H+, UN TRAITÉ VEGAN ? (CHAP. 3)

H+ explore la quête de l’immortalité à la croisée de l’héritage pythagoricien et du projet transhumaniste.

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Chapitre
 

tetraktys pythagore 

Les citoyens de Crotone comprirent qu’ils avaient affaire à un homme qui avait beaucoup voyagé, un homme exceptionnel, qui tenait de la Fortune de nombreux avantages physiques : Pythagore était, en effet, noble et élancé d’allure et, de sa voix, de son caractère et de tout le reste de sa personne émanaient une grâce et une beauté infinies. (Porphyre de Tyr)

pythagoras

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Maison de Pythagore, île de Samos, 532 av. J.-C., 6e jour du mois de Zeus de la 4e année de la 61e olympiade

– Es-tu amer, Pythagoras ? Repartir de nouveau te lasserait-il ?

– Ne te soucie pas, cher Hermondamas ! Trente années à naviguer, à marcher, à apprendre… De Samos à Vangchhia, tout au bout de l’Inde, en passant par la prodigieuse Babylone. Après avoir voyagé si loin et si longtemps, je suis prêt à repartir pour des terres… pas trop lointaines. Comme dans le golfe de Tarente, par exemple. Mais mon enseignement sera-t-il plus apprécié là-bas qu’ici ?

Alors que j’ai levé le voile du mystère de la vie et de la mort, je ne suis pas plus avancé… J’ai complété les dix épreuves qui mènent à la perfection du Tétraktys ; devenu maître de l’Art énergétique, jesuis comme un dieu. Aussi puis-je enseigner aux hommes surdoués la maîtrise de leur Lyre intérieure, ce sixième sens qui procure la vie. Mais à Patmos, qui est le lieu de ma tribu, personne ne semble y trouver intérêt ! J’ai enseigné en public, bien peu m’ont écouté jusqu’au bout…

Tous ne pensent qu’à se quereller ; tous ne pensent qu’à commercer. Bien sûr, je me réjouis de voir des troupeaux de brebis grasses paître sur l’île qu’a offerte aux hommes Apollon. Et nos vaisseaux lourdement remplis de tissus, chaudes laines et moelleux tapis de pourpre sillonnent la mer ionienne. Les solides vases et pots en terre de géophanium, cette riche terre que Héra offrit aux habitants de l’île où elle naquit et qui en fait sa richesse. Aphrodite nous protège aussi depuis que Déxicréon a fait bâtir un temple en son honneur. Il fit un gain considérable en n’embarquant, sur le conseil de la déesse, que de l’eau dans sa soute ; il la vendit à des marchands qui mouraient de soif alors qu’il repartait de Chypre pour Samos.

Oui, gloire à Aphrodite, étoile du matin et étoile du soir qui ne forment qu’une. Une seule porte d’entrée et de sortie pour le couloir qui relie la vie et la mort !

Oui, les Samiens sont bénis des dieux. Ce sont les meilleurs athlètes et les plus habiles navigateurs de la mer ionienne. Ils sont énergiques, amoureux de la liberté et du gain honnête. C’est la prospérité de notre tribu qui m’a permis d’aller à Lesbos découvrir que l’âme des hommes est éternelle, rapporter de la merveilleuse Babylone le théorème de l’hypoténuse, le ralentissement du temps que m’ont enseigné à Memphis et Heliopolis les prêtres d’Isis et Osiris, l’éveil de la conscience énergétique dans le royaume de Magadha oùSiddhartha m’a monté la voie et, plus que tout, rapporter de Delphes l’Oracle complet que m’a révélé la Pythie Thémistocléa. Gloire à eux !

Mais je me retrouve depuis mon retour étranger parmi les miens. Il faut donc, mon vieux maître Hermondamas, que nous repartions de nouveau sur la mer. À deux ou trois semaines en galère marchande de Samos, on dit que la vie est douce et voluptueuse du côté du golfe de Tarente, notamment dans les villes de Sybaris et de Crotone.

