ATTERRIR SUR LE NUAGE JAUNE, LES PROMESSES DE JEUNES AUTEURS

Chaque année, le prix du jeune écrivain récompense des auteurs en herbe et publie leurs nouvelles en un recueil. Atterrir sur le nuage jaune et autres nouvelles est le cru de cette année 2018. Si le résultat est parfois inégal, les promesses de nouvelles plumes montantes n’en sont pas moins réelles.

PRIX JEUNE ECRIVAIN 2018

À plume bien née, la valeur n’attend pas le nombre des années. Le prix du jeune écrivain est une occasion de prouver que la jeunesse sait parfois trouver les mots et les rythmes les plus justes, les plus percutants. L’objectif de ce concours de nouvelles destiné aux jeunes de 15 à 27 ans est de dénicher les nouveaux talents francophones à travers le monde. Cette année, ils étaient plus d’un millier à soumettre leurs textes à un jury d’écrivains. De ce millier de nouvelles, de ces millions de mots, ceux-ci n’ont gardé que quelque 312 pages : un recueil des douze nouvelles sélectionnées et primées : Atterrir sur le nuage jaune et autres nouvelles.

PRIX JEUNE ECRIVAIN 2018

« Ces jeunes écrivains […] n’ont soudain plus peur de rien », assure Alain Absire. L’écrivain, prix Femina 1987, présidait le jury de cette trente-troisième édition. « Le tout […] est bel et bien d’oser donner vie avec leurs mots à ce qu’ils recèlent en eux à la fois d’intimement personnel et d’universel », continue-t-il.

En quelques dizaines de pages, le temps d’une simple esquisse littéraire, ces auteurs en herbe lient leur sensibilité à cet universel littéraire. Ils parlent d’amour et de mort, surtout. L’amour y est souvent interdit et la mort, un tabou que l’on peine à briser. Mais au-delà de ces fils qui lient les différentes nouvelles primées, chaque sensibilité personnelle tente de dompter ses propres mots, pour aborder ce qui leur tient à cœur.

Alors ils parlent de harcèlement, de peurs, de l’inaction engluée devant un jeu vidéo, de la folie pour achever une toile, d’errances, de défis. Certaines nouvelles jouent avec le fantastique, d’autres avec l’Histoire. Certaines se font intimes et douces, poétiques. D’autres sont plus dures.

DES ÉCRITURES ENCORE JEUNES

C’est une nouvelle génération qui écrit, et qui apporte son regard propre sur notre monde, à travers l’écriture. Les plus jeunes primés n’ont que 19 ans, les plus âgés, 27 ans. Parfois, on ne sent l’âge qu’à travers la jeunesse de l’écriture. Le style de ces jeunes auteurs a plus ou moins de maturité selon les nouvelles. Certains se cherchent encore, n’ont pas encore de patte propre. Leur récit se livre de manière plus ou moins lisse, avec une mélodie parfois trop monotone. D’autres à l’inverse s’affirment davantage. Ils jouent avec les mots, trouvent leur propre rythme, tantôt frénétique, calé sur la vitesse d’un jeu, tantôt doux, bercé par les grillons.

Mais au-delà de cette maturité, c’est une tonalité générationnelle que l’on trouve parfois dans ces nouvelles. Une génération qui doute, une génération dont la vie se prolonge sur les réseaux sociaux. Une génération, surtout, qui a l’impression d’être coincée, comme dans un niveau de jeu vidéo dont on ne saisit pas les mécaniques, dont on ne trouve pas la solution. C’est peut-être cela qui a déterminé le choix du jury.

Alexandra Troubé

Premier prix de ce concours, Atterrir sur le nuage jaune est enfermé dans ces doutes. « Saute. Frappe, frappe. Saute. »  Ces ordres que reprend la lauréate, Alexandra Troubé, une partie de cette génération n’arrive pas à les exécuter, n’arrive pas à sauter dans la société, coincée dans un chômage ou des situations qui s’y associent. Alors ces jeunes, comme l’héroïne de sa nouvelle, restent immobiles, bloqués dans leurs doutes, et ne sautent, frappent, frappent et sautent que devant leur écran, évoluant dans un jeu vidéo à défaut de pouvoir évoluer ailleurs. Le rythme de l’écriture accompagne les bonds, les mouvements de manette, par touches précipitées, répétitives.

S’IL FALLAIT N’EN RETENIR QUE DEUX…

Mais comme dans tout classement, on a envie de bousculer l’ordre donné par le jury. S’il fallait retenir des nouvelles, peut-être faudrait-il préférer, à l’originalité et au concept, les écritures les plus mûres, aux styles les plus travaillés, aux histoires les plus fortes. Deux récits se distinguent de ces quelque 300 pages, deux récits tissés de tristesse et de violence.

Phew Laroc
Phew Laroc 5ème du concours du jeune écrivain

Ce que nous avons fait l’automne dernier aborde cette brutalité — le harcèlement scolaire, le rejet cruel des collégiens — avec une simplicité désarmante. Phew Laroc, l’auteur de cette nouvelle, se contente de raconter. Il raconte ces violences scolaires du point de vue de jeunes collégiennes haïtiennes, retranscrit leurs interrogations presque innocentes, sans tomber dans les caricatures. Il raconte ces cercles qui s’ouvrent ou se referment sur les personnes, ces disputes et ces non-dits, avec l’équilibre du quotidien banal – jusqu’à ce que tout dérape, et c’est alors un coup pour le lecteur, parce que le jeune Haïtien, âgé de 25 ans, sait trouver le ton juste, sans trop s’embarrasser d’un style trop lourd.

Morgane Salvan Russeil
3ème Prix du Jeune Écrivain Francophone

À cette simplicité s’oppose la richesse des émotions, la poésie sensitive du Chant des grillons, un jour d’été de Morgane Russeil-Salvan. Au fil des pages, les sentiments se déposent, par touches successives, comme sur une toile impressionniste. Détresse et peur, tendresse et douceur. Le canevas qui reçoit ces coups de pinceau est un canevas de chair, de cuir, de sang, de terre et de charogne, aussi. La charogne d’un lapin écrasé et qui empeste. L’écriture est nerveuse, mais reste avant tout poétique, d’une douceur parfois douloureuse, qui nous plonge dans cette touffeur estivale, qui nous fait toucher, nous fait mettre les mains et le nez dans cette poussière blanche, au fil des pages, jusqu’à ce que l’esprit lui aussi se laisse porter par ce chant des grillons.

Malgré l’inégale qualité des nouvelles primées, malgré parfois des dialogues qui peuvent sonner faux, des écritures qui peuvent paraître trop plates, ces récits qui se détachent — il y en a plusieurs, rassurez-vous — font apprécier ce recueil éclectique de nouvelles. Surtout, cette lecture en appelle d’autres. On a envie que ces talents en herbe, déjà bercés par de nombreuses lectures, continuent de travailler, continuent d’écrire et de monter, pour nous offrir de nouveaux textes. On a envie qu’ils parviennent, comme dans ce niveau de jeu vidéo, à atterrir sur ce nuage jaune qui les propulsera à un niveau supérieur. Ils en ont, après tout, le potentiel.

PRIX JEUNE ECRIVAIN Retrouvez les articles de Morgane Russeil pour unidivers ici.

Article précédentTRANSAT EN VILLE, L’AFRIQUE ENCHANTEE DE GABRIEL SAGLIO ET DES VIEILLES PIES
Article suivantMY ABSOLUTE DARLING GABRIEL TALLENT EN PLEIN WILDERNESS

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici