Enfance orpheline, amour en fuite, Jean-Baptiste Andrea signe avec son troisième roman une œuvre forte, profondément humaine. Quand l’horreur de l’orphelinat construit un homme musicien. Formidable.
C’est un livre musical. Pourtant sans notes, sans partitions, sans portées, il délivre une sombre mélodie, du Beethoven, car Joe le narrateur, n’interprète que du Beethoven. Il joue partout dans le monde, mais dans le hall des gares, des aéroports de Canberra, de Vancouver, de Tokyo et jamais dans des salles de concerts. Il joue divinement, les voyageurs s’arrêtent, subjugués, emportés. Et Joe emporte aussi avec lui le lecteur en nous racontant son histoire qui l’amène au 2 Mai 1969. Ce jour-là Joe, qui a une quinzaine d’années, est atteint d’un mal incurable : il devient orphelin.
« Sans passé, sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et une mélodie à une note ça n’existe pas ».
D’un enfant choyé, il devient un paria, pas assez pauvre et pas assez riche, une note perdue dans le silence de la montagne pyrénéenne. « Je partis pour un lieu dont vous n’entendrez jamais parler. Il est fermé depuis longtemps. L’orphelinat Les Confins. Je dis fermé, mais chez certains, il saigne encore ». Dans cet orphelinat religieux, il va vivre une année d’enfance loin du monde des vivants, une année fondatrice d’une existence bosselée, modifiée à jamais. Il va y découvrir la folie des hommes, les joies de l’amitié, les prémices de l’amour, loin d’un monde qui l’a abandonné car « elle n’intéresse personne, l’humanité des petits pas », alors que quelques jours plus tard Armstrong accomplit sur la lune « un grand pas pour l’Humanité ».
Pour résister il vaut mieux être plusieurs. Alors cela ressemble à un club des Cinq, mais un club des Cinq pour adultes, un club des cinq où les aventures peuvent détruire un être à jamais. Il y a un groupe, la Vigie, un tunnel, un secret, un cachot, des fuites, mais les héros de la série de Enid Blyton, ne sont pas ici des adolescents turbulents en quête d’aventure, mais des jeunes cassés avant d’avoir commencé à vivre. Il y a Sousix, le plus jeune, Sinatra aux rêves d’Amérique, Edison aux talents scientifiques insoupçonnés, Fouine, Dany enfermé dans sa tête à vie et Momo, l’enfant au regard vide et au sourire éternel. Des enfants meurtris qui nous touchent au plus profond de nous-même tant le style Jean-Baptiste Andrea nous les rend proches, accessibles et terriblement humains. L’auteur évite le misérabilisme, les larmes faciles et joue avec finesse et justesse sur les touches de notre sensibilité et pas de notre sensiblerie. Reprendre les mots de l’enfance pour raconter les violences, les folies des adultes, Andrea l’avait déjà fait dans son remarquable Ma Reine, mais cette fois-ci il prend la hauteur, le recul d’un homme de soixante-cinq ans qui nous interpelle, nous prend à témoin, de son histoire, de sa vie. Et son style rhythmique fait battre la mesure de ses mots qui deviennent notes de musique.
Et puis il y a quand même un peu d’amour, dissimulé, caché même sous une haine apparente. Elle est pleine d’épines, Rose, « pimbêche, gâtée, trop riche », mais si belle sous sa carapace de grande bourgeoise. On pense alors à Antoine Doinel et aux « Quatre cents coups » de Truffaut tant Joe, si maltraité, possède encore l’énergie incroyable de l’enfance, celle qui lui va faire passer les horreurs pour atteindre son statut d’homme. Tout est noir aux Confins, mais la force de l’adolescence est plus forte que tout et surpasse la noirceur du thème. La musique, même sans instrument, aide à vivre, comme le dialogue rêvé de Joe avec Michael Collins, astronaute resté en orbite autour de la lune, lui permettant de quitter la terre, quand la violence est trop forte.
« Il se fait tard, madame, monsieur. L’affaire touche à sa fin » nous dit Joe en jouant ses dernières notes. Il se fait tard, mais madame, monsieur, je vous en prie prenez ce livre, ouvrez-le à la première page et écoutez la musique, celle de Beethoven et celle de Jean-Baptiste Andréa. Elles vont vous emmener aux Confins, aux confins de l’existence, là où le rêve vous sauve de la mort. Là, où adolescents cassés, on se dit qu’il est encore possible de reconstruire une vie. Avec plusieurs notes de musique.
Des Diables et des Saints de Jean-Baptiste Andrea. Éditions l’Iconoclaste. Parution : 7 janvier 2021. 364 pages. Prix : 19€
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