Il ne doit plus jamais rien m’arriver paraît aux éditions de l’Iconoclaste ce jeudi 9 mars 2023. En racontant le décès de sa mère, Mathieu Persan, dans son premier roman, évite le pathos pour écrire un superbe hymne à la vie. Tendre, doux. Vivant.
« Il ne doit plus jamais rien m’arriver », cette phrase est celle prononcée par la mère de l’auteur après la naissance de son premier enfant, la sœur aînée de Mathieu Persan. Placée sur la couverture de l’ouvrage, elle dit tout de ce récit consacré à cette femme, qui devenue mère, décide de se consacrer exclusivement à sa fille puis à ses deux fils qui lui succèderont. Elle veut être pour eux insubmersible, former un rempart, une digue, un château fort qui arrêteront les assauts répétés des problèmes de l’existence. Le père, à sa manière à lui, faite de tendresse, de recul, va lui aussi s’abandonner à la volonté exclusive de sa femme. La famille devient ainsi le pivot de la vie de ce couple, qui accueille au-dessus de leur appartement successivement deux des trois enfants comme un signe d’une protection qui va bien au-delà de l’enfance. Insubmersible donc jusqu’à ce que surgisse, à l’âge de la retraite, un impondérable définitif : le cancer.
« La tension de votre maman baisse très vite. Je pense que vous devriez venir si vous le pouvez ».
En se rendant à quatre heures à l’hôpital, Mathieu Persan se remémore alors, sous l’enseigne lumineuse du Toutou Shop, veilleur et guetteur des moments importants de la vie de famille, les derniers mois du combat mené par sa mère contre la maladie.
« Le genou. C’est arrivé par le genou. On s’attendait à tout sauf à ça. Connaissant maman elle aurait sans doute lancé : « le genou, ben merde c’est pas le pied » et ça l’aurait fait rigoler ».
Le ton est donné, et sur ce thème lu et relu des centaines de fois, l’auteur réussit à imposer sa patte originale et magnifique, qui oscille entre tendresse, tristesse et humour. Illustrateur connu notamment pour ses dessins dans le magazine Zadig ou les magnifiques couvertures des cinq romans à succès de la Saga des Cazalet (Quai Voltaire), il remplace les couleurs de ses crayons par les mots toujours justes, ceux qui disent de manière détournée l’amour incommensurable d’un enfant pour sa mère. Dans ce premier roman, qui évite les pièges du genre et les phrases ciselées des ateliers d’écriture, il décrit les étapes de la maladie sans pathos et trace en creux un superbe portrait de sa maman. Lorsque l’inéluctable arrive, progressivement, le ton change car vient le moment de continuer son chemin. Il faut bien vivre malgré tout. Surgissent alors les contingences matérielles, les préparatifs de l’enterrement, les formalités administratives, le choix d’un caveau, d’un cercueil. Au fur et à mesure des heures qui s’écoulent, la vie reprend le dessus et l’esprit de Mathieu Persan et de son père dérivent vers les souvenirs. La douleur ploie peu à peu devant des situations et des réflexions rocambolesques. Les sourires se multiplient au fil des pages, protection contre une douleur trop grande pour accaparer tout le corps et l’esprit. Cela ressemble à la réception donnée après l’inhumation : bruyante et gaie, « un succès » car au fil des pages, surgit un principe essentiel qui rend le livre magnifique : la vie n’est jamais aussi forte et belle que lorsqu’elle côtoie la mort. C’est la proximité de la fin qui rend son approche intense.
L’auteur dans son récit, ni exagérément drôle, ni exagérément triste, dresse un bel hymne aux joies et bonheurs de l’existence, à ses repas familiaux dominicaux, à ses belles-familles si disparates mais si attachantes par leurs différences. Il découvre aussi peu à peu que cette maman si protectrice, oublieuse de ses convictions féministes, abandonnant dans son rôle de mère toute ambition professionnelle, a probablement vécu une fracture personnelle qui modifia toute sa vie. On croit savoir, deviner, mais les mots s’arrêtent devant un secret jamais dévoilé.
Finalement, ce texte de Mathieu Persan n’a pour objectif que de maintenir à la surface de la Terre la mémoire de sa maman, elle, qui comme la plupart des êtres vivants, laissera finalement des traces vite oubliées, une fois une génération passée. « Et maman, qu’est-ce qui restera d’elle quand on sera tous morts ? Quand on retrouvera son pendentif en forme de cœur au fond d’une boîte, est-ce qu’on sera capable d’en raconter l’histoire ? ». Il restera d’elle ce magnifique texte qui ne prend pas la forme d’un hommage, mais restitue l’essentiel d’une vie. Et permettra à des arrière-arrière-petits-enfants de dire l’histoire d’un pendentif précieusement gardé au fond d’un coffre-fort. Comme si la vie se résumait à quelques histoires, à quelques objets et à rien d’autre.