Médias > Nous creusons la tombe de la presse et du citoyen informé

L’exercice de l’information est complexe. Son imbrication, parfois collusive, avec le monde de l’argent soulève des questions éthiques. Si l’on observe les bouleversements intervenus durant les cinquante dernières années, on constate que, contrairement à l’opinion ambiante, notre société n’est pas devenue un monde hyperinformé, mais un monde simplement autrement animé.

Chronologiquement, l’information s’est transmise par le média papier avant la radio puis la télévision et enfin Internet, plus récemment.

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Ces évolutions techniques ont contribué à modifier la manière de présenter l’information. Quant aux médias politiquement engagés, leur éventail est large : de l’anarchisme ou du libéralisme au collaborationniste et au communisme. Si la diffusion de l’information devait s’efforcer d’être neutre, dans les faits, la manière de présenter l’évènement recoupe la sensibilité du rédacteur. La radio ajouta le son, la télévision, des images animées. De la même manière qu’un réalisateur joue sur le montage et la mise en scène pour transmettre une idée, les médias mettent en scène l’information.

Les progrès de l’imprimerie et de la photo ont permis à la presse papier de développer l’image. Initialement en complément du texte, mais bien vite la place du rédactionnel s’est vue réduite. L’image est un donné immédiat alors que le texte nécessite un décodage supérieur de la part du lecteur. Ainsi distingue-t-on la presse « sérieuse » au rédactionnel souvent plus fourni, de la presse dite « tabloïd » à l’iconographie simpliste. Cette même distinction existe entre les radios commerciales et celles de débats. En télévision, ce fut  le cas avant que le mélange des genres n’apparaisse. En pratique, le basculement s’est opéré avec l’arrivée du financement par la publicité et l’émergence d’un lobbying y relatif. Comment critiquer celui qui nous nourrit ?…

Du côté des radios musicales, le lien avec les majors et autres maisons de disque ne date pas d’hier. Le développement de l’industrie du disque remonte aux années 50 où se sont mis en place des liens entre producteurs et animateurs qui ont fait carrière sur le dos de leurs homologues. En France, Europe 1 a longtemps eu une influence prépondérante en la matière avant l’arrivée des radios « libres ». Ces radios ont très vite dû faire face aux problèmes de financement et d’alimentation de l’antenne en musique. Si les premiers animateurs radios allaient chercher les nouveautés en farfouillant dans les bacs de leurs disquaires préférés, ils ont bien vite reçu leur package de nouveautés promues par la maison de disque avant de succomber aux sirènes du marketing pour cibler une clientèle spécifique. Ainsi, la nouveauté est maintenant passée dans les fourches caudines d’un panel d’experts et d’un chargé de marketing avant d’arriver dans une playlist que l’animateur ne maîtrise plus. Il ne reste que les petites radios locales pour passer des titres inconnus, des nouveautés, hors des canons de la mode. Ainsi Skyrock est-il passé du pop-rock au rap avant de laisser tomber peu à peu le créneau. Fun a visité tous les styles selon les modes du moment. D’autres ont préféré se tenir à un créneau pérenne ou donner dans la nostalgie…

Au sein du journaliste sportif, le phénomène est relativement similaire. Les journalistes de France Télévision Dominique Le Glou et Alain Vernon s’en sont fait écho en regrettant « l’âge d’or » de leur profession, à l’époque des Couderc, Chapatte, des noms qui ne disent plus grand-chose à nos contemporains. C’était le temps où le reportage primait sur l’image, où l’interview tentait d’apporter une valeur ajoutée. Un temps où le sponsoring était peu présent, où le sportif professionnel était encore rare. Dans une interview, Alain Vernon décrit bien les liens entre la presse et les organisateurs d’événement qui conduisent à fermer les yeux sur le dopage, la corruption, de peur d’entacher sa carrière. De journaliste sportif, nous sommes passés à animateur de spectacle. Les reportages et enquêtes ont disparu des émissions sportives pour des interviews de copinage comme, par exemple, celles de Jean-René Godard. Ou encore celles d’un Patrick Montel avec le préparateur physique Bernard Faure qui semble en connaître bien long sur le dopage. La presse met en exergue le moindre sportif français en omettant toute sur réflexion sur le contexte parce que le marketing en a décidé ainsi et que le journaliste se tait.

Tout cela nous mène bien entendu aux intérêts des partis politiques et des grands groupes industriels qui financent par la publicité les chaînes. Quelles chaînes commerciales d’envergure osent évoquer de près les scandales de l’agroalimentaire ? Grande est la peur de perdre un contrat publicitaire… Au mieux, les reportages sont passés sur une chaîne secondaire du groupe, histoire de calmer ce qu’il reste de syndicats de journalistes attachés à l’éthique. Nous en avons vu récemment l’exemple avec le dossier ‘diesel’, mais aussi de la grande distribution et des fast foods, plus épargnés que les traiteurs asiatiques ou turcs qui eux ne financent pourtant personne.

Et puis pour donner un vernis scientifique, les plateaux invitent une élite de consultants et d’experts, soit autoconstituée, soit promue par ces même grands groupes. On organise des débats au mépris des règles d’objectivité et du contradictoire. Au mieux, on recherche le clash vendeur entre deux fortes personnalités. Mais sur le fond, les émissions télévisuelles parlent peu. Les exemples de dérive du journalisme vers l’animation sont pléthore. De débat il n’y a pas, et quand un des invités se permet de sortir des clous, il est vite rattrapé par l’animateur qui limite son temps de parole ou privilégie ses contradicteurs. Les émissions de reportages deviennent plus consensuelles et n’hésitent pas à prendre des libertés avec la réalité. Le plus souvent ce sont des sujets racoleurs qui font la Une : sexe, violence, terrorisme islamiste, etc. au nom de l’audience.

Sur internet, c’est la guerre du scoop, du sensationnel. Le journalisme se résume pour beaucoup de sites à la copie de dépêches d’agence de presse pour attirer le chaland. Ces mêmes dépêches sont reprises par les moteurs de recherche qui compilent le tout dans leur rubrique actualité, ou bien encore dans les agrégateurs d’actualité disponibles sur les smartphones. Pour trouver des articles de fond, il faut soit s’abonner, soit aller fouiller dans les arcanes de sites hypersponsorisés et scriptés et peu pratiques à l’usage. Il est bien plus pratique de cliquer sur un bouton d’un réseau social pour donner un pseudoavis. Là encore, l’information dérive vers de l’animation marketing d’un site. Il faut attirer l’internaute avec une photo inédite, une info croustillante pas encore vérifiée histoire de capter ensuite des sponsors et annonceurs grâce à une audience supposée.

Doit-on pour autant jeter l’opprobre sur la profession de journaliste ? Certainement pas. Car en dehors de cette spirale infernale, il subsiste des professionnels consciencieux et soucieux d’éthique et d’indépendance. La concurrence des blogs, dont les articles sont orientés et espèrent faire la synthèse, devraient au contraire créer une orientation des « pure players » et médias vers plus de professionnalisme au risque sinon de discréditer cette profession. C’est aussi une dérive du lectorat ou du téléspectateur/auditeur qui cherche l’immédiat, le maximum d’information en un minimum de temps. En privilégiant des médias plus clinquants, spectaculaires et racoleurs, nous creusons à la fois la tombe de la presse, mais aussi notre propre tombe de citoyen informé. Je me souviens du rituel du journal patiemment lu par mon grand-père, une chose qui paraît ridicule aujourd’hui pour beaucoup, mais qui prend pourtant du sens à la lumière d’une transparence bien obscure de l’information dans notre société.

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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