Une adaptation BD par Rabaté d’un récit de François Morel, c’est forcément un évènement. Même si, et surtout messieurs, Ce n’est pas d’aujourd’hui que je vous aime.
Ces deux là étaient faits pour se rencontrer. François Morel, ancien Deschiens, chroniqueur sur France Inter et surtout Pierrot lunaire sur scène. Pascal Rabaté, auteur de BD et notamment de l’inoubliable album Les Petits Ruisseaux, qui dessine dans tous ses ouvrages des voitures en forme de caisse à savon, des petits cyclos qui serpentent dans la campagne et qui donne aux enseignes commerçantes des noms originaux.
Tous les deux ont en commun, cette légèreté, cet amour des mots et des jeux de mots. On les imagine facilement le soir, assis sur un banc de Touraine ou de l’Orne, devisant comme des anciens, le nez dans le firmament et se racontant des mots, des phrases, des images. Des étoiles. Cette BD est le fruit de cette rencontre et l’album ne pouvait être autrement : tendre et poétique, doux et mélancolique.
Si vous êtes connaisseur de François Morel (et même diplômé de François Morel), ces noms vous sont obligatoirement familiers : Isabelle Samain, un patronyme qu’il a prononcé partout à la radio, sur scène comme une ritournelle sans fin. Isabelle Samain. Elle devait être belle Isabelle Samain, à quatorze ans, puisque le jeune François en tombe éperdument amoureux, au point de devenir, pour elle, tennisman, nageur ou collectionneur d’ongles. C’est beau et bête les premiers émois amoureux. C’est beau et bête le cœur qui s’emballe, le pantalon qui se redresse, la main qui tremble. C’est beau et bête comme l’histoire du monde même si ce n’est que l’époque de Giscard et de Salut les Copains.
Ce passage obligé, François Morel l’a décrit dans son ouvrage C’est aujourd’hui que je vous aime (1) où il raconte les premiers émois et les impulsions du corps (souvent visibles !). Isabelle Samain. Isabelle Samain. C’est une véritable chanson de Geste qu’il nous propose, une chanson d’amour comme du temps des preux chevaliers, mais sans armure ni trompette. Avec plutôt humour et dérision. Et cette litanie de verbes à la Prévert pour conjuguer niquer, chevaucher, tirer, culbuter à la manière du verbe aimer.
Sur ces mots Rabaté ne pouvait y glisser que des traits légers et colorés. Il prend sa place, toute sa place, profitant d’une pagination généreuse pour étaler ses dessins libres comme l’air, où il réussit à animer le texte en démultipliant le « pauvre » adolescent qu’est François en autant d’observateurs de ses émois amoureux vains. Ils sont beaux les traits de Rabaté et ont une douceur, un provincialisme qui fait penser à Jacques Tati. On est à la campagne quand les lapins lapinent et se multiplient sans les états d’âme du « pauvre » François. Les couleurs explosent comme un feu d’artifice ou une pollution nocturne (même à 15 heures !).
Dans sa préface, François Morel écrit que son récit était « parfaitement inadaptable en bande dessinée ». Il était donc naturel que Rabaté la fasse, cette adaptation. Et la réussisse. Sans prétention, C’est aujourd’hui que je vous aime, vous offre un peu de légèreté et de tendresse. Même s’il manque un peu de cycles sur les routes. Et de voitures en forme de caisses de savon. Mais par contre, il y a bien Isabelle Samain, Isabelle Samain, Isabelle Samain… On découvre sa queue de cheval. Et son sourire, si vous saviez son sourire…
C’est aujourd’hui que je vous aime. Scénario : François Morel et Pascal Rabaté. Dessin et couleur : Pascal Rabaté. Éditions Les Arènes BD. Janvier 2019. 72 pages. 18 €.
(1). Éditions du Sonneur.
François Morel est homme de scène et homme de lettres. Tour à tour acteur, chroniqueur, chanteur avec, en point commun à ces diverses activités, une certaine poésie. Une poésie qui sonne comme un refrain dans C’est aujourd’hui que je vous aime, publié aux éditions du Sonneur. Un récit touchant sur les amours de jeunesse. (Publié en mars 2018)