Un Monde sans oiseau, le titre déjà est plaisant. Lisez la quatrième de couverture, vous plongerez à la suite dans le livre. Magique. Un imaginaire servi par un brio réel. Karin Serres parvient à planter un monde incroyable et pourtant signifiant, à faire aimer au lecteur un personnage campé à la fois en légèreté et en profondeur. Le tout en quelques pages.
Car le livre est court. Dévoré en une heure grand maximum. Un bijou fantaisiste, philosophique à la limite du gothique. Une vraie merveille dans les eaux troubles d’un futur où la planète, bien trop mise à mal, est devenue ce monde étrange où surnagent de curieux et énigmatiques cochons fluorescents. Un univers à la fois sympathique et terrifiant.
La peau du lac frémit, frise, se creuse comme une tôle ondulée puis explose en une immense vague qui asperge toutes les maisons du village sous le cri de ma mère qui surplombe, petit corps gluant qui vient ramper hors de sa nuit rouge pour atterrir sur le plancher au bout du cordon qui bat. Les planches me piquent, l’air me déchire, je déplie mes poumons fins comme des peaux de tomate, je vagis. Epuisée, ma mère glisse le long de la couette d’herbes sèches et tombe à mes côtés. Je la regarde à l’envers, maman-montagne-maman, pleine de son odeur. Tant de sensations nouvelles m’assaillent. Jaillie de l’église, la voix de mon père survole le lac jusqu’à la maison jaune, entre par la fenêtre ouverte de la chambre, descend se poser sur ma petite tête chauve trempée : « … petite boîte d’os ! » et je suis nommée, pendant que dehors les maisons multicolores s’ébrouent encore.
« Petite Boîte d’Os » est la fille du pasteur d’une communauté vivant sur les bords d’un lac nordique. Elle grandit dans les senteurs d’algues et d’herbe séchée. Elle devient une adolescente romantique aux côtés de son amie Blanche. Elle découvre l’amour avec le vieux Joseph. Ce dernier est revenu au pays après le « Déluge », enveloppé d’une légende troublante qui le fait passer pour… cannibale.
Dans ce monde à la beauté trompeuse se profile le spectre d’un passé enfui où vivaient des oiseaux, une espèce aujourd’hui disparue. Le lac, d’apparence si paisible, est le domaine où nagent les cochons fluorescents, et au fond duquel repose une forêt de cercueils, dernière demeure des habitants du village.
Une histoire d’amour fou aussi poignante qu’envoûtante, un roman écrit comme un conte, terriblement actuel, qui voit la fin d’un monde, puisque l’eau monte inexorablement et que la mort rôde autour du lac…
Les images explosent dans la tête et le monde sans oiseau de Karin Serres ne quitte pas le lecteur. Il y repensera, longtemps. Je l’ai lu il y a un an et demi et suis encore habitée par le talent de l’auteur. Il y a quelque chose de très nordique dans cette belle plume, d’explosif, d’unique. Vivement le prochain.
Ne ratez pas ce livre. Lisez-le. Si vous n’avez pas 60 minutes pour le découvrir, vous n’avez 60 minutes pour rien.