Agrégée de Lettres, Annie Ernaux vit en grande banlieue ouest de Paris. D’inspiration autobiographique, son œuvre littéraire vise à faire émerger les souvenirs personnels dans la nudité des faits ou à fixer « la mémoire du présent » à travers les signes de la vie quotidienne. Elle a notamment publié aux Éditions Gallimard L’événement, La vie extérieure, Se perdre, L’occupation, Les années. Un concentré de 40 ans de vie et d’écriture dans ce beau volume des éditions Gallimard/Quarto.
Écrire la vie a toujours été le but ultime du travail d’Annie Ernaux, dès sa première parution en 1974, son œuvre Les armoires vides donnait déjà le ton de ce qui allait être le fil conducteur de sa carrière littéraire. Si on analyse l’ensemble de toute son œuvre, l’on voit clairement que notre amie n’a absolument jamais changée de ligne de conduite. D’une constance rageuse tant l’accident n’a même jamais été approché. Si au fil du temps qui passe, son style a évolué, migré et son propos tout autant, alternant le lucide et le plus féroce. La construction de ce volume donnant encore plus d’aspect à ce fait.
L’ordre n’est pas chronologique mais suivant un fil conducteur de son existence.
La seconde particularité de l’ouvrage est d’avoir proposé une vision alternée à la classique biographie, ici aucune trace de vie romancée via une écriture qui raconte. C’est un album photo et une présentation de son journal intime qui raconte cette dame. L’analyse de sa vie étant donc plus vivante car c’est la capture des instants du passé qui s’offre au regard du lecteur.
Si on analyse ce choix plus dans le détail, on ne manquera pas de noter qu’il s’agit de faire rejoindre le personnel et l’universel. Une façon habile de rester dans les mémoires.
Un beau livre qui montre que si la littérature raconte souvent des histoires, elle raconte aussi la vie et c’est une des raisons que lire est indispensable à la vie.
Un beau livre qu’il faut lire pour s’évader et voir un peu la vie autrement.
Ce volume est organisé en miroir : à la place du traditionnel « Vie et oeuvre » ou de la Préface, il s’ouvre sur des séquences de photos organisées chronologiquement. Le commentaire de ces photos est composé d’extraits du Journal secret inédit d’Annie Ernaux (elle en a interdit la publication de son vivant). Les photos sont toutes des photos personnelles des proches, des lieux. Photos sans ambition esthétique, mais qui rendent parfaitement compte du projet immense de ce Quarto : Écrire la vie.
Cette première écriture, celle de l’instant devenu souvenir, n’a rien de spontané. L’état des photos en témoigne. Elles ont souffert, la surface a perdu son aspect lisse, elles ont reçu quelques coups malgré tout le soin dont on sent qu’elles ont été entourées. Elles sont précieuses malgré leur modestie, et l’émotion nous étreint, sans que l’on sache pourquoi, à les regarder ainsi rassemblées. Sans doute parce que l’on pressent ce qu’elles cachent derrière ce qu’elles disent. Elles sont la mémoire vive des drames qui constituent la trame de l’écriture des textes, mais sans l’action.Elles en sont plutôt le décor, les acteurs figurent paisiblement, le café épicerie est là en arrière-fond, la Normandie, Yvetot, les promenades du dimanche, le quai de la gare, un décor et des gens si banals ! Les onze ouvrages sélectionnés pour ce volume, précédemment parus dans la « collection blanche », répondent à ce premier corpus dans un autre registre : le drame assumé, sinon exorcisé. « Écrire la vie » prend alors un autre sens : sans l’écriture qui livre le chemin d’une vie libre, il n’y aurait que souffrance, remords, accablement et refoulement.
La passion de l’écriture se confond avec la passion de la vie, après l’avoir engendrée. Vivre et écrire ne font plus qu’un. Rien n’est banal, rien n’est dérisoire. À ces onze titres s’ajoutent dix textes brefs : tous sont de courts récits, des observations, des réflexions sur l’écriture ou la lecture (à l’exception d’une fiction, « Hôtel Casanova »).
« Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l on éprouve de façon individuelle : le corps, l éducation, l appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l existence des autres, la maladie, le deuil. Je n ai pas cherché à m écrire, à faire uvre de ma vie : je me suis servie d elle, des événements, généralement ordinaires, qui l ont traversée, des situations et des sentiments qu il m a été donné de connaître, comme d une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l ordre d une vérité sensible. » Annie Ernaux, juillet 2011.