Dans Trois saisons d’orage de Cécile Coulon, un médecin de ville s’installe à la campagne. Sujet banal que l’auteure transforme en véritable tragédie antique où la nature et ses orages dominent l’homme et son histoire. Quand la chronique d’un lieu se transforme en théâtre universel…


On naît ici ou on n’est pas. Naître ici, c’est avoir connu les champs à perte de vue où l’on tombe au sol entouré de ses vaches, où l’on est devenu « fourmi blanche » dans les nouvelles carrières créées par les frères Charrier, entrepreneurs de la moitié du XXe siècle, nouveaux venus dans un monde rural et pourvoyeur de travail, d’éducation, de logements. Être des Fontaines, c’est aussi repousser au loin la ville, cet être tentaculaire où l’on ne se rend jamais, mais qui effraie. Être des Fontaines c‘est encore participer à la nature, dans sa dimension épique, celle qui donne « l’herbe, la pierre, l’eau, les arbres », qui génèrent surtout ces « forces » omniprésentes qui régissent la vie des hommes : « elles n’avaient pas de nom, pas de forme, elles étaient le vent qui soufflait à travers les arbres, l’orage qui démontait les toits des maisons, les torrents énervés au pied des carrières, elles étaient le froid qui tombait brutalement à la fin deux mois d’octobre, les cailloux qui s’enfonçaient dans les pieds nus des adolescents. Les forces étaient partout ».

Cette arrivée du premier médecin à la « Cabane » maison adoptive, véritable personnage, jusqu’à son acceptation par les habitants du hameau, Cécile Coulon l’accompagne de son style poétique et de procédés narratifs efficaces : le lecteur passe insensiblement d’un roman bucolique et sage, lent comme le lever du soleil, où les sentiments amoureux sont contenus, à un roman à suspense et dramatique bouleversé par la passion amoureuse, violent comme les vents furieux de l’automne. Semblable à une tragédie antique, un amour impossible et interdit va transformer l’ordonnancement millénaire d’un lieu et de la vie de ses habitants. Malgré la présence de ces trois figures symboliques que sont dans la France rurale de cette moitié du XXe siècle, le curé, le maire, le médecin, nous sommes loin de la littérature de terroir et de ses clichés. L’activation des « forces », la présence humaine de la nature vont donner un souffle épique, qui comme l’orage final, transporte le lecteur d’un paradis originel à une forme d’enfer.
Quand on referme l’ouvrage, lu d’une seule traite, on ne peut s’empêcher de penser aux cartes géographiques électorales de l’après-second tour des présidentielles et de leurs commentaires : opposition ville-campagne, mobilité sociale, peur de « l’étranger », sentiment d’appartenance, rôle des femmes, industrialisation et son évolution, différences culturelles, autant de thèmes sous-jacents dans ce roman qui démontre son caractère universel. Un grand et beau livre où la poésie et la tragédie rejoignent l’actualité.
Cécile Coulon Trois saisons d’orage, éditions Viviane Hamy, 5 janvier 2017, 264 pages, 19€
Ce livre fait partie de la sélection du Prix du Livre Inter et de la dernière sélection du Prix de la Société des Gens de Lettres. Il était aussi retenu dans le dernier choix du Prix de La Closerie des Lilas remporté par Hadamar.
