Dans le cadre de Dimanche à Rennes et de l’exposition Sculpter (faire à l’atelier) en partenariat avec Les Tombées de la Nuit, les artistes plasticiens et performeurs Yvan Clédat et Coco Petitpierre présenteront La Parade Moderne, une déambulation de sculptures colorées accompagnée du Boléro de Ravel dans les rues de Rennes. Rendez-vous le 27 mai à 15h devant la Criée, place Honoré Commeurec.
Vous êtes sculpteurs, performeurs et metteurs en scène et, parallèlement, costumière et scénographe. Quelles sont vos principales créations ?
Nous avons longtemps fait des « sculptures à activer » qui étaient des objets sculpturaux comportant une partie costume. En français il n’y a qu’un seul mot pour dire tout ce qui recouvre le corps. C’est dommage, mais c’est comme ça. Nous évoluons dans un territoire qui était en général un volume en dur, laqué, d’assez grande dimension. C’était pour la partie vivante, performative et quand ce n’est pas le cas nous mettons des mannequins à l’intérieur des « costumes ». Il y a une partie dure qui peut être sculpturale avec un objet comme un coucou, une grande feuille de houx, un bout de glacier et deux créatures, deux êtres qui évoluent autour de cela. Dans ce cas-là, Coco et moi sommes à l’intérieur des costumes qui sont aussi des sculptures, mais en textile ou constitués de plein de matériaux qui nous recouvrent et font partie de l’objet complet. Quand nous ne sommes pas à l’intérieur, nous mettons ces costumes en situation. L’ensemble fait une sculpture composée d’une partie molle et d’une partie dure. Ces « sculptures à activer » ont été exposées dans les centres d’art, musées… Nous les avons également beaucoup proposées dans le cadre du spectacle vivant. Nous sommes vraiment à la frontière entre ces disciplines. Des lieux de spectacles vivants nous demandent de venir présenter ces objets dans leur version activée et vivante. Nous avons été deux santons suisses autour d’un gros coucou couleur chocolat, deux bonshommes de neige autour d’une décoration de bûche glacée, deux yétis hirsutes sur un bout de glacier, des espèces d’Adam et Ève qui seraient recouverts de cheveux dans une sorte d’Eden déglingué.
Plus récemment, nous sommes revenus à ce que nous avions pratiqué auparavant, mais relativement peu : le spectacle sur scène, frontal avec une temporalité et une dramaturgie. Pour les « sculptures à activer », il n’y a pas de durée, de début, de fin, c’est une sorte de continuum. C’est de la sculpture augmentée d’une partie vivante, mais nous ne sommes pas dans le cadre d’une représentation. D’autant plus que cela ne se réalise pas sur une scène de théâtre.
La Parade Moderne qui est exposée à La Criée est un développement de « ces sculptures à activer » sauf qu’au lieu de mettre en scène l’idée du couple, c’est une œuvre que nous avons faite pour une vingtaine de participants et quelque chose qui est de l’ordre de la déambulation dans l’espace public. Les autres œuvres se destinent plutôt à l’espace muséal et intérieur. Encore que nous avons réalisé une pièce pour la danseur et chorégraphe Sylvain Prunenec où il est une espèce de créature marine à l’intérieur d’une grosse décoration d’aquarium agrandi. C’est quelque chose que nous faisons aussi en extérieur pour venir contredire ce que j’ai dit précédemment. La sculpture est toujours au centre de nos performances, spectacles et du vivant.
Chacune des sculptures de La Parade Moderne fait référence à un artiste célèbre du XXe siècle : Edvard Munch, Fernand Léger, Max Ersnt, René Magritte… Pourquoi s’être inspiré de ces peintures ?
Il y avait l’idée du Cri d’Edvard Munch et L’ellipse de René Magritte en tête de la parade où le personnage a un très long nez en forme de fusil. Nous voulions faire quelque chose d’un peu sexué. Nous avons eu une proposition pour faire une sculpture extérieure à la biennale d’art contemporain d’Anglet. Nous nous sommes dit que nous pouvions partir de la peinture et en faire un défilé, une parade. Nous nous sommes penchés sur une période de l’histoire pour ne pas embrasser une période trop longue et parce que l’art moderne est le moment où les artistes se sont intéressés à la transformation de la figure humaine. Cela aurait été plus compliqué de faire quelque chose à partir d’un Rembrandt. Nous avons recherché des tableaux susceptibles de pouvoir se métamorphoser en 3D tout en sachant que nous ne voulions pas faire une copie exacte, cela ne nous intéressait pas. C’était juste des répertoires formels et des sources d’inspiration. Malgré tout nous avons essayé de rester dans une intimité avec le tableau sauf que nous l’avons traité avec nos matériaux, nos techniques et en trois dimensions. Nous avons pris de grands artistes du XXe siècle, tous morts. Nous avons cherché chez ces grands artistes les tableaux propices à ce travail-là. Nous avons éliminé des artistes qui avaient beaucoup trop travaillé sur le volume comme Picasso. Il a tellement traité la figure en trois dimensions que nous nous serions retrouvés à faire un faux Picasso, ce que nous ne voulions pas. Mis à part Jean Arp qui a fait pas mal de volumes. Il y a trois Magritte dans La Parade Moderne car il y a un répertoire de formes qui se prête à cela et pour le coup Magritte n’a pas traité le volume.
