Certains disent qu’on est des monstres, des fous à électrocuter. Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. Les plus jolis monstres du monde.
Deux trajectoires, deux personnages, deux époques qui se rencontrent, s’épousent, se confrontent, se séparent, se croisent. Deux lignes parallèles, sécantes… Deux existences. Deux mondes… Pour faire un de deux…
Difficile de résumer, de synthétiser ce roman si singulier que nous propose Julien Dufresne-Lamy en cette rentrée littéraire. On imagine, une fois la dernière page tournée, combien l’auteur a dû convoquer autant le passé que le présent pour nous inviter dans ces ambiances où ont vécu, où vivent ces si jolis jolis monstres. Et pourquoi des monstres ? Et pourquoi des monstres seraient jolis dans des sociétés où les apparences doivent répondre à des critères bien précis (critères qui muent avec les époques cela étant) ? Parce qu’un homme qui est ou devient une femme est forcément un monstre. Parce qu’un être « hybride » est nécessairement monstrueux, dérangeant. On aime trop les catégories, les « genres », parce que cela rassure…
Deux personnages centraux entourés d’une myriade de femmes et d’hommes, des figures connues du milieu underground de la Big Apple, de la musique, du cinéma, de la télévision comme de la mode qui marqueront leur existence à tous deux. D’un côté, James, l’une des plus belles drag-queens de New York, la légende des bals, la reine des cabarets, l’ami fidèle, la lady Prudence ; de l’autre, Victor, le jeune latino de Los Angeles, hétéro en couple et papa d’une petite fille qu’il vénère et qui va se découvrir l’âme et le corps d’une drag-queens. Pour ce faire, il devra sacrifier et se sacrifier…
L’auteur provoque la rencontre de ces deux-là, presque de manière impromptue au fond d’un bar… Rencontre qui va rapidement devenir riche d’enseignements, quand James va raconter sa jeunesse, sa vie, ses rencontres, ses amours, ses illusions, ses désillusions, ses engagements à celui qui va peu à peu devenir son protégé, son ami et qu’il aidera à assumer la part de féminité qui luit en lui. Toujours avec pudeur, souvent avec drôlerie mais aussi dans une gravité constante, celle du rejet, de la raillerie, de la maladie qui décimera quantité de personnes à partir des années 80.
Et puis, inutile de le cacher, ce roman est un acte politique fort. Il retrace sans circonvolutions le combat mené par des êtres pour la liberté de vivre ce qu’ils ressentent, pour le respect d’autres formes de personnalités, envers et contre une morale soi-disant bien pensante d’une Amérique idéologique qui condamnait plus qu’elle ne cherchait à comprendre voire à accepter l’autre, les autres dans leur différence. Tableau apocalyptique également du début des années sida, ce « cancer gay » qui ravagea la communauté homosexuelle et toxicomane de tous les milieux, sans jamais oublier non plus les rivalités entre blancs et noirs (et qui font un retour en force dans ces USA version Trump au pays d’un populisme à peine déguisé)
Mais c’est aussi une ode à la fête, aux couleurs (pas seulement celles du drapeau arc-en-ciel, signe des LGBT), aux musiques, aux extravagances tout autant qu’à la fin d’une certaine insouciance. Les années 70, 80 et 90 ont marqué l’Amérique par des avancées qui se sont déroulées aussi dans les combats, les douleurs, les affrontements, les sacrifices… Pour la liberté des générations d’aujourd’hui. Et pour que ces avancées ne reculent pas, il ne faut rien lâcher au nom de la liberté, de la tolérance, de l’acceptation de l’autre, des autres, dans le respect de soi-même.
C’est touchant, drôle, tragique tout le temps. Ce récit est mené tambour battant, comme une urgence. Celle de la vie…
Jolis jolis monstres – Julien DUFRESNE-LAMY – Éditions Belfond – 416 pages. Parution : 22 août 2019. Prix : 18,00 €.
Couverture : © Anton Lenoir – Photo auteur Julien DUFRESNE-LAMY ©Melania Avanzato
Julien Dufresne-Lamy vit à Paris. Après Les indifférents (Belfond 2018), Jolis jolis monstres est son quatrième roman. Il est aussi l’auteur de plusieurs textes pour la jeunesse.