Situé au 34 rue Vasselot, le M.U.R. (Modulable Urbain Réactif) accueille des créations originales d’artistes street-art de tous horizons. Le parrain de l’association M.U.R. de Rennes Blek Le Rat, connu à l’échelle internationale, avait signé le coup d’envoi en septembre 2019. Avant le lancement, Unidivers avait rencontré Patrice Daniello, passionné d’art urbain et président de l’association M.U.R. de Rennes. Après l’hommage d’Aéro Créaéro Décograff à Ousmane Sy, chorégraphe et co-directeur du CCNRB récemment disparu, la création de Treize Bis accompagne le mois de février 2021 (cf fin de l’article).
Certaines choses vous plairont, d’autres moins, mais à chaque fois ce sera éphémère…
Unidivers – Chaque mois, un artiste street-art viendra peindre le M.U.R. (Modulable, Urbain, Réactif) de Rennes afin de promouvoir l’art urbain. D’où vient l’idée d’importer cette réflexion dans la capitale bretonne ?
Patrice Daniello – Depuis trois ans, je discute du projet avec Bob Jeudy – président de l’association le M.U.R. d’Oberkampf à Paris. Le concept me plaisait et la Mairie de Rennes trouvait l’idée intéressante. Ils avaient l’emplacement et à partir de là, ils ont cherché à monter une association en contactant des personnes, dont moi et d’autres, et l’association M.U.R. de Rennes a vu le jour.
Plus d’une vingtaine de M.U.R. existe en France. Contrairement au M.U.R. d’Oberkampf qui accueille un artiste toutes les deux semaines, les artistes vont faire vivre le M.U.R. de Rennes les premiers dimanches du mois, le même jour que le Marché À Manger et surtout, la gratuité des musées. Les gens pourront venir voir l’artiste en plein travail avant de faire un tour au Marché À Manger ou d’aller au musée.
Nous voulons créer un lieu sympa, en communion avec la vie de quartier et l’actualité de la ville. Un endroit où les artistes sont contents de venir créer et où de belles rencontres ont lieu.
Unidivers – Collectionneur d’art urbain depuis près de trente ans, qu’est-ce qui vous a touché dans ce style d’expression artistique ?
Patrice Daniello – J’ai la fibre du collectionneur depuis tout petit. Mon père aimait la peinture et nous allions voir des expositions ensemble. J’étais à Paris à la fin des années 80 quand l’art urbain a explosé : les grands panneaux publicitaires, la ruée vers l’Art – dont l’affiche était signée Speedy Graphito (France), les palissades installées autour du Louvre… un véritable mouvement artistique naissait et Paris était au centre de ces nouvelles problématiques.
Les premiers peintres ont investi les rues après avoir vu les métros et autres lieux graffés aux États-Unis. Ils arrivaient en France avec des techniques et des approches différentes que celles de la peinture… Des personnes peignaient sur les murs sans pour autant parler street-art à l’époque. Il s’agissait seulement de jeunes artistes, comme Speedy Graphito qui posait sur les panneaux publicitaires en laissant leur numéro de téléphone afin d’être contacté. La publicité avait envahi les rues, pourquoi pas l’art ? Il n’était pas question de marché de l’art, mais plutôt de rendre visible un travail à une période où les galeries ne les acceptaient pas. Ils ont fait de la rue leur galerie. Aux côtés d’artistes de la figuration libre, comme Richard Combas ou Di Rosa, les magazines écrivaient sans segmentation entre Street-Art/Figuration libre. Ils étaient tous sur le même pied d’égalité et c’est ce qui m’a intéressé.
L’Art Urbain est l’art de notre époque : vivant, diversifié et une idée de lutte et de révolte. Et surtout, beaucoup d’artistes talentueux avec un message à transmettre.
Il faut attendre les années 2000 et l’arrivée d’Internet pour que le mouvement connaisse un nouvel essor, avec Banksy entre autres. Les personnes découvraient les murs du monde entier. La scène artistique française compte des pochoiristes depuis longtemps dont Blek Le Rat, parrain du M.U.R. de Rennes et premier artiste invité. À l’occasion des Transmusicales de 1986, il avait apposé des danseurs de tango dans différents endroits en ville. Il est certainement l’un des premiers à avoir posé des pochoirs à Rennes dès la fin des années 80. Le fait de revenir signifie beaucoup pour lui, c’est une des raisons pour laquelle il a accepté je pense.
