Ici, commence la musique du monde de Pierre Tanguy est un hommage au grand poète et journaliste qu’était Xavier Grall, à l’occasion des quarante ans de sa disparition. Comme l’auteur l’indique dès les premières lignes, il s’agit de l’évocation d’une « rencontre »… Rencontre à haute teneur humaine, culturelle et spirituelle.
Tout commence à Brest en 1967, de jeunes étudiants, dont l’auteur, ont invité Xavier Grall à une conférence « Culture et avenir de la Bretagne ». Cet événement est le déclic de la double vocation de Pierre Tanguy. Le sous-titre « Sur les pas de Xavier Grall » prend ainsi toute sa valeur. Il s’agit pour Pierre Tanguy de montrer en quoi il est un héritier de la figure fraternelle de ce grand intercesseur. Comment l’œuvre du poète et journaliste breton a-t-elle traversé celle de Pierre Tanguy, journaliste et poète reconnu ?
Le livre se compose de cinq parties. Pierre Tanguy établit d’abord sa dette envers une de ces figures qui ont marqué le renouveau culturel breton depuis les années 60. Puis il évoque les hommages à la mort du poète, dont le sien, beau et touchant. Il reprend ensuite les articles que lui-même a publiés à la sortie de ses livres dans Le Courrier du Léon, Le Progrès de Cornouaille. Viennent des « Chroniques en résonance », « Écrire après Xavier Grall », publiées dans La Croix. La dernière partie s’attache à la présence de Xavier Grall, trente et quarante ans après. La postface de Jean Lavoué et des peintures de Rachel La Prairie complètent ce parcours.
On le voit, c’est le regard de Pierre Tanguy qui nous est livré dans ces pages. Le regard subjectif est assumé dans des récits personnels, tel son propre engagement dans l’animation des Cahiers du Bleun-Brug. La forme souple du « mélange littéraire » offre ainsi de courts poèmes en prose, de confidences, de souvenirs ou d’analyses qui dessinent une relation de fidélité et de fraternelle admiration.
Il y a d’abord son admiration pour le journaliste militant de la cause bretonne. Pour celui qui prend ses distances avec certaines dérives passées du mouvement breton. Pierre Tanguy écrit avec justesse : « Grall appelle un chat un chat ». On peut se rappeler le talent du polémiste dénonçant la collaboration de Breizh Atao pendant la guerre, à propos du journal de Yann Fouéré, L’Avenir de la Bretagne : « cette droite raciste, étroite […] la collaboration d’une fraction des nationalistes avec le pouvoir nazi a été, je le crois, une erreur à la fois morale et politique ». Sensible à l’aspiration de vivre et travailler au pays, peut-être idéalisée, Xavier Grall fut Breton autrement.
Pierre Tanguy partage la vision de Xavier Grall d’une Bretagne ouverte aux autres et à l’universel, solidaire de diverses causes, entre autres, la lutte contre l’apartheid avec André Brink, la lutte contre la torture en Algérie qui fut un épisode extrêmement marquant de sa vie.
Il y a également chez Pierre Tanguy le partage d’une quête spirituelle, d’une foi libérée de la férule catholique traditionnaliste pesante en Bretagne, valeurs qui sont celles de Xavier Grall. Dans l’esprit d’un Évangile attentif aux « Humiliés et Offensés », selon l’expression de Dostoïevski et inspiré de Lamennais sur qui Grall a écrit un ouvrage. Ce sens du sacré qui habitait Xavier Grall, c’est un peu celui de Pierre Tanguy. Et de rappeler les billets dans Le Matin, Croissance des jeunes nations, Témoignage chrétien et Le Monde qui portent la trace de cette conscience libre aux accents parfois mystiques. Ainsi de L’Inconnu me dévore.
Bien évidemment, c’est leur compagnonnage au royaume de la poésie que Pierre Tanguy rapporte ici avec grande sensibilité. Il fait revivre celui qui est fasciné par Rimbaud à qui il a consacré un livre, le poète qui fait connaître des voix comme celles de Pablo Neruda, d’Abdellatif Laâbi, de Tahar Ben Jelloun. L’indéfectible ami en poésie de Georges Perros, de Glenmor, de Youenn Gwernig et d’Yvon Le Men. La filiation poétique, Pierre Tanguy l’a conçue jusque dans le titre : « Ici commence la musique du monde » qui est une reprise d’un vers du superbe recueil La Sône des pluies et des tombes. De très belles pages mettent en lumière la puissance de textes comme « Solo ». Certes, le souffle lyrique qui caractérise la plupart des textes de Grall est aux antipodes de la forme sobre, volontairement concise des poèmes de Pierre Tanguy. L’héritage n’est-il pas toujours multiple ? L’auteur s’est autant nourri de poètes comme Philippe Jaccottet ou Gustave Roud plus tournés vers une écriture de la simplicité.
L’intérêt de ce livre tient à l’évocation d’un parcours, d’un compagnonnage autour de cette « souche chrétienne » qu’évoque Pierre Oster au sujet de Jean-Pierre Lemaire. D’autres regards ne manqueront pas d’être portés sur un des grands écrivains de la Bretagne, aux côtés de Guillevic, de Julien Gracq, pour ne citer qu’eux.