Israël Etat paria ? Déclaration-choc de Yaïr Golan et perte de crédit international

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Yaïr Golan
Yaïr Golan

Le 20 mai 2025, une phrase prononcée par Yaïr Golan, figure de la gauche israélienne et ancien général de Tsahal, a enflammé le paysage politique israélien et international : « Un pays sain ne tue pas des bébés comme un hobby ». À l’heure où l’opération militaire israélienne à Gaza continue de susciter de vives critiques dans le monde entier, cette déclaration a provoqué une onde de choc jusque dans les rangs de l’opposition. Israël glisse-t-il vers la relégation à un État paria ?

Yaïr Golan

Yaïr Golan, 62 ans, est un ancien général de division, ex-vice chef d’état-major de Tsahal, et aujourd’hui président du parti de gauche Les Démocrates, né de la fusion entre Meretz et certains éléments du Parti travailliste. Militaire respecté, il s’était déjà attiré les foudres de la droite en 2016, lorsqu’il avait comparé certaines dynamiques politiques en Israël à celles de l’Allemagne nazie des années 1930.

Interrogé mardi matin à la radio militaire israélienne, Yaïr Golan a déclaré : « Un pays sain ne tue pas des bébés comme un hobby. Un pays moral ne fait pas la guerre aux civils ». Il a poursuivi en affirmant que « ce que fait ce gouvernement en notre nom est immoral, destructeur, et place Israël sur la voie de l’isolement international ».

Bien qu’il ait précisé par la suite qu’il visait « le gouvernement et ses choix politiques », et non « les soldats sur le terrain », la formule a immédiatement été jugée scandaleuse par une large majorité de la classe politique, y compris dans l’opposition modérée.

Réactions outrées à droite… et au centre

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a dénoncé des propos « honteux, qui trahissent une perte totale de morale et une haine de soi pathologique ». Il a ajouté que « Yaïr Golan a franchi une ligne rouge en accusant l’État d’Israël de crimes qu’aucune armée démocratique ne commet. »

Le chef d’état-major Herzi Halevi a lui aussi réagi avec virulence : « Ces mots jettent une ombre sur nos soldats qui risquent leur vie pour protéger la population israélienne. » Plusieurs membres de la coalition ont appelé à la destitution de Golan de son rang de général de réserve et à son exclusion de la Knesset.

Une gauche israélienne fracturée

Si certains au sein de la gauche pacifiste ont défendu la liberté de ton de Golan, d’autres figures modérées comme l’ancienne ministre Tzipi Livni ou l’ex-Premier ministre Yair Lapid se sont désolidarisées de ses mots, parlant de « maladresse inacceptable dans un moment de tension extrême ».

L’ancien Premier ministre Ehud Barak, lui-même très critique de l’actuel gouvernement, a pris sa défense : « Il est possible de mal formuler une vérité. Mais Yaïr Golan exprime une angoisse partagée par de nombreux Israéliens lucides. Nous sommes en train de perdre notre boussole morale. »

Réactions internationales : des divisions réactivées

Dans les heures qui ont suivi, les propos de Golan ont été repris par plusieurs médias étrangers, notamment Middle East Eye, NBC News, ou encore The Independent, qui y ont vu la confirmation que la politique israélienne à Gaza « pose problème jusque dans ses propres rangs ».

L’agence de presse turque Anadolu a qualifié la déclaration de « rare aveu de crimes de guerre par un haut responsable israélien ». À l’inverse, The Jewish Press et Ynetnews y voient « une trahison en direct sur les ondes » et accuse Golan de prêter main-forte aux campagnes de délégitimation d’Israël à l’ONU ou à la Cour pénale internationale. Ce qui ne fait que amplifier la polarisation autour de cette séquence.

Au-delà de la polémique : un débat sur l’éthique de la guerre

Cette controverse intervient alors que l’offensive israélienne à Gaza, en réponse aux attaques du Hamas, a fait des milliers de morts civils selon l’ONU et de nombreuses ONG. Le gouvernement israélien soutient que ces morts sont le résultat de l’utilisation de boucliers humains par le Hamas, et que Tsahal agit dans le respect du droit international. Affirmations que beaucoup d’observateurs contestent. Mais pour une partie croissante de l’opinion israélienne, y compris dans les cercles militaires et universitaires, cette ligne de défense ne suffit plus. La déclaration de Yaïr Golan, aussi brutale soit-elle, traduit une inquiétude profonde : Israël est-il en train de perdre la bataille morale autant que diplomatique ? Voire l’a-t-elle déjà perdue ?