La priorité est la qualité sculpturale de l’ensemble bien avant la praticabilité ou le confort des porteurs. Les sculptures sont lourdes, techniques. Cela n’a rien à voir avec un défilé de carnaval. Ce sont des sculptures à part entière portées par des participants lorsqu’elles ne sont pas exposées sur leur support.La Parade Moderne a ses dix figures sculpturales faites en partie en dure puisque dans nos sculptures l’homme fait tout ce qui est dur et la femme tout ce qui est mou. C’est très sexué malgré nous. Il y a une partie en tulle plissé que sont les jupes avec des kilomètres incroyables de tulle pour arriver à faire ces jupes plissées. Il y a une partie dure, de matériaux divers recouverts de laque automobile et vernie. C’est très coloré ce qui fait de cette parade un ensemble assez joyeux sauf qu’en tête de cortège une fanfare joue le thème du Boléro de Ravel en boucle. Les musiciens sont habillés tout en noir, ils ont une attitude un peu martiale comme lors d’une procession mortuaire. Le thème du Boléro de Ravel est assez grave, plombé en marchant extrêmement lentement. La Parade Moderne en version performative, activée est ce mélange entre un défilé de carnaval et une procession mortuaire. D’autant plus que tous les artistes représentés étant morts, ce sont des hommages que les gens ont sur leurs épaules.
Si on cherche des musiques connues à la fin du XIXe puisque l’artiste le plus ancien que nous avons choisi date de cette époque avec Le Cri de Munch, c’est très compliqué de trouver des œuvres musicales que tout le monde connaît. C’est le moment de la déconstruction, de dodécaphonisme (technique musicale fondée sur l’emploi des 12 sons de l’échelle musicale dite chromatique). Nous ne pouvons pas mettre du Schoenberg ou même du Stravinsky, car il n’y a pas de mélodie. Une des mélodies que tout le monde partage en France est le Boléro de Ravel. C’est aussi pour cela que nous l’avons choisi. C’est une sorte de tube et il vient démentir le côté coloré et joyeux de La Parade Moderne.
La Parade Moderne a défilé à Paris, Bordeaux, Singapour… la réception de votre œuvre artistique a-t-elle, pour le moment, été différente d’une ville ou d’un pays à un autre ?
La réception est difficile à savoir. Il y a des attitudes différentes. Par exemple, en Italie, le public suit très facilement. Il y a une culture de la parade. Nous l’avons fait dans des contextes différents. A Singapour c’était sur la Marina Bay, un contexte très réduit, elle était visible tout le temps. Il y avait moins de déambulations avec la parade bien qu’il y en ait aussi eu. La chose qui est communément partagée est le plaisir des participants de porter les têtes. Nous sommes toujours un peu gênés, car certaines sont quand même très lourdes. Nous leur demandons un effort. Jusqu’à présent les participants et volontaires ont toujours été ravis de l’expérience. Lorsque nous sommes à l’intérieur, nous vivons beaucoup de choses. Coco et moi le savons, car nous avons l’habitude. Pour les porteurs, ce n’est pas forcément évident, mais quand nous sommes à l’intérieur, le public autour, la vision extrêmement réduite, les questions d’équilibre, le bruit qui parvient à l’intérieur des sculptures de façon très modifiée… nous vivons des choses assez plaisantes malgré la fatigue physique qui est réelle. Les enfants aiment beaucoup les grosses poupées qui passent ! Elle est très bien accueillie malgré les contextes différents. Cette œuvre a été acquise et appartient à un collectionneur avec lequel nous avons un arrangement tacite : il nous la met à disposition dès que nous la demandons pour la sortir. Norbert Fradin est un promoteur à Bordeaux. C’est une association unique : il accepte le risque de ces sorties et voyages. Nous avons cette chance d’avoir quelqu’un qui a acquis l’œuvre sachant qu’une de ses raisons d’être est d’être activée, de faire l’objet d’une parade. De cette façon, le côté très précieux des œuvres fait que les participants et les porteurs ont un sentiment de responsabilité. Ils sont contents d’avoir sur les épaules des objets aussi précieux et finis. Cela joue sur la réception de La Parade Moderne de la part des porteurs.
Qu’est-ce que La Parade Moderne nous dit-elle du rapport à la fête aujourd’hui ?
Nous ne voulons pas traiter de la fête. Ce n’est pas un thème qui nous intéresse. Dans la mesure où nous mettons le Boléro de Ravel, c’est une façon de démentir l’idée de fête. Ce qu’on fait est tout sauf triste, mais ce que nous faisons est de la sculpture. Si nous avions voulu être festifs, nous n’aurions pas dit aux musiciens de s’habiller en noir et de déambuler au ralenti. C’est tout sauf un rythme de carnaval. C’est plus émouvant que festif. S’il y a quelque chose qui s’adresse au public, il y a l’idée de faire un cours d’histoire de l’art en plein air, de trimballer de grands artistes célèbres et de les montrer en extérieur. Ce côté référence est vraiment important pour nous, mais c’est plus une référence à l’histoire de l’art que celle de la fête. A Rennes il va y avoir un relais, c’est la première fois que nous le faisons. Les sculptures vont être déposées au sol à différents endroits puis ré-endossées par un nouveau groupe de porteurs. Le départ et le retour se font à La Criée.
Dimanche 8 avril, de 15h à 16h45. La Criée centre d’art contemporain, Place Honoré Commeurec, Rennes. Gratuit.