– Sois attristé, tant que tu n’es pas abattu, Pythagoras ! Oui, quel homme ne serait pas attristé, une fois séparé des autres, de contempler l’état où ces derniers croupissent ? Tu le sais, comme nous l’avons découvert, il y a trois types d’animaux rationnels : les dieux, les hommes et les hommes-dieux, autrement dit les héros talentueux. Quel homme-dieu, aussi bon que toi, Pythagoras, ne se lamenterait-il pas à la vue de l’obscurité où sont enfermés ceux qui étaient à leur naissance nos semblables ? Vois, même le dieu Apollon ne peut forcer la bonheur à ceux qui ne possèdent pas ou ne savent pas jouer de la Lyre spirituelle. Leur vue intérieure est à jamais aveugle. Peut-être en Grande-Grèce, à Tarente, Crotone ou Sybaris, trouverons-nous hommes plus doués ?!

– Qu’Apollon entende ton vœu et éclaire les esprits afin que notre école prospère, Hermondamas ! Allons finir de nous préparer, le départ est proche. Il me reste à enrouler quelques papyrus afin de rédiger sur le voilier la méthode de l’enseignement, la règle de la communauté, les degrés de l’initiation et le but de la philosophie. Le monde est comme une sphère qui tourne sans fin, je suis la baguette qui promet de l’arrêter.

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Extrait des 4 degrés de l’initiation (in Philosophie dorée, chapitre III, traduction du grec ancien en italien par Jean Pic de la Mirandole en 1486, en français en juin 1811 par Antoine Fabre d’Olivet, adapté au langage contemporain en 1927 par Édouard Schuré)

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Sur la Terre, depuis l’aube de l’humanité, le maillon faible de l’organisme humain s’appelle mitochondrie

Les mitochondries sont les minuscules centrales énergétiques nichées au cœur des cellules du vivant. Comme toutes centrales, elles produisent des déchets sous la forme de radicaux libres. Ces derniers causent des lésions aussi bien à la membrane cellulaire qu’à l’ADN situé dans le noyau. Elles sont réparées par des enzymes qui opèrent comme des antioxydants. Ces microciseaux moléculaires sectionnent la partie abîmée, laquelle est éliminée par les voies naturelles. En cas de mutation, les cellules sont divisées et remplacées à neuf. Mais, chaque fois qu’une d’elles est répliquée, les télomères – situés au bout des brins de notre ADN et qui ont pour fonction de protéger nos chromosomes de la dégradation – sont raccourcis jusqu’à ce que la cellule ne puisse plus être renouvelée; ce qui arrive à chaque cellule une fois atteint entre 60 et 100 divisions.

mitochondrie

Or, à la puberté des filles et des garçons, les radicaux explosent. Et les enzymes, notamment la télomérase qui s’occupe de réparer les télomères, ne sont pas en nombre suffisant pour y faire face. Le corps continue à se développer, mais les dommages se multiplient. Et ils se multiplient d’autant plus qu’un mode de vie peu sain épuise la régénération possible des cellules. Chez un humain en bonne santé, la longueur des télomères diminue en moyenne de 27 paires de base par an. Un habitant d’Oulan-Bator ou de Pékin, fumeur, stressé et en surpoids, peut connaître une diminution supérieure à 40 paires de bases par an. Ainsi, à 50 ans, un Pékinois en surcharge de 20 kg, mal dans sa peau et fumeur régulier depuis sa jeunesse, pourra présenter un âge physiologique supérieure à 70 ans. À l’inverse, une femme sportive, dotée d’un bon matériel génétique, adepte d’un mode de vie équilibré dans un environnement sain est susceptible de présenter le jour d’anniversaire de ses 70 ans un âge physiologique de… 50 ans. Bref, quel que soit le mode de vie, de plus en plus de cellules ne sont pas remplacées. Il en est allé différemment à la puberté d’Ève.

De longs mois lui auront été nécessaires pour comprendre ce qui se passait en elle. Privée de présence végétale, elle se sentait heure après heure de moins en moins forte, de plus en plus oppressée. À l’inverse, l’immersion dans un milieu riche en végétaux avec tout son éventail olfactif rechargeait son corps et son esprit. Après des recherches sur internet et de longues réflexions, elle avait dû se rendre à l’évidence et accepter la présence en elle d’un don extraordinaire alors qu’elle s’était toujours crue une fille ordinaire. Accepter la possibilité que certains scientifiques soutiennent : l’organisme humain est capable de puiser de l’énergie vitale dans les complexes moléculaires olfactifs charriés par l’air. Mois après mois, tandis qu’elle élaborait l’alimentation qui lui semblait le mieux adaptée à ses besoins, son système olfactif et gustatif s’est amplifié et affiné, comme si des filtres se volatilisaient les uns après les autres. Sa respiration était devenue plus profonde, le rythme de son cœur avait diminué, son esprit avait gagné en clarté et tout son corps en tonus.

