Ebook, Pourquoi diaboliser le livre numérique ? Fin du papier ?

Alors qu’aux États-Unis, les ventes d’ebooks (livre électronique) rattrapent ou dépassent celles de livres papier, la France semble résister à ce phénomène. Certains voient dans la numérisation la mort de l’édition et refusent l’adaptation de leurs travaux d’écriture. Entre réalité et fiction, l’ebook peut-il sauver la littérature ? Quitte à enterrer le format papier ? A quand des salons de l’ebook littéraire ?…

Praticité et formats multiples

Les plus réfractaires au livre numérique avancent l’argument de la froideur du support. Tourner une page, la toucher, avoir en main un très grand format de livre, offrir un livre à un ami – quel plaisir ! Des habitudes prises depuis les bancs de l’école, comme celle de tenir un stylo pour écrire. Or, si l’habitude d’écrire à la main se perd, celle de tourner des feuilles de papier n’est peut être pas plus immuable.

Toutefois, avant d’en arriver là, il faut bien noter que, dans plusieurs domaines, le numérique manque de praticité. Notamment, quand une recherche vous conduit à consulter plusieurs ouvrages en même temps ou plusieurs endroits d’un ouvrage sur un écran. Des marques-pages existent en numérique, mais les écrans (en dehors des plus de 20 pouces) n’ont pas suffisamment d’espace pour concurrencer les « beaux livres » et le valeureux bureauoù s’étalent les ouvrages préférés. La fonction zoom de l’écran n’est pas encore naturelle chez tout le monde. Reste que le sérieux problème de la multiplicité des formats tend à disparaître avec la généralisation de l’Epub sur les liseuses comme sur les téléphones et tablettes.

La fameuse Kindle d'Amazon

Le problème du prix, des DRM et de l’immatérialité

La France présente la particularité d’imposer un prix unique pour les livres. La loi Lang évite spéculations et dérives. Grâce à elle et la dimension du conseil qui reste l’apanage des librairies, le livre a survécu. Malheureusement, le marché en devient finalement à se caricaturer. Comment comprendre le prix fixé par certains éditeurs pour des romans par rapport à l’éditeur voisin qui publie le même format à moindre prix et verse les mêmes royalties ? Comment le prix peut-il autant chuter lors d’une édition en Poche ? Bien sûr, c’est un produit d’appel pour le reste des éditions de l’éditeur, bien sûr, le prix dépend  de la qualité du papier, la taille de l’entreprise, etc.

Les questions de prix subsistent lors du passage au numérique. Parfois supérieur au support-papier, parfois inférieurs, plus chers que des éditions poches, il y a de tout dans les circuits indépendants et les auto-éditions. Il faut ajouter à ce prix, celui de la liseuse qui peut être couleur ou en « papier électronique », sans même parler du coût économique et environnemental (et la production de papier?) de la recharge électrique jugée trop souvent négligeable. Et puis, la liseuse ne permet pas de consulter ses mails et internet. Ce que font le smartphone et les tablettes, mais… à un prix autrement plus onéreux. Certes, les tarifs de ces joujoux de luxe devraient eux aussi se démocratiser dans les années qui viennent. À voir.

En outre, la peur du piratage est là. L’autre entrave à un développement rapide des ebooks est, à l’instar de la musique électronique, l’imposition de DRM (Gestion Numérique des Droits en français). Autrement dit des protections empêchant l’utilisateur de copier ou de distribuer une œuvre qu’il a acquise. Pire, un certain nombre d’œuvres proposées gratuitement sont dotées de DRM. Pourquoi ? À la manière des cookies, histoire de pister un peu plus les habitudes des lecteurs…

Et puis le scandale fut grand récemment, quand une bibliothèque s’est mise au prêt d’ouvrages numériques : le droit de prêt  comprenait une fonction interne de chronodestruction qui faisait que l’ebook s’autodétruisait après 3 semaines. Les usagers étaient en rogne…

Si un livre en papier peut se prêter à un ami, s’emprunter dans une bibliothèque, s’offrir au pied du sapin, impossible avec un ebook. Impossible de demander à ma copine Lucie de me prêter son iPad pour lire le remarquable catalogue consacré à l’exposition Hooper qu’elle a achetée. Cela équivaudrait à lui emprunter toute une journée son sac à main !

Et ce n’est pas les quelques possibilités d’emprunter instaurées par Amazon, la bête noire de ces libraires, qui vont changer grand-chose. Le droit numérique doit évoluer avec les besoins des utilisateurs, et non l’inverse. Ce que les bibliothécaires s’emploient à faire actuellement dans le respect de leur mission de service public.

Chaîne de production et numérisation

La chaîne de production d’un livre reste pas si éloignée de celle de Gutenberg, malgré les progrès dans l’informatisation de l’édition. Souvent, le manuscrit de l’auteur doit être retranscrit dans un format exploitable par des rotatives et des moyens d’impression papier et retranscrit ensuite dans un format numérique, voire scanné et retouché dans les cas les plus complexes. C’est évidemment une perte de temps et d’argent dans le monde de l’édition et il est possible de rationaliser tout cela. Pour les œuvres les plus anciennes, la numérisation est un marché très lucratif où Google et d’autres se sont engouffrés très rapidement. Pendant que le projet Gutenberg s’efforce de mettre à disposition gratuitement des œuvres du patrimoine mondial, d’autres s’arrogent des droits d’exploitation par le biais de contrat de numérisation. La Bibliothèque Nationale de France a ainsi passé un contrat avec Google pour numériser son fonds documentaire dans des conditions très favorables au groupe américain après quelques années.

La fin des Rotatives ? (photo Wikipedia)

Le Domaine public en danger ?

Ce regrettable exemple tout comme le fait de rééditer des œuvres prêt à tomber dans le domaine public avec quelques additions afin d’en renouveler les droits indique que le domaine public est en danger. Cela étant, le numérique a le mérite de mettre en lumière des œuvres inconnues ou passées de mode. Et il donne accès gratuitement, par exemple aux étudiants, à des œuvres auparavant disponibles en seule librairie contra monnaie sonnante. Maupassant, Balzac, Verne, Zola, Hugo sont tous disponibles gratuitement, de même que Shakespeare, Goethe, Voltaire, etc. Mieux, des livres fragiles enfermés dans des compactus retrouvent la lumière du regard de l’utilisateur d’un écran numérique. Et plutôt que d’avoir une liseuse, ils peuvent même être emportés partout sur un smartphone.

Démocratisation de la lecture et hypermédia

Des livres dans son smartphone

Le passage au numérique constitue un moyen extraordinaire de redonner le goût de lire, tout au moins, de consulter un support d’information. Sur ce même outil qui permet d’aller sur Facebook ou sur Twitter, il est possible de lire un livre. Où que l’on soit, pendant la durée que l’on veut, de marquer sa page, ajouter des annotations, etc. La plus grande bibliothèque du monde est disponible en quelques clics sans avoir à s’inscrire. Mieux encore, les éditeurs les plus avancés dans l’ebook peuvent rendre tout cela plus glamour avec l’apport de photos, dessins et même vidéos, avec des liens hypertextes pouvant renvoyer sur des sites internet, etc. On arrive à une nouvelle question : peut-on encore parler de livre ? Un Ebook est-il un livre ? À notre avis non, c’est quelque chose de l’ordre de l’hypermédia. Et, encore une fois, l’hypermédia impose ses propres règles dans l’espace et le temps, entre utilisateurs et entre producteurs et ces derniers. Règles qui promettent d’aller vers un usage toujours facilité. Dans la mesure où droit d’auteur et intérêt économique s’en sortiront bien.

En outre, cette démocratisation de la lecture est aussi une démocratisation possible de l’écriture. En effet, les auteurs peuvent plus facilement se faire éditer ou s’autoéditer (bien que les grosses plateformes payantes n’y aident plus vraiment). Créer un ebook sera bientôt aussi facile qu’écrire un document dans un traitement de texte. Mais, là encore, un ebook est-il livre au plan du contenu ? Quand Roger fait un ebook avec quelques photos des rues en bas de chez lui qu’il accompagne de poésies à faire vomir ou pleurer et que lieront au grand mot 2 des 20 personnes à qui il l’offrira, c’est la noblesse précieuse attachée au mot livre qui en prend un coup. Le tout éditable contribue autant à démocratiser qu’à niveller.

Alors que va devenir le livre papier ? Il va en grande partie disparaître. Seuls survivront le livre de luxe, le livre cadeau, le livre œuvre d’art et une partie des livres d’artiste (difficiles à numériser et à diffuser). Survivront les nouveaux incunables réfractaires à la numérisation.

Didier et Nicolas

 

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Didier Acker
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