On connait du peintre italien une oeuvre magistrale. Et une vie dissolue. Peter Dempf imagine le récit de cette existence comme un roman policier. Intrigues et coups bas contre un génie de la peinture.
Il existe plusieurs manières d’aborder et d’approfondir l’oeuvre d’un peintre que l’on admire et de connaître sa biographie. La plus simple est d’aller dans un dictionnaire des noms propres :
« Michelangelo Merisi da Caravaggio, en français Caravage ou le Caravage, est un peintre italien né le 29 septembre 1571 à Milan et mort le 18 juillet 1610 à Porto Ercole ».
C’est un peu juste. On peut alors se pencher sur la bande-dessinée et trouver un titre au nom du peintre, Le Caravage. Associé à un maître comme Manara, on appose alors au nom, un visage, une silhouette, de la vie. Et puis il faut aller chercher des textes plus fouillés, analysant le grand oeuvre pour comprendre la démarche de l’artiste. La Solitude Caravage de Yannick Haenel ou La course à l’abîme de Dominique Fernandez sont de ces lectures indispensables. On peut encore y ajouter ou préférer un autre genre, celui de la biographie romancée.
L’existence du Caravage est tellement emplie de silences et de vides qu’elle laisse une large place à l’imagination. On sait peu du peintre : une date et un lieu de naissance incertains, une arrivée à Rome en 1592, un apprentissage de treize à dix sept ans, des procès, des accusations de meurtres, des duels, des emprisonnements, une vie visiblement contraire aux bonnes moeurs.
Ce flou permet à Peter Dempf de se plonger dans les nombreux interstices vacants pour écrire à sa manière une existence trépidante, qui ne risquera pas d’être démentie dans l’immédiat à moins de la découverte improbable de nouveaux documents. Il avait déjà procédé de cette manière pour Le Mystère Jérôme Bosch et renouvelle cette fois-ci l’expérience en nous racontant les quatre dernières années de la vie du peintre.
Le romancier utilise d’abord l’intrigue politique pour capter l’attention du lecteur. Le Caravage, devient à son insu l’objet de tractations, de manoeuvres souterraines à l’occasion de l’élection d’un nouveau pape et des ambitions de candidats aux postes de cardinaux. Les factions politiques se positionnent par rapport aux tableaux du peintre, plus qu’à sa personne.
« Quand il peignait Saint Jérôme, Saint Pierre, Saint Paul ou la vocation de Matthieu, il peignait les habitants de Rome et non les riches, monsignori et aristocrates, qui pressuraient le peuple. Les visages de ses personnages reflétaient la peine et la douleur, parce que ses modèles les avaient vécues ».
Le réalisme pictural inédit fait scandale auprès des religieux opposés à la Réforme pour qui la peinture doit transcender la réalité et n’offrir aux fidèles qu’une vision magnifiée et idéalisée de la vie des saints. Les mains peintes par le Caravage sont celles de femmes et d’hommes usés par le travail, les pieds sont sales d’avoir erré dans la terre des rues de Rome ou de Syracuse. Utilisant des motifs religieux, les seuls autorisés, le Milanais montre la vie du peuple. Ses oeuvres d’art deviennent ainsi sujet et objet d’idéologie politique et religieuse.
Poursuivi, rejeté, méprisé, menacé par les partisans de l’orthodoxie pour ses tableaux, Peter Dempf ajoute une intrigue plus personnelle, pour évoquer la vie antérieure de Caravage. Un mystérieux moine roux, des silhouettes dissimulées derrière d’amples manteaux noirs, poursuivent aussi le peintre, dans des rues parfaitement décrites. Au nom, semble-t-il de son passé, ce sont d’autres menaces qui le hantent, celles de sa vie dissolue antérieure pour laquelle on l’accuse de meurtres, de viols.
L’occasion est trop belle pour imaginer un héritage, des dissensions familiales, une soeur et un prétendant, un secret mortel probablement et on regrette que l’auteur ne donne la parole au peintre que lors de la révélation de cette tache du passé et de quelques cours donnés à des élèves qui lui permettent d’exprimer sa conception de l’art. Sujet, Le Caravage n’est pas suffisamment acteur, trop souvent réduit à deux seules occupations, décrites par son apprentie féminine, Nérina, qui conduit le récit : boissons et peinture. Néanmoins grâce à sa protectrice à la figure trompeusement maternelle, les descriptions des oeuvres majeures, leur interprétation, nous sont fournies avec érudition et talent dans un cadre romancé qui exprime parfaitement la deuxième caractéristique essentielle des peintures du Caravage, le « clair-obscur » reconnaissable entre toutes les peintures du monde, qui séduira Rembrandt quelques années plus tard :
« L’ombre et la lumière sont les éléments sur lesquels repose notre vie », « L’ombre attise la peur de l’inconnu tandis que la lumière illumine le coeur ».
De Rome à Naples, de La Valette à Syracuse, Le Mystère Caravage nous emmène ainsi dans un monde lui aussi clair obscur et permettra au lecteur qui souhaite découvrir ce peintre immense, une approche romanesque aisée et agréable.
Le Mystère Caravage de Peter Dempf. Éditions Le Cherche Midi. 590 pages. Parution 28 octobre 2021. 22€.
Titre original : Das Vermächtnis des Caravaggio. Traduit de l’allemand par Joël Falcoz.