L’édition espagnole a exhumé il y a quelques années les textes d’un journaliste, talentueux et courageux, au sombre destin : Manuel Chaves Nogales. Lui-même fils de journaliste, il entra dans cette même carrière en 1920, en collaborant au journal « Estampa », puis à « Ahora », dans lequel il se révéla être un soutien du Président de la République espagnole, le Républicain Manuel Azaña. Ses reportages l’emmèneront en URSS et dans l’Allemagne nazie. Ces périples le marqueront et l’éloigneront à jamais de ce qui peut ressembler, de près ou de loin, à tout régime liberticide, meurtrier et totalitaire.
Il fut aussi reporter de la guerre civile espagnole, et dénonça, dans un même regard, les excès, exactions, et massacres perpétrés dans les deux camps, républicains et franquistes. Il porta témoignage des horreurs de la guerre dans une série de neuf récits, hallucinants et bouleversants, écrits en 1937, de son exil parisien, puis londonien, et parus loin de sa terre natale, au Chili sous le titre A sangre y fuego. Le livre est paru en France aux Éditions Quai Voltaire en 2011, sous le titre traduit littéralement : À feu et à sang : héros, brutes et martyrs d’Espagne.
« Le révolutionnaire m’a toujours paru aussi pernicieux que le réactionnaire. […] Idiots et assassins ont surgi avec une égale profusion et agi avec une égale intensité dans les deux camps. […] La barbarie des Maures, des bandits du Tercio et des tueurs de la Phalange m’effrayait autant, sinon plus, que celle des analphabètes anarchistes et communistes » écrit-il dans la préface de son ouvrage.
Ces récits, loin du lyrisme de l’aventure guerrière, décrivent, avec une ironie cruelle et des mots sobres, vibrants et terribles, les comportements et attitudes de révolutionnaires frustes, sans foi ni loi, qui, au nom de l’idéal de la République espagnole, terrorisent et massacrent sans vergogne des populations prises entre les feux républicains et phalangistes. Tout comme notre journaliste décrit, dans un identique effroi et accablement, les grands propriétaires terriens, menant leurs familles et domestiques à la guerre contre les « Rouges », comme des seigneurs d’Ancien Régime écrasant la révolte des gueux, et tuant, au nom de Dieu, un peuple d’innocents avec la même cruauté et le même arbitraire que le combattant dévoyé et voyou d’en face.
À un moment de l’histoire espagnole où il n’était pas évident, pour un intellectuel, d’afficher une indépendance d’esprit à l’écart des voies (et voix) politiques en conflit sans risquer l’injure et l’opprobre de ses concitoyens engagés des deux côtés de la lutte, les textes de Manuel Chaves Nogales, sur le cataclysme sanglant de 1936, sont un exemple magnifique de vision lucide, intègre, sensible et courageuse du malheur des hommes.
À feu et à sang, héros, brutes et martyrs d’Espagne. Manuel Chaves Nogales. Éditions Quai Voltaire. Paru le 17/03/2011. Genre : Littérature étrangère. Traduction (Espagnol) : Catherine Vasseur. A sangre y fuego.
Manuel Chaves Nogales (1897-1944) est une des figures importantes de la presse espagnole de l’entre-deux-guerres. Tour à tour grand reporter, rédacteur en chef et directeur des quotidiens les plus prestigieux (El Heraldo de Madrid, Ahora), il représente parfaitement ce journalisme d’investigation et de témoignage qui s’épanouit en Europe au cours des années vingt. En 1936, au début de la guerre civile, il doit quitter l’Espagne. De Paris, où il s’était réfugié, il s’expatrie à nouveau vers Londres, à l’arrivée des Allemands en 1940. C’est là qu’il mourra, après quelques mois d’exil, à l’âge de quarante-six ans.