C’est l’histoire d’un quatuor, pas seulement un quatuor musical puisque la première idée à laquelle renvoie le substantif appartient au champ lexical de la musique. Mais ce grand roman, Les amis, s’attache aussi au quatuor humain que forment Brit, Jana, Henry et Daniel et à travers plusieurs époques de leur vie, à travers plusieurs lieux, à travers plusieurs œuvres musicales également…
Ce n’est pas uniquement la musique qui nous rend plus grand; Ce sont aussi les gens. Les gens vous procurent des histoires. Les gens vous aident à vous déployer.
Si ces quatre-là sont liés par la musique et leur formation, Van Ness, qui donne des concerts sur les côtes Est et Ouest des États-Unis, ils sont aussi tour à tour amis, rivaux, amants, meilleurs ennemis, en tout cas, inséparables malgré les envies, les jalousies, l’amitié et l’amour. Parce que ce qui unit les être humains (comme dans la musique), ce sont les émotions, et ils n’en manquent pas, tout autant que l’écriture touchante de Aja Gabel. Au rythme des notes, des partitions, des concerts, au rythme de la vie, ses hauts ses bas, les épreuves, les combats, les succès, le lecteur se retrouve fin observateur, presque confident, de cette bande des quatre.
La difficulté peut procurer du plaisir. Et le plaisir peut rendre les choses faciles.
Les amis, s’étend sur vingt années, vingt ans pendant lesquels l’auteur va s’inviter dans l’intimité non seulement du groupe mais dans la vie de chacun. De leur premier à leur dernier concert. Et ce n’est en rien une posture de voyeur, loin de là, c’est pour mieux comprendre qui sont Brit, Jana, Henry et Daniel. Car chacun n’est pas arrivé vierge dans ce quatuor. Leurs trajectoires familiales sont loin d’être linéaires ; ils ne sont pas tous partis avec les mêmes chances ou les mêmes malchances. Et ils vont devoir « composer » avec. Ils vont se séduire, s’aimanter et souvent se repousser… Mais le ciment qui les unit tous demeure la musique, les œuvres musicales qu’ils interprètent avec passion et brio. Et l’auteure d’ériger haut et fort ce lien qui participe de l’architecture de l’aspect narratif du roman. La mélodie est présente dans chacune des cinq parties du récit.
Souvent, tout au long de la lecture, on a le sentiment profond de vivre dans un microcosme, une petite société fondée par les protagonistes eux-mêmes. Et c’est une chance d’avoir été convié dans leur monde. Cela n’est pas sans nous renvoyer à une réflexion sur nos propres vies : on comprend tranquillement que nous-mêmes vivons aussi avec nos propres cercles : nos amis, nos familles, nos amours, nos collègues… et les autres… Si souvent c’est choisi, parfois c’est subi.
Tomber amoureux, c’est de la chimie. Rester amoureux, c’est un choix. L’amour, ça se mérite.
Et puis avec le temps, nos relations perdurent ou changent, se distendent, s’étiolent. Parce qu’il y a des ruptures, des coups durs, des trahisons, des séparations… Parce que nous perdons aussi celles et ceux qui nous sont chers, parce que nous intégrons de nouvelles personnes dans notre champ professionnel, amical, affectif. Par nos choix de vie.
C’est un roman fort et teinté de mélancolie quand l’âge mûr arrive avec la période des premiers bilans. Et ce sont toujours les émotions qui nous rattrapent comme elles rattrapent les quatre personnages. Parfois on regrette certaines choses, souvent on se dit que le temps qui reste est peau de chagrin et qu’il faut vivre chaque jour pleinement. Avec plus de recul, plus de sagesse, plus d’empathie à l’égard de celles et ceux qui nous entourent ou nous approchent. Alors peut-être devenons-nous plus attentifs à la force des sentiments aussi forts que fragiles. Alors peut-être avons appris que ce qui compte le plus au final, c’est la puissance des rapports humains. Et que l’existence reste avant tout une partition musicale.
Les amis un livre d’Aja Gabel – Éditions Rivages – 400 pages. Parution : janvier 2019. Prix : 22,80 €. Traduit de l’américain par Cyrielle Ayakatsikas.
Couverture : Séverine Assous – Photo auteure Aja GABEL © Darcie Burell
Les nouvelles d’Aja Gabel peuvent être trouvées dans les revues Kenyon, Glimmer Train, BOMB et ailleurs. Elle a étudié l’écriture à l’Université Wesleyan et à l’Université de Virginie et est titulaire d’un doctorat en littérature et en création littéraire de l’Université de Houston.
Aja Gabel a reçu plusieurs prix décernés par Inprint, le Virginia Center for Creative Arts, la Sewanee Writers ‘Conference et le Fine Arts Work Centre de Provincetown.
Elle vit et écrit actuellement à Los Angeles.