Velibor Colic : « Vous avez écrit ‘concours’ ? Non, Goncourt… »

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Invité des Dialogues européens aux Champs Libres, Velibor Čolić vient à Rennes porter une parole rare. Celle d’un écrivain qui a vu la guerre de l’intérieur, qui y a pris part en 1992 lors de l’agression de la Bosnie par l’armée fédérale yougoslave, puis qui a choisi de déserter.

Né en 1964 en Bosnie-Herzégovine, Velibor Čolić grandit dans une région longtemps métissée, à la croisée des appartenances yougoslaves. En 1992, quand éclate la guerre, il est enrôlé dans l’armée croato-bosniaque. Il voit alors de près la brutalité du conflit, la fragmentation du pays, les rapports de force ethno-politiques, mais aussi la dégradation des êtres. Sa désertion marque un tournant absolu. Refuser de continuer la guerre revient à accepter d’entrer dans l’exil.

De cette expérience, Velibor Čolić va faire une matière littéraire. Très tôt, il comprend qu’il ne s’agit pas seulement de témoigner mais de trouver une forme, un ton, une voix capables de dire ce que la guerre abîme et ce qu’elle révèle. Ses premiers livres en France le montrent. Il écrit la guerre, mais aussi ce qu’elle fait au langage, à la mémoire, au corps. Ses récits reposent souvent sur des fragments, des épisodes, des portraits; manière de recomposer un monde brisé.

Arrivé en France au début des années 1990, Velibor Čolić s’y installe durablement, longtemps en Bretagne, et fait le choix d’écrire en français. C’est un geste littéraire fort. Adopter la langue d’accueil non pour effacer le passé, mais pour le rendre audible ailleurs. Au fil des années, Velibor Čolić construit une œuvre où reviennent trois motifs constants. La guerre de Yougoslavie. L’exil, comme condition et comme discipline. L’Europe, envisagée non comme abstraction institutionnelle, mais comme espace où se croisent mémoires traumatiques et nouvelles violences.

velibor colic guerre pluie

Dans ses ouvrages récents, notamment Guerre et pluie, Velibor Čolić revient sur 1992 avec une précision presque chirurgicale. Premières opérations, absurdité militaire, peur, ivresse de tenir encore debout. Il y ajoute le recul de l’homme qui a ensuite connu la fragilité du statut d’exilé, la maladie, les hôpitaux, la nécessité de continuer à écrire pour rester du côté des vivants. Chez Velibor Čolić, plus la brutalité est grande, plus l’ironie affleure. Cet équilibre singulier évite la plainte et place le lecteur dans une position de fraternité plutôt que de pitié.

« Nous nous battons toujours à fond, complètement, jusqu’à la dernière goutte du sang des autres. À la fin il n’y a ni gagnants ni perdants. La guerre n’est qu’un long serpent. La tête est un président fou et la queue est ce jeune homme, perdu devant l’entrée du métro Ribaucourt à Bruxelles. »

Le cycle des Dialogues européens aux Champs Libres veut mettre en regard expériences, savoirs et récits pour penser l’Europe d’aujourd’hui. Inviter Velibor Čolić à dialoguer avec la politologue Anne Le Huérou et la réalisatrice Juliette Corne autour du thème « Sortir de la guerre. Le monde d’après » revient à faire se croiser trois lignes de vue. Celle de l’écrivain qui a porté l’uniforme puis déserté. Celle de la chercheuse qui analyse guerres et régimes de violence à l’Est. Celle de la documentariste qui regarde l’Ukraine contemporaine.

Il ne s’agira donc pas seulement de revenir sur la Bosnie des années 1990. Il s’agira de poser une question très actuelle. Que signifie sortir de la guerre quand la guerre continue d’habiter les corps, la langue, les institutions. Quand l’Europe elle-même se découvre à nouveau frontalière de conflits majeurs. L’expérience de Velibor Čolić le montre. On ne sort pas de la guerre comme on ferme une porte. On en sort par le récit, par la littérature, parfois par l’humour qui permet de dire l’indicible.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.