Unidivers – Pourquoi la rue Vasselot comme spot de création ?
Patrice Daniello – L’association n’a pas choisi le lieu, la Mairie de Rennes avait cet emplacement et placer le M.U.R. à cet endroit n’est pas incohérent dans le concept. La façade de l’immeuble se prête à ce genre d’exercice et avec la petite place, je trouve l’endroit idéal. À l’origine, le panneau devait être accroché directement au mur, mais il s’agit d’un immeuble classé, ce n’était donc pas possible. Ce panneau de 21 m2 semblait la solution la plus adaptée.
Généralement, le M.U.R. est placé en périphérie de la ville, mais nous avons la chance d’être en plein cœur de Rennes, dans une rue où le passage est en continu toute la journée. Nous voulons faire vivre le quartier et créer des liens avec les commerçants et les résidents. Patrice, en charge de la régie technique du mur, est un habitant de l’immeuble à la retraite. Il recouvrera le M.U.R. de noir une fois le mois d’exposition terminé. C’est lui qui peindra le plus souvent sur le M.U.R. au final (rires). Les membres de l’association viennent d’horizons différents et c’est ce qui est intéressant.
Unidivers – La fine fleur de l’art urbain va se produire sur le M.U.R. de Rennes. Pourra t-on découvrir également des artistes émergents ?
Patrice Daniello : Bien sûr, c’est l’idée. Nous voulons une programmation variée avec autant d’hommes que femmes. Ça paraît logique, mais il est important de le rappeler. Beaucoup de femmes artistes sont talentueuses et ont développé une grande technique.
Le M.U.R. accueillera des artistes de renom, et d’autres moins connus. le but est de promouvoir des artistes aux techniques et APPROCHES différentes.
Nous avons choisi trois identités très différentes pour le lancement du projet : Blek Le Rat, NeSpoon et Patrice Poch. Les faire intervenir sur le M.U.R. de Rennes à ses débuts permet de montrer la diversité créative, tout en conservant notre ligne directrice : promouvoir la création régionale, nationale et internationale.
Blek le Rat, le premier invité à peindre (dimanche 1er septembre 2019) est connu au niveau international. Sa présence donnera une impulsion et une visibilité au M.U.R.. L’avoir est une chance, il n’a participé à aucun M.U.R. encore. Ce sera une première autant pour lui que pour le M.U.R. de Rennes.
L’objectif est de surprendre les gens en s’adaptant au territoire et en suivant l’actualité de la ville. La Polonaise NeSpoon a une approche totalement différente de Blek Le Rat. Elle travaille la dentelle polonaise et pour le M.U.R. de Rennes, elle s’intéresse aux dentelles bretonnes conservées au Musée de Bretagne afin d’adapter son travail. Le Rennais Patrice Poch travaille sur l’univers de la musique, le punk notamment, il viendra graffer au moment des Transmusicales.
Unidivers – On peut lire une ressemblance entre le travail de l’artiste français Ernest Pignon Ernest et celui de Blek Le Rat, premier invité. Pouvez-vous expliquer son travail en quelques mots ?
Patrice Daniello – Les deux ont évolué à la même époque, aux prémices de ce qu’allait être l’art urbain. Dès 1981, Blek Le Rat a utilisé la technique du pochoir et a commencé à laisser des images de rats dans la ville, cet animal indésirable qui s’immisce partout, un peu à l’image du graffeur. Avec la technique du collage, Ernest Pignon Ernest – un artiste que j’aimerais beaucoup avoir sur le M.U.R. – a une approche plus politique, mais on sent une formation commune : au niveau de la sensibilité, du message et de la façon dont il est véhiculé dans la rue.
Blek Le Rat a une formation de type Beaux-Arts et on retrouve beaucoup de références classiques, comme l’Apollon à la mitraillette ou la Vénus qui fait un doigt d’honneur. On ne s’en rend peut-être pas compte, mais l’école française a eu un impact important sur le street-art. Avoir un parrain de cette envergure ne peut qu’être un honneur. Les trains graffés aux États-Unis étaient une autre approche et on ne se ferme pas à elle non plus dans ce que l’on veut proposer sur le M.U.R..
