Dans La Solitude des grandes personnes, un second roman paru chez Albin Michel, Aurélien Gougaud utilise ses yeux et ses ressentis d’enfant. Le gamin, qui vient de recueillir Jupiter, un chat de hasard, vit avec sa mère dans un appartement parisien. Ô l’existence est modeste et presque routinière. Le boulot, les courses, le ménage, son enfant pour elle. L’école, la solitude, l’amour de maman pour lui. Alors quand il souhaite garder Jupiter et se trouver enfin un véritable ami et qu’on lui refuse, il chausse ses baskets, attrape quelques effets et taille la route.
Commence dès lors un road trip qui ne va pas manquer de saveurs et dont le but ultime est de rejoindre l’Égypte, la patrie des félins, vénérés comme des dieux. Au cours de ce voyage, notre jeune héros multiplie les rencontres. Au-delà de sa réserve et de sa timidité, il découvre le monde avec ses lumières et ses noirceurs. Tour à tour, il approche des personnages hauts en couleur malgré leur précarité comme leur vulnérabilité, des gens fragiles en apparence, toute leur force résidant souvent dans la noblesse de leurs sentiments. Mais un petit garçon qui parcourt le monde peut autant s’émerveiller que ressentir la peur et les angoisses. Pas évident de gérer la fugue loin d’une maman attentionnée.
Ce texte tendre (mais très réaliste) est aux antipodes d’une liste de bons sentiments. C’est un conte souvent, mais un conte philosophique très pertinent, qui nous permet de voir un peu le monde et les autres à travers les yeux, les questions, les réflexions d’un enfant. Et il faut toujours tenir compte de l’avis et de l’analyse des enfants. Car ils se montrent souvent justes, percutants et nous laissent généralement pantois. Les enfants ont une intuition redoutable et font mouche. Ils avancent sans détour parce que leur vérité est respectable. Les gamins sont de fins psychologues, ils reniflent les choses (heureuses comme les dangers) et adoptent des postures qui invitent à la réflexion, à plus de sagesse, à souvent plus d’empathie.
Exercice périlleux, mais réussi. Aurélien Gougaud nous plonge dans nos jeunes années, celles où l’on essayait sans notion de calculs, sans envie de tromperie, de duperie, de comprendre le monde et celles et ceux qui nous entourent. Alors c’est souvent amplifié, mais tellement réaliste. C’est cru parfois, parce que les sentiments sont extrêmes, on adore ou l’on déteste. On ne rejette pas systématiquement, on analyse avec son jeune âge. Et quand les situations semblent trop complexes, on pose des questions parce qu’on a besoin de réponses franches. Et l’on fuit généralement le mensonge des adultes.
Et puis il y a toute l’importance de l’amour, de l’amitié, de l’attachement. Ici, le gamin s’attache à son chat Jupiter autant qu’il est attaché à sa maman. Autant qu’il peut s’attacher à des inconnus qui lui tendent la main, ou auxquels il tend lui-même la main. Naturellement.
Bien sûr, on ne peut éviter de penser souvent au périple du Petit Prince, l’œuvre incontournable d’Antoine de Saint-Exupéry. Et c’est heureux. Parce que : intemporel, universel. Et c’est ce que devient ce roman… Un livre qu’on prendra plaisir à relire, sans histoire d’âge, de condition sociale, de niveau intellectuel, de codes. La solitude des grandes personnes est aussi une invitation très franche à réveiller notre imaginaire, peut-être une suggestion pour aller chercher les forces qui sommeillent en nous depuis trop longtemps. Depuis toujours parfois…
La solitude des grandes personnes, Aurélien Gougaud, Paris, Albin Michel, 140 pages. Parution : 27 février 2019. Prix : 14,00 €.
Aurélien Gougaud, 28 ans, vit à Paris. Il a publié un premier roman, Lithium, chez Albin Michel, à la rentrée littéraire 2016. La solitude des grandes personnes est son deuxième roman.