Israël, un État paria ? La perte de son crédit international

De Start-up Nation à État assiégé : un changement de paradigme

L’État d’Israël, longtemps présenté comme un miracle démocratique et technologique au cœur d’un Proche-Orient instable, voit aujourd’hui son image internationale gravement entachée. Le paradigme d’une démocratie libérale, innovante et légitime est progressivement remplacé par celui d’un État sur la défensive, déchiré par l’ultranationalisme, et de plus en plus perçu comme hors norme par les standards du droit international. Le basculement est d’autant plus significatif que cette transformation n’est pas seulement imposée de l’extérieur : elle est également dénoncée depuis l’intérieur, par d’anciens chefs militaires, des diplomates, des juristes, et des intellectuels israéliens eux-mêmes.

Les symptômes d’une perte de crédit

a. L’usure du récit sécuritaire

Depuis sa fondation, Israël a fondé sa politique étrangère sur un narratif de survie : petite démocratie assiégée, confrontée à des menaces existentielles permanentes. Ce récit a longtemps mobilisé la sympathie des pays occidentaux. Or, ce paradigme s’effrite face à une réalité asymétrique : une armée parmi les plus puissantes du monde affronte des populations civiles massivement touchées dans des territoires occupés ou assiégés, comme Gaza.

Les images de bombardements massifs, de quartiers rasés, de milliers d’enfants tués (plus de 14 000 selon l’UNICEF depuis 2023 à Gaza), sapent la légitimité de l’argument sécuritaire. Le narratif ne tient plus que dans des sphères politiques pro-israéliennes consolidées (États-Unis, Hongrie, Inde), mais perd du terrain dans les opinions publiques.

b. L’isolement diplomatique croissant

Israël se trouve désormais dans une situation d’isolement partiel. Plusieurs signes en attestent :

  • Le retrait ou gel de coopérations diplomatiques et universitaires dans plusieurs pays européens (Espagne, Norvège, Irlande).
  • L’adoption de résolutions hostiles ou critiques aux Nations unies, avec un soutien croissant des pays du Sud global.
  • Le dépôt, en février 2024, d’un recours devant la Cour internationale de justice par l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide.
  • Les réticences de nombreux pays à vendre des armes à Israël ou à importer ses produits issus des colonies.

Même les alliés traditionnels comme la France, l’Allemagne ou le Canada critiquent désormais ouvertement les opérations militaires et la colonisation continue.

c. La diabolisation croissante dans les médias et les campus

Dans les médias internationaux (BBC, CNN, Le Monde, Al JazeeraThe Guardian), Israël est de plus en plus présenté non pas comme un État normal engagé dans une guerre, mais comme un acteur hors-la-loi dans un ordre mondial fondé sur les droits de l’homme. La notion de « double standard », longtemps dénoncée par les défenseurs d’Israël, s’est inversée : aujourd’hui, c’est Israël qui est accusé d’échapper à la justice internationale, au mépris du droit humanitaire.

Sur les campus américains et européens, des mouvements tels que BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) gagnent en puissance, et les dénonciations d’apartheid, notamment depuis le rapport de Human Rights Watch (2021) et celui d’Amnesty International (2022), sont désormais monnaie courante.

D’État fort à État voyou ? Les critères d’un déclassement moral

Le concept d’État voyou (rogue state), théorisé dans les années 1990 pour désigner des régimes bafouant le droit international, sponsorisant le terrorisme ou menaçant la stabilité mondiale, est désormais évoqué par certains analystes à propos d’Israël. Ce statut suppose plusieurs caractéristiques :

  • Refus des mécanismes internationaux (refus de la CPI, contestation de l’ONU, attaques diplomatiques contre l’UNRWA).
  • Répression intérieure violente (criminalisation de la dissidence, attaques contre les ONG israéliennes de défense des droits humains comme B’Tselem).
  • Usage excessif et indiscriminé de la force contre des civils, dans des territoires occupés ou assiégés.
  • Colonisation illégale persistante, malgré les résolutions de l’ONU.

