Dans ce livre Constance Debré dissèque au scalpel de son écriture le passage à son homosexualité et, surtout, l’amour pour son fils dont le père veut la priver. Dérangeant et bouleversant.
« Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s’aimer ».
C’est écrit dès la première phrase et le lecteur sait ainsi à quoi s’attendre. Pas de périphrase, pas de circonvolution, Constance Debré s’attaque au corps, au coeur, de suite, sans préalable. D’entrée on sait si on va rentrer dans cet univers, ou en sortir immédiatement. Pas étonnant quand on sait combien Play Boy le précédent roman de l’autrice avait dézingué le couple, la sexualité, la famille. C’est bien encore de la famille qu’il s’agit dans ce nouveau roman autobiographique où elle écrit une double partition traçant des parallèles qui se côtoient, mais ne se coupent jamais. D’un côté son homosexualité découverte ou assumée tardivement. De l’autre les relations avec son petit garçon dont son père veut la priver.
Une alternance qui s’écrit ainsi :
D’un côté, « Mon boulot c’est d’attendre, de nager et de baiser les filles ».
De l’autre, « Si tu es triste quand même, sache que je pense à toi tous les jours, je suis ta mère, c’est quelque chose qui ne cesse jamais. Je t ‘embrasse. Maman. »
D’un chapitre à l’autre, on est transportés dans cette vie brinquebalante, entre métros et co-locations, bars et piscines, dans une géographie parisienne qui nous est détaillée comme la carte de Tendre. Désormais, celle dont on est bien obligé de préciser qu’elle est la nièce de l’ancien président du conseil constitutionnel pour montrer le grand écart de sa vie, celle qui va avoir 50 ans, a quitté une vie sociale normée, sa profession d’avocate, son mari, pour mettre son existence dans un sac et donner vie à son corps en nageant et en faisant l‘amour avec des partenaires dont elle craint l’attachement. Cette vie là lui convient, c’est celle des autres, celle d’avant, qu’elle trouve affligeante. Ces familles lieux du mensonge, du semblant, de « l’obscène ».
Pourtant à la lire on ne trouve guère de joie dans cet univers réduit à l’essentiel : donner une vie pleine à son corps et tenter de penser pour écrire. Une blessure suinte de ce quotidien qui se veut hors norme : à la suite de sa séparation avec Paul, son ex, elle ne peut plus voir son fils. Le père de l’enfant l’accuse d’inceste, d’être un danger pour leur enfant par son immoralité, sa sexualité. De procédure judiciaire en expertise psychiatrique Constance Debré, après des mois d’attente ne peut voir Paul que dans un espace médiatisé, en présence de tiers. Elle n’est pas dans les clous, elle dérange et trouble les institutions, qui finissent pourtant pas s’interroger sur les affirmations du père.
« La justice est porno, l’amour est porno, la famille est porno, il n’y a que le sexe qui ne l’est jamais. Puisqu’on se tait pour une fois, puisqu’on arrête de mentir ».
Elle, qui subit une terrible injustice ne se révolte pourtant pas, elle ne clame pas sa haine d’une société qu’elle rejette sans la haïr, elle ne crache pas sur le père manipulateur et haineux. Elle assume de vivre « à côté », de payer le prix de cet écart et tente de poursuivre son chemin en assumant ses choix, celui de la liberté.
Tiré au cordeau, sans temps mort, Love Me Tender est un long cri d’amour, ou plutôt la souffrance d’un cri d’amour. Les mots, le style sont violents, bruts, réels comme pour cacher une sensibilité à fleur de peau, pour dissimuler l’expression des sentiments. On s’aperçoit alors que la question d’ouverture n’est qu’une provocation ou une dissimulation car ce livre n’a qu’un seul but, dire à Paul combien sa mère l’aime. Ce livre est un magnifique livre d’amour.
Love me Tender de Constance Debré. Éditions Flammarion. 190 pages. 8 janvier 2020. 18€.