ALTO BRACO, DES UNIVERS SI DIFFÉRENTS CONFRONTÉS DANS UN MÊME ROMAN

L’héroïne de Vanessa Bamberger, Brune, va découvrir en retournant sur l’Aubrac de son enfance que l’on n’échappe jamais à ses origines. Alto Braco est un magnifique roman sur la transmission et le sentiment d’appartenance.

AUBRAC ALTO BRACO

C’est un roman où le ciel prend des couleurs de ténèbres. C’est un roman où les vaches ont les yeux maquillés de Kôhl. C’est un roman où les hommes ont élevé des murets pour couper l’horizon. C’est un roman qui se passe en Aubrac, cet « Alto Braco », ce «  haut lieu » en occitan. C’est un roman qui raconte l’histoire de deux jeunes filles figées dans un médaillon sur la couverture. Elles s’appellent Douce et Granita. Elles sont soeurs et elles sont grand-mère et grand-tante de Brune que les deux femmes ont élevée. Brune, qui a quitté l’Aveyron jeune pour la région parisienne, revient dans un petit village d’Aubrac pour enterrer Douce.

AUBRAC ALTO BRACO

Avec ce retour dans les paysages qu’elle a occultés, elle revient vers son passé, son enfance. Insensible à cet espace lunaire, elle est certaine que l’on oublie d’où l’on vient et que l’on est fait du temps présent. Mais la nature par sa beauté, ses mystères modèlent les femmes et les hommes, impose son rythme et fait surgir les souvenirs et les secrets car sur cette terre balayée par l’Ecir, les vies campagnardes à la fin du siècle dernier sont marquées par des histoires de famille où la propriété du sol se mêle aux sentiments. Les non dits s’enveloppent du brouillard omniprésent à ce carrefour de l’Aveyron, du Cantal et de la Lozère. Brune, citadine, fonctionnaire, va au fur et à mesure de ses retours sur le haut plateau dessiné par les moines du XII ème siècle, découvrir d’où elle vient vraiment et ressentir peu à peu la nécessité de sentiment d’appartenance.

Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Ou plutôt il faut savoir d’où l’on vient pour pouvoir l’oublier.

Vanessa Bamberger, qui s’était fait connaître avec son premier roman réussi Principe de suspension, prend avec ce texte une dimension supplémentaire. Les romans sur l’appartenance à la terre sont nombreux, de Giono à Marie-Hélène Lafon en passant par Alexandre Vialatte. Mais, s’appuyant sur une part autobiographique, l’autrice n’évoque pas un temps heureux temps révolu où la nostalgie du passé fait office d’Arcadie. Elle inscrit la quête de Brune dans la modernité d’une économie soumise aux contradictions des lois du marché. Par une magnifique alchimie minutieusement documentée, elle décrit le monde des éleveurs, leurs contraintes actuelles, leurs difficultés en plaçant ces vies dans les paysages indissociables de leur monde.

ALTO BRACO BAMBERGER

On apprend tout de la sélection des animaux, de la confrontation entre éleveurs « anciens » et éleveurs « modernes », mieux que dans un livre d’économie. Les portraits tressés patiemment, sans effets de manche, sont magnifiques. Du patron de bistrot au paysan de 80 ans dont l’horizon « s’arrêtait à sa ferme, à ses bêtes qu’il ne lâcherait jamais, parce qu’après il n’y avait rien, plus rien que le cimetière », c’est un Pays que Vanessa Bamberger nous offre à voir en prenant la hauteur d’un champ d’estive. Cette fusion des êtres avec la nature, on la retrouve dans les noms de femmes que l’on associe souvent aux noms de vaches qui fait écrire que

sur l’Aubrac, les vaches étaient plus précieuses que les êtres humains.

ALTO BRACO BAMBERGER

Les silhouettes et les caractères de Douce et Granita sont de ceux qui vous restent en mémoire après la lecture. Il faudra à Brune renouer avec ses paysages pour connaître vraiment ses deux grand mères qui l’ont élevée, pour comprendre leurs colères, leurs amours, leurs silences. Et même leur cuisine car les fumets de l’aligot, des farçous, disent autant que les mots.

AUBRAC ALTO BRACO

Les traces de loup dans la neige, la viande qui fond dans la bouche, l’eau des lacs qui frémit sous la brume, dessinent un paysage comme un panorama ouvert à 360 degrés, d’où on ne voit aucune ville, aucune demeure autre que celle des étoiles comme autant de flocons de neige sous la voûte céleste. Ces moments de l’intime, parfaitement racontés, qui nous constituent parfois à notre insu, nous offrent des dernières pages pleines de surprise, de révélations, de retournements comme une météo changeante et imprévisible.

Dans ce second roman, Vanessa Bamberger réussit à nous faire saisir la confrontation entre les univers si dissemblables du monde citadin et du monde rural. Elle trace des passerelles entre la ville et le village, entre le passé et le présent, entre la tradition et la modernité. Entre notre enfance et notre vie d’adulte. Une totale réussite.

Alto Braco de Vanessa Bamberger. Éditions Liana Levi. 240 pages. 19€.

 

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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