Gévezé, l’été sous couvre-feu : quand la tranquillité vacille, que faire de la jeunesse ?

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Depuis le 14 juillet, à Gévezé, petite commune tranquille au nord-ouest de Rennes, les rues se vident dès la nuit tombée. Pas par crainte du noir ou d’un orage d’été, mais parce que les moins de 16 ans n’ont plus le droit d’y traîner. De 23h à 6h, c’est couvre-feu. Une mesure rare, radicale, qui en dit long sur les tensions d’une époque où l’enfance flirte parfois trop tôt avec la violence.

De la rumeur aux flammes

Au début, ce n’étaient que des échos. Un bruit de poubelle renversée, une vitre étoilée sur un arrêt de bus. Puis les faits se sont multipliés : containers incendiés, véhicules dégradés, abribus explosés. Et toujours, en sourdine, une question : qui ? pourquoi ? Les autorités locales n’ont pas tardé à dresser un profil : des jeunes, parfois très jeunes, livrés à eux-mêmes dans l’entre-deux des soirs d’été. Le maire, Jean-Claude Rouault, a pris la décision : du 14 juillet au 30 septembre, les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés sont interdits de sortie de nuit. « Il faut que les parents se ressaisissent », a-t-il lancé à la presse, une phrase qui claque comme un ultimatum.

Un arrêté clair, une volonté ferme

L’arrêté municipal n°117/2025, pris le 12 juillet 2025 par le maire Jean-Claude Rouault, s’appuie sur le code général des collectivités territoriales (articles L.2212-1 et suivants), et stipule que :

« Il est interdit à toute personne mineure de moins de 16 ans non accompagnée d’un adulte responsable de circuler sur l’ensemble du territoire communal de Gévezé entre 23h et 6h, tous les jours de la semaine, du 14 juillet au 30 septembre 2025 inclus. »

Le document précise également que la gendarmerie est chargée de l’exécution de cet arrêté, et qu’il a été affiché en mairie et transmis au procureur de la République. En cas d’infraction, les mineurs pourront être reconduits à leur domicile par les forces de l’ordre, et les parents seront systématiquement informés.

Couvre-feu d’été, été sous tension

Dans les ruelles calmes de Gévezé, entre lotissements et pavillons fleuris, l’annonce a fait l’effet d’un choc. Un couvre-feu ? Ici ? Pour beaucoup d’habitants, c’est une première. Certains y voient une mesure de bon sens, d’autres un aveu d’échec collectif. Car en creux, cette décision révèle un vide éducatif, social, symbolique. « Ce n’est pas qu’on en veuille aux jeunes. Mais on ne sait plus comment les occuper », souffle une habitante croisée devant l’école. « Les structures ferment tôt, il n’y a pas grand-chose pour eux le soir, à part traîner. »

Une jeunesse dans l’angle mort ?

Les sociologues le répètent : l’ennui est une force centrifuge. Surtout chez les adolescents, surtout l’été, quand les repères se distendent et que l’ennui devient un terrain d’essai pour la transgression. Ajoutez à cela le manque de lieux de vie, la disparition des animateurs de rue, des familles parfois dépassées, et vous obtenez un cocktail que même une commune paisible peut difficilement contenir.

Ce qui inquiète, c’est que la mesure, loin de dissuader, ne semble pas avoir apaisé les tensions. Dès les premières nuits sous couvre-feu, de nouveaux actes de vandalisme ont été recensés. Comme un pied de nez aux autorités. Comme si la jeunesse en colère testait les limites du cadre qu’on venait d’imposer.

Un signal plus qu’une solution ?

À Gévezé, personne ne croit vraiment que cette interdiction règlera tout. Pas même la mairie, qui parle d’une mesure « temporaire » et « symbolique ». Car un arrêté municipal ne suffit pas à recréer du lien, ni à redonner du sens à des gamins qui le cherchent ailleurs, parfois dans la casse, parfois dans le défi.

Mais le symbole est fort : l’autorité parentale est convoquée, la responsabilité collective aussi. Et la question devient brûlante : comment retisser une communauté éducative quand chacun, du parent à l’élu, du prof au policier, semble débordé ?

Un malaise plus profond

Le cas de Gévezé n’est pas isolé. D’autres communes d’Ille-et-Vilaine ou de Bretagne ont mis en place des mesures similaires. Le phénomène semble se propager dans les interstices du territoire, là où la République est là, mais où ses relais du quotidien — éducateurs, médiateurs, bénévoles — manquent cruellement.

Ce que révèle ce couvre-feu, ce n’est pas tant un excès de violence qu’un manque de récit commun. Un vide de sens, que ni les caméras, ni les rondes, ni les interdictions ne suffisent à combler.

Et maintenant ?

À la rentrée, la municipalité promet une évaluation. Peut-être le couvre-feu sera-t-il levé, peut-être renforcé. Mais ce qui est sûr, c’est que la jeunesse ne disparaît pas avec un arrêté. Elle se déplace, s’adapte, résiste. Et elle continue de poser cette question : où est ma place ?

Et les parents dans tout ça ?

L’arrêté municipal de Gévezé appelle clairement les familles à reprendre la main. Mais quelles sanctions réelles sont envisageables si un jeune mineur enfreint le couvre-feu à plusieurs reprises ?

En l’état du droit, aucune sanction pénale directe n’est prévue pour les parents dans le cadre d’un simple arrêté de police municipale. Toutefois :

  • La gendarmerie peut effectuer un rappel à la loi auprès des parents, voire un signalement à la protection de l’enfance si la situation révèle une défaillance grave.
  • Dans certains cas, le parquet peut initier une mesure d’assistance éducative, mais cela relève d’un cadre judiciaire, indépendant du pouvoir municipal.
  • Enfin, en cas de trouble répété ou de danger manifeste, le maire peut saisir le juge des enfants, mais là encore, il s’agit de situations exceptionnelles.

Autrement dit, l’effet d’annonce est bien réel, mais le levier juridique est faible sans collaboration active des services sociaux et judiciaires. Ce qui soulève une question de fond :

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Ce que dit la loi
Un maire peut restreindre la liberté de circulation sur sa commune en vertu des articles L.2212-1 et L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales, dans le cadre de ses pouvoirs de police. Ces arrêtés doivent toutefois être proportionnés, motivés et limités dans le temps. Ils peuvent faire l’objet de recours devant le tribunal administratif.