Si Israël ne répond pas encore à tous les critères d’un État voyou au sens strict (il ne finance pas le terrorisme, il dispose d’institutions démocratiques), il en approche certains contours par la récurrence de violations massives du droit humanitaire.

Des alliés sur la sellette, une réputation instable

Israël conserve des soutiens stratégiques solides : les États-Unis (malgré la pression des jeunes électeurs démocrates), l’Inde de Modi, le Brésil de Bolsonaro (jusqu’en 2022), la Hongrie d’Orbán. Mais ces alliances sont de plus en plus coûteuses en termes d’image et de cohérence pour les États occidentaux qui se réclament du droit international.

En Europe, le soutien indéfectible à Israël devient difficilement tenable politiquement, surtout dans les opinions publiques. Les manifestations monstres pro-palestiniennes dans les capitales occidentales, la mmultiplication de figures politiques qui dénoncent « l’impunité israélienne », et le boycott culturel grandissant, encore rappelé avant-hier par Juliette Binoche à Cannes, renforcent cette fragilité.

Israël contre lui-même ? Une crise morale interne

Enfin, ce déclassement international est aussi renforcé par une crise morale interne. Lorsque des généraux comme Yaïr Golan déclarent qu’« un pays sain ne tue pas des bébés comme un hobby », ils ne formulent pas simplement une critique de la stratégie militaire ou du gouvernement en place : ils mettent en cause les fondements éthiques de la nation elle-même. Ces propos, tenus par un ancien vice-chef d’état-major respecté, expriment un malaise grandissant au sein même de l’élite sécuritaire israélienne — celle-là même qui a longtemps servi de colonne vertébrale au consensus national.

Cette dissociation croissante entre l’État et certaines de ses figures historiques ou morales traduit une perte de cohésion interne : des ONG israéliennes comme B’Tselem, Yesh Din ou Breaking the Silence dénoncent désormais ouvertement ce qu’elles qualifient de « régime d’apartheid » ou de « logique punitive contre les populations civiles ». L’ancienne présidente de la Cour suprême Dorit Beinisch a évoqué en 2024 un « effondrement de la balance des pouvoirs » et une « instrumentalisation de la légalité à des fins d’occupation ».

La société civile israélienne elle-même est fracturée : une partie de la jeunesse se radicalise à droite sous l’impulsion de figures religieuses nationalistes, tandis qu’une autre — souvent urbaine, laïque, intellectuelle — manifeste son désarroi face à ce qu’elle perçoit comme une dérive autoritaire et belliqueuse de l’État. Cette division traverse les familles, les universités, l’armée, et jusqu’au sein des institutions.

Le fait que 124 États membres de la Cour pénale internationale soient désormais tenus juridiquement d’arrêter le Premier ministre Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant s’ils venaient à pénétrer sur leur territoire – y compris la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, le Brésil ou encore le Japon – constitue un séisme diplomatique sans précédent. La perspective que des dirigeants israéliens soient visés par des mandats d’arrêt internationaux marque symboliquement le basculement d’Israël du camp des États protecteurs de l’ordre international à celui des États soupçonnés d’en être les transgresseurs.

En somme, Israël, dans son effort de survie géopolitique, risque de perdre ce qui faisait son socle : la légitimité morale. Et à mesure que cette légitimité s’efface dans les yeux du monde, le pays s’expose non seulement à des sanctions ou des isolements, mais à un risque bien plus profond : celui de devenir étranger à lui-même.

Bibliographie

Golan, Yaïr. 2016. Discours de Yom HaShoah. Times of Israel Archives.
NBC News. 2025. “Ex-Israeli general hits out at government for ‘killing babies’ comment.” 20 mai 2025.
Middle East Eye. 2025. “Israeli opposition leader condemns his country for ‘killing children as a hobby.’” 20 mai 2025.
ONU, Bureau OCHA. 2025. Situation Report: Gaza. Avril 2025.
The Jerusalem Post. 2025. “IDF chief blasts Yair Golan.” 20 mai 2025.
Times of Israel. 2025. “Outrage as opposition leader says Israel is ‘killing babies as a hobby.’” 20 mai 2025.
JNS. 2025. “Netanyahu slams ‘moral decay’ of Yair Golan.” 20 mai 2025.

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Eudoxie Trofimenko
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