Désormais, et depuis ses 16 ans, elle trouve son équilibre en se restaurant quotidiennement d’environ deux litres d’eau et de jus de fruits frais (aussi, à l’occasion de sorties ou de dîners, un peu d’alcool, principalement du vin) et d’une nourriture légère et diversifiée à base de fruits, légumes, céréales, herbes, épices, aromates, miels, fleurs, champignons, graines germées, huiles végétales, jamais de viande ni de poisson, parfois un laitage, un peu de fromage, rarement des œufs. Elle sent et sait intimement que son organisme y puise le nécessaire pour satisfaire ses fonctions vitales et ralentir le vieillissement biologique : vitamines C, D et E, flavonoïdes, caroténoïdes, polyphénols, terpènes, sélénium, fer, zinc, manganèse, cuivre, cystéine, acide phytique, sulforaphane, etc.

Fort d’un mariage de plus en plus réussi entre apports énergétiques par le souffle et par la nutrition, son organisme dispose à présent d’une production suffisante d’antioxydants, notamment d’enzymes Télomérase, Catalase et Glutathion qui neutralisent les radicaux libres, contribuent à leur élimination, pérennisent les chromosomes et la réplication cellulaire. D’une part, les radicaux libres sont si efficacement retraités par les outils de protection et de réparation de ses mitochondries que le nombre de lésions et les mutations s’accumulant chez Ève sont trois à quatre fois inférieurs à la normale. Comme les radicaux sont réduits, les cellules endommagées sont à l’avenant. D’autre part, la capacité des cellules à se renouveler en toute intégrité est de trois à quatre fois supérieure à la normale.

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Hôpital d’Ermoúpolis, île de Syros, 981 jours avant

Pierre arrive à l’hôpital sous une lumière chaude. Il affiche une décontraction étudiée en pénétrant le hall d’accueil. Ni de gauche ni de droite, personne n’accourt se jeter sur lui pour lui demander des comptes. Rassuré, il prie la préposée de l’accueil de prévenir Ève que son oncle l’attend en bas. Après avoir raccroché, elle l’informe que sa nièce descendra d’ici une minute. Pierre ne peut s’empêcher de pousser un soupir de soulagement.

Il va s’asseoir sur un siège de la salle d’attente. Il pose avec lenteur sa canne sur le côté puis ses belles mains aux longs doigts ridés sur ses cuisses. Quand Ève arrive à sa hauteur, il arrache en silence de sa main le sparadrap qui cache une coupure désormais réduite de moitié. Il la lui montre. «Tu vois, Ève, que nous avons bien du sang en commun.» Elle hoche la tête en guise d’approbation muette. Le visage de Pierre rayonne sourdement d’une ancienne fatigue enfin apaisée.

Une heure plus tard, un taxi les dépose à l’aéroport de Syros devant le hangar réservé aux avions privés. Sur le tarmac, une Indienne aux cheveux blancs les attend élégamment accoudée à l’escalier d’un jet privé, un labrador accroupi à ses côtés. Elle est vêtue d’un sari de lin bleu ciel et ses bras nus d’argile doré sont recouverts de bracelets brillants. Son visage affiche une cinquantaine d’années, peut-être moins, peut-être plus. Elle les accueille à l’entrée d’un long biréacteur Falcon 900 d’une voix incroyablement douce :

Il me tardait de te rencontrer, Ève. Voilà Vilayat, notre ami à quatre pattes. Moi, je m’appelle Noor. Et, je suis sûre que nous allons très bien nous entendre.

Ève, ne sachant que répondre, ne dit rien. Des images de ses proches disparus surviennent soudain dans son esprit et se mêlent aux pièces vides de sa maison familiale. Pierre coupe court à ce flottement :

– Tout est prêt, ma chérie?

– Tout est prêt, nous pouvons décoller.

– Alors, c’est parti! Allons faire découvrir à Ève l’histoire. Elle commence tout près d’ici. Sous le soleil de Samos.

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Tous les personnages et les situations de ce récit sont purement fictifs à l’exception de ceux qui ne le sont pas.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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