Charles Masson raconte avec tendresse la vie simple de René, habitant des Bauges, qui a perdu ses sept frères et sœurs dans Sept Vies à vivre aux éditions Delcourt. Paradoxalement, un bel hymne à la vie et à l’optimisme.
Sur la couverture, il est sympa le vieux monsieur sur sa mobylette. Il a le sourire. Il porte une chemise à carreaux rouge car « c’est moins salissant ». Il s’appelle René. Rien d’exceptionnel. Un homme ordinaire qui a vécu une vie ordinaire. Enfin presque, parce que comme tous les anonymes, son existence est unique, suffisamment pour que Charles Masson s’y intéresse, lui qui porte son attention sur ces « gens de rien » (du nom de la collection auquel il donna son premier titre) qui nous constituent presque tous. René, ses caractéristiques essentielles sont doubles. D’abord il est né et vit en Savoie, plus précisément dans les Bauges, dans les montagnes déshéritées, au-dessus des vallées sans cesse pillées par des envahisseurs multiples. C’est beau les Bauges mais c’est pauvre et René va naître pauvre. Et vivre pauvre.
Ensuite René a sept vies à vivre, ces vies ce sont celles de ses cinq frères et deux sœurs nés, et décédés, avant lui. Alors pour eux, il a décidé de vivre sept fois plus que les autres et de sourire à tous les événements qui se présentent à lui.
« Il aurait toujours une bonne raison d’être malheureux, mais il se garde d’être jamais triste. »
Bon sang que cela fait du bien de partager, par les temps qui courent, cet optimisme et ce sourire qui le font passer parfois pour un gentil benêt. Certes, il dut quitter l’école de bonne heure et sa culture souffre de la comparaison avec celle de Céline, cette femme qu’il rencontre, si différente de lui, politisée et qui lui ouvrira des portes de la réflexion, sans condescendance ou apitoiement. Pourtant sa vie va s’enrichir car si éloignée du monde que puisse être sa maison, René vit la Résistance et les massacres commis par les nazis dans ses montagnes juste avant leur défaite. Il découvre aussi la haine, celle de Français envers d’autres Français. Il apprend naïvement l’idéologie coloniale au Maroc en devenant soldat chez les Spahis mais il évitera la guerre. Il vit avec son regard décalé de grands événements historiques.
La nostalgie n’est pas uniquement celle de la mobylette et des événements passés. C’est aussi celle d’un dessin pixelisé qui nous rappelle les vieux magazines pour enfants, du temps où l’imprimerie peinait à mélanger les couleurs primaires. Cela sent bon Fripounet et Marisette, les vieux comics américains, cela respire les années cinquante et les Mistral gagnant de Renaud. On ne sait rien des relations de l’auteur d’avec René mais on devine une connivence profonde et sincère, on imagine des heures d’écoute d’un vieux monsieur racontant sa vie, avec ses mots à lui, sa naïveté mais aussi sa profonde gentillesse. On sent chez le dessinateur de la tendresse pour son « modèle ». Le lecteur ne peut être que séduit par ce personnage attachant qui mène une existence faite de tragédies mais aussi de petits et grands bonheurs, de sieste dans le foin, de soleil dans les cheveux, de balades en luge avec sa petite sœur qui l’appelle « Grand ». Grand frère, vieux garçon, soutien de famille, comme un papa, autant d’expressions pour désigner celui que l’on imaginerait bien sous les traits de Jacques Tati. Il va traverser les épreuves d’une vie : les décès, l’alcool, la haine, les moqueries. Il va tomber, s’agenouiller mais jamais sombrer. Se relever pour reprendre contact avec ses sept frères et sœurs. Pour eux, pour leur mémoire. Et la promesse qu’il leur a faite. Ainsi passe une vie.
« Entre les hivers et les étés qui passent, c’est la monotonie comme religion, le vin de messe comme carburant ».
Quand approche la fin, fidèle à sa profession de foi d’enfant, quand on s’appelle René, que l’on a envie de vivre, on coupe sa moustache à l’heure de la retraite venue pour redevenir séduisant et enfin réaliser son rêve d’amour. Il n’est jamais trop tard.
« On ne peut pas faire de bons livres avec de bons sentiments » entend-on souvent comme une sentence. Charles Masson, sans mièvrerie, mais avec une écoute attentive, prouve le contraire.