Testament d’Alain Delon : douche froide entre blessures familiales, droit international et mémoire publique

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Depuis la révélation du contenu du deuxième testament d’Alain Delon, rédigé en Suisse, l’attention médiatique se cristallise autour des tensions familiales qui opposent les enfants du monstre sacré du cinéma français. Mais derrière les manchettes se dessinent des enjeux bien plus profonds : les failles du droit successoral international, la complexité du deuil filial et une société avide de récits intimes projetés sur les icônes.

« Ce n’est pas une histoire d’argent. C’est une histoire de mémoire, de reconnaissance, de lien brisé. »
— Anthony Delon, à propos du testament de son père

Le célèbre acteur français aurait rédigé un second testament en Suisse dans lequel seule sa fille Anouchka Delon figure comme héritière directe au détriment de ses deux fils, Anthony et Alain-Fabien Delon. Anthony Delon, l’aîné d’Alain Delon, a déclaré que le testament rédigé par son père en Suisse, et qui le déshérite explicitement, relevait d’un « déni de paternité ». Derrière cette déclaration se profile une tentative de redéfinir la place du père, bien au-delà du seul cadre juridique.

Jusqu’à présent, les sommes exactes de l’héritage ont longtemps alimenté les fantasmes, certains évoquant jusqu’à 300 millions d’euros. Mais les révélations récentes permettent de préciser les chiffres : le patrimoine connu d’Alain Delon s’élèverait à environ 18 millions d’euros, essentiellement placés en Suisse et à Monaco, bien loin des montants vertigineux évoqués dans la presse people. Cette estimation financière ne diminue en rien la violence symbolique des différends familiaux.

Le testament litigieux a été rédigé en Suisse, pays dans lequel Alain Delon résidait une partie de l’année. Or, le droit suisse, en matière successorale, diffère sensiblement du droit français :

  • En France, la réserve héréditaire est d’ordre public : les enfants ne peuvent pas être déshérités, sauf cas très spécifiques. Chaque enfant a droit à une part minimale du patrimoine du défunt, appelée « réserve ».
  • En Suisse, la réserve héréditaire existe également, mais elle est plus souple et a été réduite depuis une réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Elle ne protège plus que les enfants et plus les parents ou le conjoint survivant, et permet au testateur une plus grande liberté dans la répartition de son patrimoine.

La question centrale devient donc : quel droit est applicable ? Le règlement européen « Rome IV » en matière de successions internationales stipule que la loi applicable est, par défaut, celle du dernier domicile habituel du défunt. Si ce domicile était la France, le droit français devrait s’appliquer, rendant le testament suisse potentiellement contestable par les enfants lésés.

Cette affaire intervient sur fond de tensions anciennes. Dans un livre-enquête récemment paru, Les derniers jours du samouraï, plusieurs proches décrivent un Alain Delon autoritaire, parfois violent. Anthony Delon y livre un témoignage poignant d’un enfant blessé, en quête d’un père qui ne s’est jamais vraiment montré présent, selon lui. Le testament n’est que le dernier acte d’une relation fracturée depuis l’enfance.

L’affaire Delon, au-delà de ses dimensions familiales et juridiques, révèle un phénomène sociologique marquant : la spectacularisation du lien familial dans les sociétés médiatiques. La projection collective sur la figure du père, sublimée par l’aura d’Alain Delon, entre en collision avec les douleurs intimes de ses enfants. Ce n’est plus seulement une affaire de famille, c’est un récit national. Une tragédie shakespearienne à la française.

Le psychologue Serge Tisseron rappelle que dans les familles marquées par le silence ou la violence, l’héritage n’est pas seulement matériel : il est aussi narratif. « Le testament devient alors l’ultime message, parfois blessant, souvent révélateur, toujours interprété. » Dans ce contexte, la réaction d’Anthony Delon peut se lire comme une tentative de reprendre le contrôle du récit familial face à un père dont l’image publique écrasait l’espace privé.

La contestation du testament pourrait ouvrir une longue bataille judiciaire, surtout si la domiciliation principale d’Alain Delon au moment de son décès s’avère être en France. Dans ce cas, les fils pourraient revendiquer leur réserve héréditaire, malgré les dispositions du testament suisse.

Mais, comme l’a souligné Anthony Delon, le cœur du conflit ne se résume pas à une somme d’argent. Il s’agit de transmission symbolique, de reconnaissance filiale, et d’une dernière tentative de réparer ce qui, dans le lien père-fils, est resté inabouti.

Dans un monde où la célébrité confère aux vies privées un écho public, le cas du testament d’Alain Delon met en lumière les fragilités du droit international, les blessures intergénérationnelles non guéries, et la soif collective d’intimité livrée en pâture. Le dernier acte d’Alain Delon, qu’il ait été volontaire ou non, ne se joue pas seulement devant notaires et avocats, mais aussi dans le théâtre des mémoires blessées.

Sources

  • « Anthony Delon exclu du testament de son père : un déni de paternité », Purepeople, 23 mai 2025
  • Justin G. Schroeder, « Anthony Delon évoque le testament de son père », Le HuffPost, 23 mai 2025
  • « Les violences d’Alain Delon racontées dans un livre-enquête », VSD, 22 mai 2025
  • « Héritage d’Alain Delon : les sommes que vont toucher Anouchka, Alain-Fabien et Anthony connues », Public, 7 juin 2025
  • « Héritage d’Alain Delon : 18 millions d’euros placés en Suisse et à Monaco », Le Point, 9 juin 2025
  • « Héritage d’Alain Delon : c’est la douche froide », Closer, 6 juin 2025
  • Code civil français, articles 912 à 930 (Réserve héréditaire)
  • Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), Suisse
  • Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen sur les successions internationales
  • Entretien avec Serge Tisseron, « Hériter du silence », Revue Esprit, janvier 2019
Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !