Sorti le 28 août 2015, l’album Depression Cherry du duo américain Beach House est plutôt passé inaperçu. C’est pourquoi il nous paraît utile d’en reparler. On pourrait à première écoute classer cette musique dans le genre pop indé mais cette dénomination serait trop large pour définir pleinement la singularité de ce duo d’artistes.
Dream pop, de la pop onirique c’est ça, le mot est lâché. Les chansons de Victoria Legrand (chant et claviers) et d’Alex Scally (guitare et claviers) sont en effet une invitation à se délester de toute lourdeur terrestre pour pénétrer dans une ambiance apaisante, cotonneuse et profondément planante. Les titres Levitation et Space Song annoncent la couleur : on est bel et bien en apesanteur, et ce durant les dix morceaux qui composent l’album. Effectivement, il est assez rare d’observer une telle cohérence sur un disque : Beach House a créé sa propre musique avec une couleur sonore que l’on retrouve sur chaque morceau.
Les claviers permettent certes facilement une uniformisation du son ainsi que les arpèges joués à la guitare, présents sur la majorité des titres, mais l’originalité et la qualité des mélodies instrumentales et vocales révèlent une réelle recherche en terme de créativité ce qui confère à Beach House une véritable identité. Les parties de guitare sont plutôt novatrices. Par exemple le titre PPP démontre assez bien cet aspect, l’arpège en son clair y est construit sur un rythme ternaire, ce qui est peu commun, les rythmes binaires étant plus souvent choisis dans le genre pop. La progression d’accords est très longue ce qui confère au morceau une dimension riche et non répétitive. L’utilisation occasionnelle du bottleneck (tube en acier que l’on fait glisser sur les cordes de la guitare produisant un effet étiré de la note jouée) vient ajouter à l’originalité des compositions. En alternance aux sons clairs, Alex Scally a recourt à des effets saturés dans un esprit légèrement noise à la fois doux et puissant semblable à certains morceaux des groupes Ride ou My Bloody Valentine. Concernant les claviers, les nappes et arpèges se combinent très bien avec la guitare en créant de subtiles harmonies célestes qui rendent cette musique proche du genre ambient dont le plus grand ambassadeur fut Brian Eno.
L’œuvre de Beach House qui compte six albums (dont quatre parus sur le label indie américian Sub Pop) est donc très certainement influencée, mais totalement éloignée du plagiat. Le chant de Victoria Legrand, qui n’est autre que la nièce du compositeur français Michel Legrand, nous fait ici la démonstration d’une grande maîtrise technique ainsi que d’une réelle inventivité. Les interprétations sont poussées à l’extrême, alternant puissance et élasticité dans l’affirmation des mots avec une voix plus rentrée, douce et sensuelle via un timbre unique légèrement rocailleux et androgyne. Concernant les textes de quoi s’agit-il ? Le titre de l’album est assez énigmatique effectivement : Depression Cherry… Dépression, cerise, rouge comme le sang… il y a certainement une ambivalence dans le concept du disque, chacun peut y voir ce qu’il entend, car toutes les oreilles n’ont pas le même ressenti face à ce genre de musique assez peu diffusée dans les médias français mainstream. Certains la trouveront belle et réconfortante, d’autres déstabilisante, voire anxiogène, car lente et cassant les codes un peu à la manière de l’album Loveless (1991) du groupe My Bloody Valentine et c’est bien là que réside l’ambivalence du titre. Le calme, la beauté, cet ailleurs vers lequel nous invite ce duo dans la chanson Levitation qui ouvre cet opus sont des directions qui nous amènent à prendre des chemins alternatifs nous remettant parfois inconfortablement en question.
AlbumBeach House Depression Cherry, Sub Pop 2015 – tournée en France Juin 2016
Beach House : Discographie :
2006 : Beach House (Carpark)
2008 : Devotion (Carpark)
2010 : Teen Dream (Sub Pop)
2012 : Bloom (Sub Pop)
2015 : Depression Cherry (Sub Pop)
2015 : Thank Your Lucky Stars (Sub Pop)