Le casting sauvage : entre quête d’authenticité et phénomène éphémère

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Maïwène Barthélémy et Abou Sangaré © Marc Piasecki

Souvent privilégié dans le cinéma d’auteur et les films indépendants, le casting sauvage s’impose de plus en plus comme un véritable tremplin pour de jeunes acteurs et actrices non professionnels. Mais pourquoi cette méthode séduit-elle de plus en plus de réalisateur(ice)s et directeur(ice)s de casting à la recherche de nouveaux talents? Quels sont ses atouts et quelles en sont les limites ?

Avec l’essor des plateformes comme Instagram, TikTok et YouTube, les directeurs de casting disposent d’un vivier infini de nouveaux visages. Fini le temps où le casting sauvage consistait uniquement à arpenter les rues : aujourd’hui, un simple scroll permet de repérer des talents bruts. Récemment, Abou Sangaré, découvert pour L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine, a reçu le César du meilleur espoir masculin tandis que Maïwène Barthélémy a été sacrée espoir féminin pour avoir interprété Marie-Lise dans Vingt Dieux de Louise Courvoisier. Aucun de ces deux lauréats n’est acteur à l’origine : ces deux exemples illustrent parfaitement la tendance à rechercher des interprètes au plus proche du réel.

Maïwène Barthélémy vingt dieux
Maïwène Barthélémy dans le film Vingt Dieux

Une quête de réalisme et d’authenticité

Le casting sauvage répond à une volonté de réalisme. Certains réalisateurs cherchent des visages inédits et des jeux spontanés pour éviter des performances trop calibrées, même lorsque les histoires sont fictives. C’est ce qui permet au spectateur de se plonger complètement dans l’univers de l’œuvre. Dominique Besnehard, l’un des premiers à populariser cette pratique en France, explique que les acteurs amateurs apportent une vérité qu’un comédien confirmé peine parfois à reproduire. Leur jeu est un moyen de se rapprocher de la forme documentaire. 

Certains rôles nécessitent une proximité avec la réalité que seul un casting sauvage peut offrir. Dans L’Histoire de Souleymane, Abou Sangaré incarne un jeune d’un jeune migrant livreur à vélo dans les rues de Paris qui s’apprête à être auditionné par l’OFPRA pour sa demande d’asile. Cette vie ressemble en plusieurs points à celle de l’acteur principal qui a inspiré le scénario. Ainsi, quand Souleymane raconte son histoire et tente à tout prix d’obtenir ce titre de séjour, c’est Abou Sangaré qui exprime son propre vécu à travers cette sublime interprétation. L’implication est telle qu’il est difficilement imaginable qu’un acteur éloigné de cette réalité, bien que confirmé, puisse relever le défi avec autant de sincérité. Dans Vingt Dieux, Maïwène Barthélémy joue un rôle inspiré de sa propre expérience dans le milieu agricole de Franche-Comté. Ces films donnent la parole à des personnes qui connaissent réellement ces situations, rendant leurs témoignages d’autant plus puissants. 

Le cinéma indépendant a toujours eu recours au casting sauvage. Lisa Akoka et Romane Guéret ont par exemple fait un casting sauvage pour trouver Mallory Wanecque et Timéo Mahaut qui jouent respectivement Lily et Ryan dans Les Pires. Ils jouent leur propre rôle, à quelques détails près. La carrière de la jeune fille ne s’est pas arrêtée là, car elle a récemment brillé dans L’Amour Ouf de Gilles Lellouche, aux côtés de Malik Frikah, lui-même repéré sur les réseaux sociaux pour ce projet. Cette pratique s’étend aujourd’hui aux productions à plus gros budget. Netflix et HBO, par exemple, intègrent de plus en plus d’acteurs non professionnels dans leurs séries. Même le cinéma grand public s’y met : Vincent Lacoste, révélé par Riad Sattouf dans Les Beaux Gosses grâce à un casting sauvage, est aujourd’hui une figure incontournable du cinéma français.

Si certains acteurs révélés par le casting sauvage poursuivent une carrière, d’autres disparaissent après un rôle marquant. Ces « acteurs Kleenex » sont parfaits pour un rôle précis, mais n’ont pas la technique ou la polyvalence d’un comédien formé. Le problème du « one shot », c’est qu’un acteur repéré pour un rôle extrêmement spécifique risque d’être perçu comme incapable d’en jouer un autre. Son absence de technique le cantonne souvent à des rôles proches de sa propre histoire, ce qui limite ses opportunités. 

Abou Sangaré, en recevant son César, a livré un discours puissant sur son propre vécu. Ce type de récompense donne de la visibilité à des personnes qui ne seraient jamais montées sur scène autrement. Le jeune homme a par ailleurs enfin obtenu un titre de séjour valable un an grâce à son rôle dans L’histoire de Souleymane. Il a affirmé qu’il ne souhaitait pas poursuivre de carrière dans le cinéma, car sa volonté est de terminer sa formation de mécanicien.

Un paradoxe philosophique et esthétique

Le casting sauvage pose une question fondamentale : qu’est-ce qu’être acteur ? Peut-on être un véritable comédien si l’on ne fait que incarner son propre rôle ? Certains réalisateurs assument ce parti pris pour capturer une vérité brute qui dépasse la performance. Mais cela soulève aussi une réflexion sur l’art de l’interprétation et la place des comédiens professionnels face à cette vague d’acteurs amateurs. Dans Vingt Dieux, Clément Faveau, qui interprète Totone, ignore encore s’il souhaite saisir cet élan dans le cinéma. Maïwène Barthélémy, quant à elle, souhaiterait poursuivre dans cette voie sans pour autant mettre de côté son travail agricole. 

Le casting sauvage s’est imposé comme un outil incontournable du cinéma contemporain, transformant l’accès au métier d’acteur et bousculant les codes du jeu. Une opportunité pour des talents issus de milieux sous-représentés, bien que celle-ci puisse être éphémère, qui redéfinit la frontière entre fiction et réalité. Son succès pose cependant une question : un acteur doit-il être capable d’incarner n’importe quel rôle, ou suffit-il d’être la bonne personne au bon endroit pour marquer durablement le cinéma ? 

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