Dans le cadre des Jeudis des Archives et des États généraux de la culture s’est tenue jeudi 25 juin à la salle de la Cité une conférence sur l’histoire de la Maison du Peuple, salle de concert mythique à Rennes. La « Cité » n’accueille aujourd’hui quasiment plus de concert en soirée, pour des raisons de bruit. Doit-elle disparaître, être transformée ?
Comment valoriser la salle de la Cité eu égard à la transformation du Couvent des Jacobins en Centre des Congrès à quelques mètres ? Avant de débattre sur son sort avec le public, Martine Cocaud, professeure d’histoire à Rennes 2, a tenu à revenir sur l’histoire de ce lieu, au cœur de la vie sociale, musicale et artistique rennaise depuis sa création.
Retracer l’histoire d’un lieu, fouiller dans les mémoires, c’était la première partie de cette conférence. Témoin des mutations du temps libre, cette salle a vu défiler les différentes évolutions culturelles pendant plus d’un siècle. Mais qui est à l’origine de la création de cet endroit ? A-t-il toujours été une salle de divertissement ? Retour sur l’histoire d’un lieu qui a fait l’identité rennaise…
En 1891, les syndicats rennais réclament un lieu de rencontre appelé bourse du travail. C’est un mouvement national, une démarche désormais établie dans le monde ouvrier, la première bourse du travail ayant vu le jour à Paris en 1887. Une lettre rédigée par les syndicalistes est envoyée au maire et aux conseillers municipaux. Leur revendication : un lieu public pour débattre de leurs intérêts professionnels et où les ouvriers sans travail pourraient se voir proposer des emplois. Le maire de l’époque Jean Janvier se déclare défavorable à cette initiative. Après une seconde requête, appuyée cette fois par des conseillers municipaux de Rennes, une pétition est signée en 1892. En avril 1893 naît la Bourse du travail de Rennes. On peut y trouver un bureau de placement, un lieu de rencontre pour les syndicalistes, mais aussi un lieu d’éducation et de formation.
Au début des années 1900, la bourse du travail devient très active et étend ses activités. Une coopérative de consommation se créée, un dispensaire et même une école qui dispense des cours aux ouvriers. En 1911, elle compte 5000 membres ; les locaux prêtés par la municipalité ne suffisent plus. Dès lors, les syndicalistes s’organisent et créent une société civile qu’ils appellent « la Maison du Peuple ». Ils souhaitent que les locaux portent le nom de la société. Une nouvelle lettre est alors renvoyée au maire. Un accord est trouvé et la ville accepte de mettre en œuvre le projet de construction d’une salle de réunion.
En 1918, un premier hangar est édifié dans l’attente de la future construction. Il abrite une salle de réunion provisoire d’une capacité d’accueil de 500 personnes. Un an plus tard, la municipalité vote la construction d’une salle de réunion susceptible d’accueillir 1600 personnes, une décision que le maire, Jean Janvier (maire de Rennes de 1908 à 1923), justifie par le « bon comportement » de la classe ouvrière durant la guerre. Argument qui lui coûtera d’ailleurs les élections suivantes, il sera accusé d’être aux mains des socialistes. Janvier insiste sur le fait que la salle devra aussi permettre des séances récréatives, selon le vocabulaire de l’époque. Il promet aussi une salle de cinéma.
Résultat : la salle est moderne et confortable, le chauffage à vapeur à basse pression et l’installation du chauffage électrique sont intégrés. Emmanuel le Ray, l’architecte, souhaitait que le bâtiment corresponde aux fonctions du lieu. La salle du fond était dédiée aux séances récréatives et aux grandes réunions syndicales. Les bâtiments autour devaient permettre l’organisation de la vie de la CGT. La partie la plus travaillée fut la salle de spectacle, réalisée à l’époque pour contenir de 1200 à 1500 personnes. La scène pouvait offrir du théâtre, des chorales, mais aussi des orchestres. Avec une façade s‘inspirant de l’Art nouveau et une architecture moderne, les acteurs de ce projet ont vu leur souhait se réaliser : une salle élégante, mais pas luxueuse.
Toutefois, la salle présente une singularité : une fresque gigantesque sur les murs cachée derrière le plexiglas. Le peintre Camille Godet va l’appeler « Le Travail ». La frise décorative peint avec réalisme les différents corps de métier du bâtiment. Dessus, on peut même y reconnaître Jean Janvier. La représentation du travail est celle de l’artisanat. Le métier est plus mis en avant que le travail, la classe ouvrière est à l’honneur. Le 19 avril 1925, la Maison du Peuple est inaugurée. Au début des années 30, le nombre de syndicats et d’adhérents est en hausse les locaux ne suffissent plus. La Maison du Peuple va donner à la ville des terrains rue Saint-Louis qu’elle a achetés en 1911-1913 et en contrepartie, le conseil municipal s’engage à y construire de nouveaux bâtiments. En 1938, la construction est achevée. Dans les années 30, la salle accueille des conférences, des débats, des spectacles scolaires et amateurs. Dans les années 60, la ville veut accroître son dynamisme culturel, elle veut en faire une maison commune au nom des associations. Le 24 septembre 1965, le conseil municipal officialise le nom de la salle de la Cité. Elle devient un lieu culturel où se croisent le spectacle vivant, la musique et les arts plastiques, et qui entend toucher tous les publics.
Fin des années 60, c’est devenu une salle ouverte où l’on retrouve des expressions militantes. Les concerts de musiques vont s’imposer, les Trans Musicales, festival de musique de renommée internationale aujourd’hui, va naître dans cette salle. Tous les concerts auront lieu à cet endroit jusqu’en 1990 pour ensuite s’éparpiller entre les différentes salles rennaises et les bars. Le voisinage se plaignant de plus en plus des nuisances sonores et la salle ne répondant plus aux normes d’accueil du public les concerts finissent par cesser. Jusqu’en 2011, la salle est occupée par l’Union départementale CGT. Le bâtiment est démoli en janvier 2013 et rouvre ses portes en 2014. Aujourd’hui, seuls des théâtres, bals, projections ou réunions publiques se tiennent en journée. La question qui se pose maintenant est: quel avenir pour cette salle qui a tant fait battre le cœur des Rennais ?
Salle de la Cité Rennes
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