Le peintre et plasticien breton Jacques Villeglé est décédé lundi 6 juin 2022, à l’âge de 96 ans, a annoncé le Centre Pompidou de Paris. Considéré comme un pionnier de l’art urbain, l’artiste aux affiches lacérées a atteint l’objectif qu’il s’était fixé : faire entrer la rue dans les musées !
« Artiste honoré par tous les grands musées, ses œuvres font partie de notre imaginaire collectif et ont contribué à changer notre regard sur l’urbain, comme une invitation à se réapproprier la ville, à la contempler mais aussi à la réinterroger, à la remettre en question, à la bousculer », a rendu hommage la maire de Rennes, Nathalie Appéré. Le Centre-Pompidou de Paris a annoncé mardi 7 juin 2022 le décès du peintre et plasticien breton Jacques Villeglé, à l’âge de 96 ans.
Né à Quimper en 1926, l’artiste mondialement connu est considéré comme le « grand père » de l’art urbain par les street-artistes contemporains. Il disait vouloir faire entrer la rue dans les musées, semblables à des cimetières selon lui. Au regard de la grandeur de son œuvre, c’est chose faite. Ses superpositions d’affiches lacérées ont fait le tour de monde depuis et se trouvent dans les collections des plus grands musées.
Jacques Villeglé était un familier de la capitale bretonne, sa ville de cœur. Dés 1944, il y a étudié la peinture à l’école des beaux-arts avant de s’inscrire dans la section architecture de celle de Nantes. C’est sur les bancs (ou dans les ateliers) de la première, en 1945, qu’il fit d’ailleurs la connaissance de l’artiste Raymond Hains. De cette rencontre émergera une grande collaboration artistique et une forte amitié. C’est avec lui qu’il décollera sa première affiche lacérée à Paris en 1949. Ils débuteront ensemble une série d’affiches de concerts, à prédominance typographique, dans le but de concevoir une nouvelle Tapisserie de Bayeux. Leur première réalisation prendra le nom de Ach Alma Manetro, émergence de lettres dans le chaos de la lacération. Ce fut un tournant pour le jeune artiste d’alors. Sa pratique prit dès ces années les couleurs et l’histoire des affiches malmenées par les passants ou la météo, et ce jusqu’en 2003.
Des affiches récoltées naquirent des compositions brutes et vivantes, mosaïques de conglomérats qui se font les témoins de la société et de son époque.
L’œuvre de Jacques Villeglé porte en son sein une forte dimension politique, économique et sociale. Il était de ceux qui voulait laisser parler l’œuvre, et seulement elle. Il citait d’ailleurs aisément André Breton : « un artiste doit vivre à l’ombre de son œuvre ». Prenant le parti de s’effacer derrière son œuvre, il ne signait ses tableaux qu’après la vente pour satisfaire une société contemporaine en quête constante de valeurs patrimoniales. Les titres ne mentionnaient quant à eux que le lieu et de la date de l’arrachage. De cette manière, il remettait en question le statut de l’artiste et condamnait le mythe de la création individuelle au profit de celle collective, bien qu’anonyme dans le cas de ses affiches. Comme s’il ne voulait pas s’approprier le travail d’autres, que les artistes étaient également ces passants anonymes qui ont interagi sur les affiches avant leur récupération par Villeglé.
Dans la même lignée, les cartels de la première exposition d’Hains et Villeglé, en 1957 chez Colette Allendy, ne renseignaient pas leurs noms. Seuls le titre de l’affiche, ses dimensions et sa date apparaissaient. Largement suffisant selon eux. Par le refus de signer leurs œuvres, le duo critiquaient une société contemporaine asservie par l’argent et son rôle néfaste sur le marché de l’art. Rennais et Rennaises pourront d’ailleurs contempler cet engagement incarné en la sculpture ¥€$ exposée dans le parc Oberthür depuis 2017, grâce à un prêt de l’artiste. C’est à partir de l’alphabet socio-politique ou « alphabet de la guerilla » comme il l’appelait, commencé à partir de 1969 et composé de signes et symboles religieux et monétaires principalement, qu’il composa le mot “YES”. « Un certain Serge Tchakhotine avait écrit Le viol des foules par la propagande politique. C’est lui qui a créé les trois flèches pour barrer la croix gammée, le poing levé contre la main Heil Hitler […] Il parlait de guerilla », expliquait l’artiste dans un interview sur France 3 en 2012.
Au vue de ses convictions artistiques et politiques, son appartenance au groupe des Nouveaux Réalistes semblait lui être prédestiné. En octobre 1960, il adhère au mouvement créé sous l’égide du critique d’art Pierre Restany. Il rejoint ainsi le groupe d’artistes déjà présents, Klein, Arman, Dufrêne, Hains, Tinguely, Spoerri et Raysse avant qu’il ne soit rejoint en 1961 par César, Tinguely et Niki de Saint-Phalle.
Prônant un retour à la réalité, les nouveaux réalistes préconisaient l’utilisation d’objets issu du réel, à l’instar des ready-made de Marcel Duchamps ou des accumulations d’objets, telles des voitures, de César. « Les Nouveaux Réaliste ont pris conscience de leur singularité collective. Nouveau réalisme : nouvelles approches perceptives du réel », informait la déclaration constitutive du Nouveau Réalisme signée le 27 octobre 1960. Leur pratique s’est ainsi développée dans un art de l’accumulation et de l’assemblage d’objets récupérés dans le quotidien. Au milieu de cette effervescence artistique, celui qui, dès 1947, récoltait des débris du Mur de l’Atlantique, formes de sculptures, se distingue par le caractère exclusif de l’objet choisi : l’affiche. Ce dernier lui valut d’ailleurs la dénomination affective de fainéant auprès de ses compères.
Villeglé avoua ne pas intervenir sur les affiches en elles-mêmes, seulement pour les cadrer, tel un photographe. Archéologue de la rue, il n’avait pour but une création individuelle et n’a cessé de questionner le statut de l’artiste au travers un questionnement de l’art. Il déterrait ces « reflets de la culture dominante » dans le but d’attirer le regard sur des images devenues abstraites, mais omniprésentes dans nos rues. Mémoire vivante de périodes, ses œuvres restent la trace d’un passage, d’une histoire, et la preuve d’un art en lien avec le réel, avec la rue.
Sa pratique s’écrivait au fil des époques, la fin des années 1980 étant pour lui un « âge d’or » en raison de la quantité d’affichage sauvage à disposition. Le peintre se souvint notamment de la soirée de l’élection présidentielle en avril 1988. Il n’y avait que lui, « cinq gars et un camion » : une heure plus tard, il avait toute une exposition… C’est dans cette décennie que le musée des beaux-arts de Rennes et le Frac Bretagne furent les premiers en France à acheter ses œuvres, alors qu’il vendait déjà en Belgique ou en Allemagne.
Récompensé de la médaille de la ville par la maire en mars 2018, de par sa présence dans l’espace et public et dans nos musées, Jacques Villeglé laisse ainsi sa trace dans la capitale bretonne, signe que son histoire a, quelque part, commencé dans cette ville.