Celui de nous deux qui part le premier, de Christian Dorsan, est un récit coup de poing. Inutile de se le cacher plus longtemps, celle ou celui qui passe à côté de ce roman court, sec, écrit au scalpel, visant l’efficacité sans fioritures, rate un rendez-vous important proposé par la jeune maison d’édition Vibration.
Pourquoi ? Parce qu’il nous explose à la face, nous tiraille tous les vaisseaux du cœur. Oui tous ! Christian Dorsan nous offre là un texte d’une force remarquable, écrit d’une plume acérée et juste. Jamais dans le jugement, il soulève des thématiques universelles autant qu’existentielles. Et l’on a plaisir à découvrir un récit d’aussi bonne facture. Un coup de cœur de cette rentrée d’hiver duquel on ne sort pas indemne.
L’auteur a conçu un texte avec bien peu de dialogues. Et on imagine qu’il ne s’agit pas d’un hasard, loin de là ! S’il avait identifié les personnages, on aurait pu tomber dans le cliché alors que le récit conserve ainsi son universalité. Chacun s’y retrouvera. Ou pas… Le narrateur subit sa vie, il n’en serait donc pas l’acteur, ce qui rend les frustrations très grandes et l’empêche d’avancer, d’agir… Est-ce par lâcheté ? Par manque de volonté ? Par faiblesse ? À travers ce récit, on devine malgré tout que qui que ce soit est soumis au désir, au manque de désir, à la peur du désir qui peut paralyser. Quant au désir inavoué, voire inavouable, il est clairement abordé. Car nous sommes tous exposés parfois à des désirs « inavouables » que nous refoulons ou n’assumons pas. Pourquoi ? Par peur du qu’en-dira-t-on ? La pression sociale ? Le regard sanction des proches ? Sa propre incompréhension ? Et le narrateur de regarder sa vie défiler sans aucun contrôle sur elle… et de nous en livrer davantage dans ses silences qu’en utilisant la parole… Une tempête permanente sous un crâne en fusion. C’est probablement dans ses non-dits que brille toute la force de ce roman qui nous interroge à chaque page.
« Écrire les silences d’un homme qui est complexé par sa sensibilité à fleur de peau, qui cache une expression émotionnelle intense. C’est aussi la renaissance du désir. Son désir.
Voici donc l’histoire d’un notable, trentenaire d’une petite ville au bord d’un fleuve, qui a repris l’étude notariale de ses parents et l’appartement familial qu’il a baptisé : l’Étuve. Il est marié et a un enfant. Il s’ennuie. S’il ne quitte pas sa femme, ce n’est pas par lâcheté, mais par paresse. Il a eu dans sa jeunesse, une Belle Histoire et une Inavouable. Un soir, en rentrant de l’école avec l’Enfant, il croise la route de Belle Histoire. Cette rencontre va réveiller le désir en lui, l’envie de vivre et lui faire prendre conscience de ses manques affectifs. C’est un nouveau souffle. Reviennent alors les souvenirs de jeunesse et notamment celui d’Inavouable.
Nous sommes devenus quelque chose d’établi, de fondé, la base ne vacille pas. Pas en surface en tout cas. Vaciller serait se montrer en spectacle, se laisser déborder par la tentation d’émotions faciles.
Celui de nous deux qui part le premier cède au désir de libérer ses instincts.
Se poser la question de rester, de partir, c’est peut-être avoir commencé à y répondre. Mais ce n’est pas par lâcheté ou faiblesse que je ne prends pas de décision, une certaine paresse guide mon quotidien. Je connais les moindres recoins de l’Étuve, du travail, qu’on y fait, de ses hôtes éphémères. Je me surprends à vivre d’habitudes. Je m’habille d’habitudes, de rituels, tout ce qui me permet d’évoluer sans faire de vagues. Et hier ressemble à aujourd’hui, à demain. C’est au moment où ma vie sommeille, où ce confort m’ennuie que je croise à nouveau la route de Belle Histoire… »
Il n’est pas rare que les auteurs rechignent à être comparés les uns aux autres. Ils redoutent — souvent à juste titre — d’être rangés dans une case, dans un style. Il n’empêche. Avec Celui de nous deux qui part le premier, Christian Dorsan se rapproche de thématiques chères à Philippe Besson ou encore à la jeune auteure Mona Azzam.
Celui de nous deux qui part le premier de Christian Dorsan – Éditions Vibration – 100 pages. Parution : janvier 2019. 16 €.
Christian Dorsan, de son vrai nom Christian Champetier, tire son pseudonyme de son village Orsan, dans le Gard. Membre des « Romanciers Nantais », il travaille dans l’univers de la presse, collabore au magazine L’Indic et rédige des fiches lectures pour 20Minutes. Attiré par la spiritualité, il tente de concilier la théorie avec le quotidien, préférant la simplicité au langage obscur. Malgré la diversité des thèmes abordés et des styles, il y a une constance dans son écriture, la quête de l’identité, le besoin de savoir et de chercher pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Savoir d’où on vient et quelle est la véritable racine de l’être.