BD Billy Lavigne : un western classique et atypique

billy lavigne

Le western bd est à la mode. Anthony Pastor, en respectant les codes, donne pourtant à ce genre un magnifique coup de modernité.

Les ciels sont comme ceux de Van Gogh à Auvers sur Oise : tourmentés et plein de volutes. Ceux du peintre néerlandais sont, pour la plupart, lumineux, flamboyants comme peuvent l’être ceux d’un été étouffant. Les ciels d’Anthony Pastor, qui surplombent la silhouette de cow-boy de Billy Lavigne sont au contraire essentiellement noirs et sombres. C’est que la vie vient de s’effondrer au dessus de la tête du jeune vacher: « Ouvre les yeux, Billy. Le ciel est noir. Ta mère est morte ». Ainsi commence sans ambages le récit d’une voix off qui va guider le lecteur dans les méandres d’un passé mystérieux et compliqué. Ainsi s’ouvrent les pages du début où des mustangs courent sous des nuages d’orages. Ainsi débute une histoire où les révélations s’emboîtent les unes dans les autres comme des poupées gigognes.

bd billy lavigne

Dans sa BD précédente, La femme à l’étoile, qui ouvrait le triptyque en cours, Anthony Pastor portait un regard contemporain sur un récit de genre typé et codé. Dans un huis clos oppressant et enneigé, il narrait l’histoire d’une squaw en fuite avec le jeune Zach. On découvrait peu à peu au fil des pages, les secrets enfouis de leurs existences respectives. Pastor superposait les souvenirs, comme les pièces d’un puzzle qui se dévoilait peu à peu pour finalement offrir un récit féministe d’une héroïne décidée à ne pas respecter les principes d’une société violente et patriarcale.

Cette fois-ci, l’héroïne est une femme décédée, noyée ou assassinée dont le portrait tracé par les souvenirs des hommes qui l’ont connue, et pour certains aimée, est celui d’une femme libre, une Frenchie, devenue institutrice et mère de ce Billy Lavigne, au nom à la consonance française. L’enfant va grandir sous l’ombre de deux hommes, le Capitaine et le Colonel, deux hommes puissants qui ont aimé sa mère et dont l’un d’eux est certainement son géniteur. Qui est le père ? Une question à la réponse essentielle qui va traverser les 120 pages de ce récit introspectif mais haletant.

Si Anthony Pastor démythifie les codes du western, il garde de la conquête de l’Ouest la violence physique, l’absence de morale et la loi du plus fort ou du plus riche. Les scènes traditionnelles de dressage des chevaux sauvages ou les chevauchées dans une nature vierge sont magnifiques. Mais le dessinateur y ajoute sa touche personnelle, celle d’un pas de côté pour voir les scènes de genre différemment. Billy Lavigne est le meilleur des cow-boys. Viril certes, mais il est aussi fragile, à la quête de son identité qui ne saurait se résumer à ses qualités professionnelles. Bien entendu, il y a aussi le Bon, la Bête et le Truand, mais là encore ces qualificatifs se mélangent pour dresser une galerie de personnages complexes au point d’inciter de nous inciter à reprendre notre lecture au début pour tenter de cerner les caractères réels de chacune et chacun. Qui est vraiment qui dans ce drame qui relève presque de l’antique ?

Le récit est sans relâche, dans une tension permanente à l’image du visage sans cesse tourmenté de Billy. Pastor, utilisant la voix off du destin, ne nous donne pas toutes les clés dès le départ. Le monde manichéen du western se transforme ici en univers ambigüe ou chacun cherche sa place dans une communauté repliée sur elle même qui s’épie et se craint.

Difficile après Giraud, Ralph Meyer, Boucq et tant d’autres de créer un nouvel univers graphique dans ce genre si codé. Pourtant Pastor y parvient tant dans ses paysages du Texas sauvage et inviolé, que dans ses personnages inquiétants, incertains, aux silhouettes typées mais aussi inoubliables. On retrouve la lumière brûlante chère à l’Algérie de Jacques Ferrandez et son trait noir encerclant les personnages et leurs expressions. Malgré un format d’album relativement modeste le sentiment d’espace gigantesque nous envahit.

Un troisième album, devrait clôturer ce triptyque. Un Retour au Yellowstone que nous attendons avec impatience. Un album a priori « sans violence, ni coup de feu ». Un autre pas de côté en somme.

bd billy lavigne

Billy Lavigne de Anthony Pastor. Éditions Casterman. 152 pages. 22€. Parution : 5 Mars 2025. Feuilleter

Une édition spéciale de 1500 exemplaires avec coffret et tiré à part est disponible dans les librairies Canal BD.

Article précédentNicole Zeizig donne la parole aux Silencieuses mercredi 12 mars 2025
Article suivantJean-Louis Debré, homme politique et littéraire, est décédé
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici