Fuocoammare de Gianfranco Rosi, par-delà Lampedusa, par-delà l’horreur

Fuocoammare, par-delà Lampedusa : « Lampedusa », tiens ça me dit quelque chose… ah oui, cette île près de la Sicile où atterrissent tous les bateaux de réfugiés qui viennent d’Afrique… ce pourrait être le résumé à l’emporte-pièce, teinté d’un peu d’indifférence que se ferait n’importe quel quidam, assistant à table à l’énoncé calamiteux des nouvelles quotidiennes. Tiens, une nouvelle catastrophe humanitaire. Un bateau contenant 450 personnes, une embarcation surchargée, la mort de 35 ressortissants Érythréens, en majorité des femmes et des enfants… toujours, ou presque, la même litanie.

« FUOCOAMMARE, “mer en feu”, désigne en effet une réalité pour les migrants, mais, pour les habitants de l’île, il s’agit d’abord d’une chanson populaire ». Gianfranco Rosi

fuocoammareTriste à dire, mais peu à peu tous se sont habitués à ces tragiques commentaires, comme s’ils faisaient partie d’une actualité aussi peu apte à nous émouvoir qu’à nous intéresser. Alors un bon conseil, allez voir Fuocoammare. Cette coproduction franco-italienne qui oscille entre film et documentaire, alterne, avec Lampedusa en toile de fond, l’histoire de Samuele, jeune garçon de 12 ans dont le souci principal est de souffrir du mal de mer dès qu’il met le pied sur un bateau, et la réalité des réfugiés africains dont l’unique préoccupation est d’échapper à une vie de souffrances et de privations. L’aspect assez curieux du film est l’absence d’interpénétration des thèmes traités. On en arrive à se demander pourquoi Gianfranco Rosi a mis en scène ce jeune insulaire à la vie plutôt normale, préoccupé de fronde, de copains et de son problème de nausée, quand de pauvres gens endurent de telles souffrances. Elles sont d’ailleurs montrées sans voyeurisme, ou complaisance particulière.

fuocoammareOn découvre le comptage des naufragés, les prises de photos pour les identifier, les soins permanents que des garde-côtes au bord de l’implosion, sont obligés de leur prodiguer, et le tragique défilé d’êtres parvenus aux ultimes limites de leurs forces. Malgré les inévitables « procédures » nécessaires pour agir de façon efficace, l’humanité reste bien présente et c’est le médecin, seul trait d’union entre ces deux mondes parallèles, qui en fait un plaidoyer sincère et profond. Il y a, dans l’objectif de la caméra de Rosi, quelque chose de cru et sans concession. Pendant un moment, elle ira même jusqu’à s’attarder dans la cale d’un navire, jonchée de corps entremêlés, qui rappellent les terrifiantes images des camps d’un autre temps. La séquence n’est pas longue, elle est pourtant une des plus fortes du film. Avec une sorte d’impudeur d’où est bannie toute retenue, le réalisateur nous oblige à nous confronter à la réalité de ces traversées . On est loin des images de salvation, mais en prise directe avec l’horreur de ces empilements, plus tout à fait humains.

fuocoammareLe mot « passeurs » est cité et nous renvoie encore à l’inhumanité. Comment peut-on avoir l’esprit assez retors pour expédier volontairement à la mort femmes et enfants après les avoir minutieusement dépouillés du peu qu’ils possèdent ? L’instant d’après, nous sommes transportés dans un intérieur italien où une « mama » consciencieuse tend les draps et les couvre-lits, d’une chambre douillette à la décoration saint-sulpicienne. Contraste absolu !! Ce sursaut de révolte ne durera qu’un instant, car avec acuité se pose la question récurrente dans l’actualité de ces derniers mois — mais que faire de tous ces gens ??
Difficile d’implanter des Nigérians, des Libyens, des Syriens et Somaliens au sein de cultures occidentales dont les coutumes leur semblent souvent inacceptables voir scandaleuses, la réciproque étant vraie. Gianfranco Rosi ne prétend pas apporter de solution, du moins nous invite-t-il à ne pas cesser de réfléchir plutôt que de continuer à vivre en ne regardant que ce qui nous convient, évitant soigneusement de croiser le regard de celui qui se demande pourquoi sa souffrance nous gène tant.

Couronné et plusieurs fois cité, Fuocoammare, qui emprunte son titre à une chanson populaire sicilienne, a reçu l’ours d’or 2016 à la Berlinale de Berlin. Dénonçant clairement une forme d’incurie de l’Europe, il invite pourtant à ne jamais renoncer, et à se souvenir que dans la détresse, il n’y a ni couleur ni religion.

Fuocoammare de Gianfranco Rosi, une coproduction franco-italienne, Ours d’or 2016, durée : 109 minutes, sortie en France : 28 septembre 2016

Prix :

Berlinale 2016 Ours d’Or, Prix du Jury Oecuménique, Prix Amnesty International, Prix du Jury du Berliner Morgenpost.
21Uno Film / Stemal Entertainment / Les Films d’Ici. En coproduction avec Arte France Cinéma Avec la participation de
Arte France En association avec Istituto Luce Cinecittà et Rai Cinema

 

LISTE ARTISTIQUE
avec (dans leur propre rôle)
SAMUELE PUCILLO
MATTIAS CUCINA
SAMUELE CARUANA
PIETRO BARTOLO
GIUSEPPE FRAGAPANE
MARIA SIGNORELLO
FRANCESCO PATERNA
FRANCESCO MANNINO
MARIA COSTA

Réalisation : Gianfranco Rosi
Production : Stemal Entertainment – Donatella Palermo, 21 Uno Film – Gianfranco Rosi, Les Films d’Ici – Serge Lalou et Camille Laemlé
Écrit par : Gianfranco Rosi
Sur une idée de : Carla Cattani
Montage : Jacopo Quadri
Montage son : Stephano Grosso
Coproduction : Arte France Cinéma
Avec la participation : de Arte France
En association avec Istituto Luce Cinecittà et Rai Cinema

À l’occasion de la sortie au cinéma de FUOCOAMMARE, PAR-DELÀ LAMPEDUSA, Météore Films sort le 28 septembre 2016
les trois premiers films de Gianfranco Rosi, à ce jour inédits en salles :
1993 I BOATMAN I 55 min.
Bénarès (Inde), dernier sanctuaire de la vie avant d’entreprendre l’ultime traversée. Voguer le long du Gange avec Gopal le passeur, c’est un peu comme s’aventurer à la croisée des mondes ; aussi bien entre la vie et la mort qu’entre l’Orient et l’Occident.
2008 I BELOW SEA LEVEL I 113 min.
À 300 kilomètres au sud-est de Los Angeles et 35 mètres sous le niveau de la mer, un groupe de marginaux vit au milieu du désert. Il ne s’agit pas d’une communauté de hippies, seulement de gens qui ont tourné le dos à la société autant qu’ils en ont été exclus.
2010 I EL SICARIO – ROOM 164 I 80 min.
Nous avons rendez-vous avec un tueur du cartel des narcotrafiquants mexicains. Véritable expert en torture et en kidnapping, cet homme qui a tué des centaines de personnes a connu une première vie professionnelle dans les forces de police locales. Au moment où la caméra à recueille son témoignage, c’est un fugitif recherché par ses anciens patrons, prêts à payer 250 000 dollars à qui le ramènera mort ou vif. La tête masquée, il livre les confessions détaillées de vingt ans de sa vie.

FILMOGRAPHIE
1993 I BOATMAN
Sundance Film Festival 1994 – Sélection officielle. Festival de Locarno – Sélection officielle. Toronto International Film Festival –
Sélection officielle
2008 I BELOW SEA LEVEL
Mostra de Venise 2008 – Prix Orizzonti, Prix Doc/It. Cinéma du réel 2009 – Grand Prix, Prix des Jeunes One World Film Festival de Prague – Prix du meilleur film Bif&st 2009 – Prix Vittorio De Seta du meilleur documentaire European Film Awards 2009 Nomination
meilleur documentaire.
2010 I EL SICARIO – ROOM 164
Mostra de Venise 2010 – Sélection officielle, Prix Fipresci, Prix Doc/It du meilleur documentaire DocLisboa 2010 – Prix du meilleur film Doc Aviv 2011 – Prix du meilleur film Open City London Documentary Film Festival – Grand Prix du jury
2013 I SACRO GRA
Mostra de Venise 2013 – Lion d’or
2016 I FUOCOAMMARE, PAR-DELÀ LAMPEDUSA
Berlinale 2016 (en compétition) – Sélection officielle, Ours d’or, Prix du jury œcuménique, Prix Amnesty International, Prix du Jury du Berliner Morgenpost

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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