« Ils ne sont pas désespérés. Simplement, nous ne posons pas les bonnes questions. »
Le docteur Claire Waters, jeune et brillante psychiatre spécialisée en médecine légale, a été admise à un programme de recherche avancée. À ses yeux, les patients jugés incurables, les psychopathes, sont avant tout les victimes d’« anomalies chimiques et structurelles du cerveau » (p.18). Très curieuse d’explorer les recoins les plus sombres de la psyché, Claire se voit confier le dossier de Todd Quimby, un détenu de la prison new-yorkaise de Rikers Island.
Contre toute attente, l’histoire psychiatrique de ce dernier renvoie Claire à un épisode tragique de sa propre enfance : l’enlèvement par un pédophile, sous ses yeux, de sa camarade de jeux Amy. En proie à un sentiment de culpabilité, Claire adulte tente de compenser par son activité médicale le sentiment de sa défaillance à l’égard du viol puis du meurtre d’Amy.
Or, dès la remise en liberté de Todd Quimby, des jeunes femmes toutes semblables physiquement sont retrouvées assassinées… La signature des meurtres évoque irrésistiblement le patient psychopathe. Claire, fragilisée psychologiquement et professionnellement, va tenter de retrouver l’assassin avec l’aide de Nick Lawler, un policier new-yorkais lui-même en proie à des difficultés personnelles.
« Tous ses diplômes supérieurs, toute la recherche sur les neurotransmetteurs et leurs effets sur le comportement humain, tous les programmes d’études du monde ne suffiraient jamais à effacer l’unique émotion qu’elle éprouvait depuis le jour où Amy lui avait été enlevée : L’impuissance. »
Vertiges Mortels est le premier roman écrit par Neal Baer et Jonathan Greene. Baer, médecin de formation, a participé à l’écriture de la série télévisée Urgences. Il a également travaillé sur la série New York Unité Spéciale. Greene est scénariste de télévision. Leur connaissance des milieux policiers (enquêtes criminelles, police scientifique) et de la médecine légale assure au lecteur un récit techniquement fiable qui s’inscrit sans difficulté dans le répertoire des intrigues gravitant autour de la figure du serial killer. Vertiges Mortels ne manque pas non plus de fausses pistes ni de rebondissements.
Entre le début de l’histoire et l’approche du dénouement, Claire trouve le chemin d’une libération. Alors qu’au début de l’histoire, elle fonde son discours sur le seul discours scientifique, elle apprend à accepter ses limites et à regarder en face ses propres zones d’ombre : « C’était cette fatigue profonde qui vient de l’anxiété et de la peur, et pour la première fois Claire ne chercha pas à l’expliquer. Elle ne pensa pas à une explication chimique de ce qu’elle ressentait. Elle en connaissait la cause. » (p.346) Ce cheminement sera aussi celui de Nick.
On aurait cependant aimé un plus grand développement de certains aspects de l’intrigue, notamment en ce qui concerne la structuration des personnages de Claire et Nick. Il est vrai que ce livre se lit sans ennui. Le lecteur suit la jeune psychiatre qui parvient à se libérer de son propre passé : si l’affaire Quimby est mystérieuse, prenante d’un bout à l’autre du roman, il se trouve malgré tout une sorte d’incise ou de parenthèse dans l’intrigue, qui n’est autre que la résolution du meurtre de la petite Amy. Mais justement : la question se pose de savoir si cette intrigue secondaire (quoique non déconnectée de l’intrigue principale) n’aurait pas pu, à elle seule, faire l’objet d’un second volume. Les personnages y auraient peut-être gagné un peu en épaisseur. D’autant plus que Baer et Greene, d’un bout à l’autre du roman, savent ménager le suspense, alterner les scènes d’action et les épisodes de doutes ou de réflexion posée.
En définitive, Vertiges Mortels n’est pas, dans l’optique des auteurs, un « simple » scénario d’épisode de série télévisée qu’ils auraient en quelque sorte gonflé et couché sur le papier sans y mettre trop de soin. Leur souci de crédibilité plaide en leur faveur. Toutefois, on considérera ce roman aux personnages dotés d’un intéressant potentiel dramatique comme un galop d’essai qui attend une suite.
Vertiges mortels, Neal Baer, Jonathan Greene, (trad. Pascal Aubin), (Kill Switch), MA Editions, 18 septembre 2012, 20€