières rumeurs de délocalisation sont apparues en 2013. Non du fait de la mairie, mais du mécontentement d’un ou deux commerçants qui estimaient que la présence des brocanteurs signifiait l’occupation des places de stationnement. Places qui, selon eux, auraient été bien utiles à leur propre clientèle. Vision quelque peu étriquée du commerce où la notion de synergie est absente. C’est du reste la position du syndicat des marchés de France et d’Ille-et-Vilaine qui s’exprime sur cet événement sans laisser subsister de doute, après avoir été alerté par le président des brocanteurs de l’Ouest Jean René Courtés : « Nous partageons ses inquiétudes quant aux conséquences d’un tel déplacement […] Les commerçants de la Halle perdraient un élément d’attraction commerciale le jeudi, alors même qu’il s’agit d’une journée plutôt creuse pour eux ». Quant à l’adjoint du maire Honoré Puil – à l’époque chargé du commerce –, il a décidé de supprimer en décembre 2013 la brocante du premier samedi du mois. Cela étant, cette péripétie ne semblait pas refléter ou augurer une nouvelle position de la mairie quant à l’avenir de la brocante du jeudi matin aux Halles centrales.
Pourtant, le 6 mars 2015, les responsables de l’association – convoqués à une réunion en présence de Mesdames Kretz, représentant la direction de la police municipale, et Forlodou, du service action commerciale de la ville de Rennes – apprenaient sans information préalable qu’ils devraient plier armes et bagages et s’installer sur le mail François Mitterrand dès le mois d’avril… Marc Hervé, adjoint au commerce, prévu initialement, était absent et s’était excusé. Qui plus est, les deux dites dames – sans doute empêchées – avaient délégué Hélène Henry (direction de la police municipale et du domaine public – unité droits de place). Les brocanteurs présents ont conçu de cette attitude désinvolte un sentiment de mépris à leur égard. L’affaire s’engageait donc mal. A fortiori, car les représentants de la municipalité leur ont reproché de gêner le passage des voitures d’enfants et des handicapés ; bref : de créer des problèmes sur la voie publique. De fait, cette difficulté de circulation est le lot de chaque brocante aux Halles centrales comme ailleurs dans Rennes ou dans toutes les villes de France et de Navarre… Enfin, il existe une commission consultative du commerce non sédentaire – le CCNS, pourquoi un débat constructif où les idées des uns seraient venues enrichir les projets des autres n’a pas été mis en place ? Au lieu de cela, la Mairie de Rennes a de nouveau offert aux administrés un curieux exemple de démocratie participative…
Les conséquences ne se sont pas fait attendre : les brocanteurs ont commencé à faire circuler une pétition afin que ce marché du jeudi matin, existant depuis presque 30 ans, soit pérennisé sur ce lieu des Halles centrales. Le document en question a recueilli plus de deux mille signatures et a causé un réel émoi. Émoi compréhensible pour qui connaît les lieux et se rend sur le terrain. De fait, il y règne une ambiance des plus sympathiques.
Le jeudi dès 7 heures, antiquaires et commerçants partagent une tasse de café chaud au bar Chez ma tante, des clients les y attendent pour proposer des achats ou obtenir des informations, puis tout le monde part « déballer » et montrer ses dernières trouvailles. Dans la rue Jules Simon s’instaure une ambiance de village qui se situe entre les Halles et le marché aux puces. On vient même d’assez loin puisque des clients font la route depuis Redon ou Fougères chaque jeudi. Des professionnels viennent même de plus loin encore et tout ce beau monde en profite pour faire des courses aux Halles, heureux qu’ils sont d’y trouver de beaux produits malgré les prix élevés. Les personnes âgées du quartier – pour lesquelles cette journée constitue une sortie particulière – connaissent tous les professionnels présents et n’hésitent pas à demander un petit coup de main pour réparer une lampe ou accrocher un lustre. De l’avis de la large majorité, cette animation est réellement une réussite du quartier centre.
Alors quelle mouche a piqué les élus de la mairie d’essayer de casser ce qui fonctionne bien quand tant d’autres problèmes subsistent à Rennes ? La réponse porte un nom « le Mail François Mitterrand ». Malgré de réels problèmes, une conception qui n’a pas respecté les engagements de la mairie, une inauguration à moitié ratée, des animations éphémères et dispendieuses et une récente installation artistique qui ne vaut pas un radis, nous nous accordons un temps d’observation pour observer l’évolution de ce nouvel espace. Reste que ce lieu manquant d’animation et les Rennais ne l’investissant pas spontanément, il convient à tout prix de l’animer : la brocante constitue un moyen intéressant dans cette veine. Mais c’est faire peu de cas des règles spécifiques de ce genre de commerce. L’adjoint Marc Hervé pensait que si les Rennais se déplaçaient vers les Halles pour « chiner », ils feraient naturellement la même chose vers le Mail. Erreur.
Les brocanteurs interrogés sont unanimes : les achats sur leurs stands sont dus à des coups de hasard et à des coups de cœur ; pour réaliser un chiffre suffisant à leur subsistance, un passage important de piétons, autrement dit de clients potentiels, est indispensable. Le centre-ville, par sa vitalité, engendre donc une multiplication de ces heureux hasards tandis que le Mail suppose un déplacement volontaire. En outre, ceux qui se rendent en automobile sur le Mail risqueront de se lasser lorsqu’après un quart d’heure s’envolera leur espoir de stationner leur véhicule ; ils devront, faute de place, repartir sans sacrifier à leur plaisir : la recherche de la bonne affaire.
La colère des brocanteurs apparaît donc comme justifiée, puisqu’elle découle d’une décision unilatérale et inconséquente de l’équipe municipale. L’avenir financier des « brocs » est volontairement mis en danger au profit de la seule volonté d’animer une place dont l’avenir reste incertain au vu des choix urbanistiques sans vision. Recréer un tissu commercial plaisant – avec restaurants, terrasses, magasins, augmentation de la végétalisation, animations culturelles et œuvres d’art de qualité, installation à long terme d’espaces ludiques pour enfants – comme le proposent plusieurs riverains et Didier Lebougeant, élu du centre-ville, semble dessiner une perspective d’avenir. La création d’un marché bio donne déjà satisfaction. Il est donc inutile de déshabiller Pierre pour habiller Paul quand un peu de créativité et de coconstruction en intelligence apporte des solutions recevables.
Après tous ces atermoiements, les professionnels ont rencontré, pour de bon cette fois, Marc Hervé. Ils sont arrivés à un accord qui semble satisfaire les deux partis, mais qui n’est qu’une reprise de ce qui avait été décidé il y a deux ans déjà. Une phase d’observation sera mise en place dans le cadre d’une convention d’un an avec la mairie. Les termes en sont les suivants : arrêt de la mensuelle du premier samedi du mois autour des Halles et création d’une nouvelle mensuelle, sur le Mail, tous les deuxièmes dimanche du mois [ce qui date la prochaine au 11 octobre]. Les professionnels de la brocante ont donc une année d’observation et la mairie une année d’animation. Comme quoi, avec un peu de bonne volonté, on peut arriver à des solutions intelligentes et soucieuses des préoccupations de chacun. Mais pourquoi n’a-t-on pas commencé par là ?…