Unidivers – À l’origine, le graffiti était illégal, du moins clandestin, et les graffeurs gardaient leurs identités secrètes. C’est d’ailleurs encore le cas. Avec le M.U.R. de Rennes, chaque artiste invité proposera une réelle performance artistique tout en perpétuant le principe de l’art urbain puisqu’il s’agit d’œuvre éphémère…
Patrice Daniello – Jusqu’en 1991, personne ne connaissait le visage de Blek Le Rat. Ce n’est qu’au moment de son arrestation à Paris que la presse a dévoilé son identité. À partir de cet événement, il a commencé à réaliser des collages pour éviter de peindre directement sur les façades. Si vous regardez son œuvre, les créations sont épatantes. Banksy dit souvent que, quand il produit quelque chose, il s’aperçoit que Blek Le Rat l’a déjà fait, 23 ans auparavant. Une idée commune ressort de leur travail.
Certaines personnes pensent que le M.U.R. est une manière de rendre l’art urbain institutionnel. Quand le graff s’expose dans une galerie ou un musée, il bascule effectivement dans l’institutionnel, mais ce n’est pas le cas ici. Ce type de mur est à la jonction entre l’art institutionnel et l’art urbain. c’est ce qui m’a attiré dans le projet. Tous les codes de la galerie sont bien présents – un emplacement, un artiste sélectionné, une date de début et de fin, un vernissage le premier jour et un cartel. Cependant, à la fin de l’exposition, on retrouve le côté éphémère de l’art urbain puisqu’il est recouvert par un nouveau travail. Cela reste une œuvre offerte aux passants et à la vue de tous également.
Unidivers – Si des graffeurs, amateurs ou non, viennent recouvrir de manière illégale l’œuvre de leur travail ?
Patrice Daniello – C’est le jeu de la rue. Quand un graffeur recouvre l’œuvre d’un autre, il pense pouvoir faire mieux. Si un graffeur le pense, c’est son droit et ça s’inscrira dans l’histoire du M.U.R. de Rennes. Cependant, on trouverait ça dommage, des artistes vont se déplacer, parfois de loin, afin de proposer un travail artistique et promouvoir l’art urbain. Et Rennes regorge d’endroits pour se réaliser. Un site géré par l’association Asarue répertorie tous les murs libres où il est possible de s’exprimer dans la ville (carte interactive). Dans le graff, le but est de poser plusieurs pièces afin de se faire connaître. Si un artiste veut une certaine visibilité sur Rennes, ce n’est pas en posant une pièce un jour sur ce mur-là qu’il l’aura.
J’incite les graffeurs à venir voir les artistes travailler et à échanger avec eux. Faire des rencontres est important afin d’être invité sur des festivals par la suite. L’association Teenage Kicks invite de super artistes dans le cadre de leur festival. C’est une occasion de faire leur connaissance et de découvrir un nouveau pan de la création…
Le M.U.R de Rennes inauguré par Blek Le Rat, le 1er septembre 2020 :
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MISE A JOUR 08/02/2021
« Vive la culture déconfinée », le message de Treize Bis sur les réseaux sociaux met du baume au cœur : Nouvelle création, nouvel univers pour le M.U.R de Rennes. C’est un ciel constellé d’étoiles, habité par un visage de statue grecque masqué, encerclé de dragons, qui habille la rue Vasselot en ce début de mois de février. Aux commandes de cette nouvelle création ? Le graffeur parisien 13 Bis dont la superposition de collages crée une composition riche à l’univers fantastique. L’artiste semble piocher ses influences dans le monde de gravure, de l’art et l’onirisme des mythologies. En plongeant son regard dans celui masqué de nuages, ce travail ne peut qu’appeller à la rêverie.
Qu’il soit autorisé ou non, le street-art déconfine la culture, pour notre plus grand bonheur et en ces temps plus difficiles que jamais en matière de culture et d’art, remercions ces artistes d’habiller les rues des villes et d’offrir de cet art à ciel ouvert.
MISE À JOUR 15/01/2021
Aéro rend hommage à Ousmane Sy, chorégraphe, danseur, membre du collectif F-AIRE et codirecteur du CCNRB, disparu dans la nuit du 26 au 27 décembre 2020. Le graffeur ne connaissait pas personnellement le danseur, mais connaissait son travail et c’est en se prolongeant dans ses souvenirs qu’il a su puiser l’inspiration.
Dans un jeu de noir et blanc, d’ombres et de lumières, il offre une création sobre et émouvante : au premier plan, le portrait d’Ousmane côtoie l’image du chorégraphe entrain d’effectuer un slide, ce pas qu’il affectionnait particulièrement, entouré de ce public qui ne ne pouvait se lasser d’apprendre de cette figure du hip hop, passionnée et toujours enthousiaste à l’idée de partager son expérience et son savoir.
MISE À JOUR 25/11/2020
En ces temps difficiles pour la culture, voir que l’Art et la création artistique continuent de faire vivre nos rues, sous des formes parfois adaptées, ne peut faire que du bien. Le street-artiste made in Rennes Antoine Martinet, aka MioSHe, apporte sa pierre à l’édifice en graffant à son tour le M.U.R. de Rennes. Artiste, illustrateur et street-artiste, MioSHe est connu des Rennais, il « dessine et peint sur le mur et sur la toile la relation entre l’humain, l’urbain et la nature », lit-on sur son site. De ses réflexions naît un univers à la fois étrange et merveilleux. Des êtres chimériques, où masculin et féminin se mêlent, prennent place dans des décors contemporains tantôt réalistes, tantôt fictifs, les corps rappelant parfois les figures peintes de la Grèce Antique. Le M.U.R de Rennes graffé par MioSHe est une plongée dans un tourbillon de science-fiction galactique entre abstraction et figuration. Mais l’interprétation est propre à chacun. Et vous, que voyez-vous ?
L’artiste est par ailleurs entré dans les collections du Fonds Communal d’art contemporain de la ville de Rennes avec les acquisitions 2019.
MISE À JOUR DU 05/09/2020 :
Seth prouve une nouvelle fois son talent avec son œuvre pour le M.U.R. de Rennes. Une petite fille noire se balance sous un ciel bleu. Au premier plan, des barreaux brisés. Cette enfant semble libérée de sa prison et peut enfin regarder l’horizon… Comme l’explique l’artiste, chacun y voit son interprétation, mais les échos à l’actualité ne laisse aucun doute. En contemplant l’œuvre, on ne regrette qu’une chose, qu’elle soit éphémère…
Le M.U.R. de Rennes fait sa rentrée avec le Parisien Julien Malland, connu sous le blase Seth. Le street-artiste n’est pas à sa première création dans la capitale bretonne, loin de là. Il est connu et reconnu par les professionnels et passionnés. Les Rennais ont par exemple le plaisir de voir son œuvre à chaque fois qu’ils prennent le métro en direction de Kennedy. À l’arrêt Ponchaillou, une mère bretonne et son enfant auréolés des couleurs de l’arc-en-ciel ont élu domicile sur une façade depuis 2013. Reconnaissables, les enfants graffés de Seth, le visage généralement caché, fascinent autant par la finesse du travail que par ce qu’ils dégagent : la douceur et la poésie de l’enfance.
MISE À JOUR DU 07/12/2019
Afin de clôturer l’année 2019, les broderies de Nespoon laissent place à l’univers punk-rock de l’artiste breton Patrice Poch. Dès ses débuts à la fin des années 1980, il développe la technique du pochoir qu’il perfectionne et rend plus minimaliste au fil des années. « Les figures qu’il représente sont les acteurs d’une scène punk 80’s dont la rue est le décor, propice à toutes les errances », explique t-il sur son site Internet.
Dans le cadre du festival des Transmusicales, il réalise un graff de l’emblématique groupe le Marquis de Sade d’après une photo de Michel Aubert. En plongeant les passants de la rue Vasselot dans une ambiance musicale aux couleurs marquées, il rend hommage au chanteur Philippe Pascal (1956-2019) de la plus belles des manières.
MISE A JOUR DU 04/11/2019