De Nathalie Rheims, on sait peu de choses. D’ordinaire, les journalistes l’envisagent par le biais de son illustre famille ou rappellent à notre mémoire sa voluptueuse blondeur. Comme si une femme se résumait à son ascendance et à sa coiffure… Comme si, derrière l’image sympathique et malicieuse de la romancière populaire, aucune fêlure n’était à découvrir… Au contraire, Nathalie Rheims est une femme douée de secrets. Chacun de ses propos dissimule plusieurs clandestinités. À telle enseigne que les questions sont apparues sans importance au fil de l’entretien. Les réponses se suffisent à elles-mêmes.
« J’essaie de retrouver mon énergie après avoir clôturé cette nuit un texte sur le Père-Lachaise. Trois semaines d’écriture intense en quasi-autarcie. J’ai accepté le projet parce que tout le monde connaît le cimetière, mais pas celui à qui l’on doit son nom. Il existe, en effet, très peu de documents relatifs à François d’Aix de La Chaisequi était le confesseur de Louis XIV. Bref, ce fut instructif et passionnant.
« Voyez-vous, il est très difficile d’accompagner un livre alors que l’on sort tout juste d’un autre texte et qu’on envisage déjà le suivant. J’ai le sentiment étrange d’un décalage indomptable. La presse a beaucoup parlé de Maladie d’amour sans vraiment disséquer sa construction. Vous savez comment les choses se passent. Un premier journaliste signe l’article dont les autres s’inspirent ensuite, et tout le monde finit par dire la même chose. C’est quand même inouï qu’à une ère médiatique sans précédent l’information soit autant normalisée. Certes, le sujet du livre n’est pas commun et, bien qu’abordé de nombreuses fois par Hollywood avec des films comme Basic Instinct, Harcèlement ou Fatal Attraction, il est encore rarement traité chez nous, même si Michel Spinosa s’en est inspiré pour Anna M. Ce désintérêt hexagonal est surprenant, car l’érotomanie est un syndrome découvert au début du siècle dernier par un psychiatre français, Gaëtan de Clérambault, qui fut le premier à le différencier de la nymphomanie, plaçant ainsi chaque psychose dans un cadre bien distinct.
« Les érotomanes sont persuadés d’être aimés par quelqu’un qu’ils n’ont parfois jamais rencontré. Ce peut être un ami proche, un voisin ou une personnalité ; alors que les nymphomanes relèvent d’une sexualité compulsive en recherche d’une jouissance difficile, voire impossible, avec l’espoir que le prochain partenaire sera le ‘bon’. Ce sont deux entités cliniques souvent associées aux femmes. À tort, bien entendu, car l’érotomanie est entrée dans ma vie par un homme, mais je n’avais pas envie de construire une histoire avec un réceptacle masculin, raison pour laquelle il est devenu Alice dans le roman.
« Vous avez raison, il s’agit d’un livre sur la jalousie. Celle d’Alice, envieuse de Camille à qui tout semble sourire. Camille est mariée, sa vie affective est stable et satisfaisante, ce qui ne l’empêche pas à son tour d’éprouver un vif désir envers Alice lorsque cette dernière évoque ses nombreuses aventures. Partant de là, Camille enquête pour savoir si Alice dit vrai, et si tous ses amants sont réels puisqu’elle n’en présente jamais aucun à personne. J’ai d’ailleurs, moi aussi, envié Alice lorsque j’écrivais. L’invention de l’amour est une maladie contagieuse.
« Donc oui, il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’un livre sur la jalousie. J’aurais apprécié que les critiques l’évoquent en ces termes, sans concentration excessive sur l’érotomanie. Mais, voyez-vous, c’est également une histoire construite autour de la folie amoureuse. On ne sait pas qui est la plus excessive d’Alice ou de Camille. La bascule du roman est dans cette ambigüité à travers l’idée du désir que l’une et l’autre imposent à elle-même et de l’insatisfaction qui en résulte. J’ai d’ailleurs édifié ma projection d’auteur sur ce double phantasme : d’abord celui d’Alice au début du roman, puis celui de Camille à la fin, avec une déclinaison bicéphale au milieu, lorsqu’elles deviennent un même personnage à deux visages, Janus des temps modernes, comme beaucoup de gens, dont les relations se construisent davantage sur une jalousie émulatrice que sur une réelle entente. Au reste, pour être franche, je ne sais pas ce qui s’est passé en amont de l’histoire, et si Alice a bien eu les aventures qu’elle prétend. Il y a des auteurs qui connaissent leurs personnages mieux qu’eux-mêmes, ce n’est pas mon cas ni mon propos. J’en suis maitre de la première à la dernière page, mais le reste, tout le reste appartient au lecteur.
« Ce que je retiens de l’amour ? Déjà qu’il est à vivre au présent, ensuite qu’il ne faut pas le confondre avec la passion. Toute passion est aliénante. L’amour, lui, est aux frontières ultimes de la folie et, s’il n’y a pas de limite aux sentiments amoureux, nous devons malgré tout admettre que l’amour fou est folie. C’est le propos du livre. J’ai travaillé mes trois personnages principaux de sorte que le lecteur prenne fait et cause pour l’un d’eux ; qu’il se positionne, à son tour, dans la démesure affective afin d’être en état d’apesanteur, comme moi lorsque j’écris. C’est ce que disent tous les écrivains, mais je vous assure que c’est la vérité. D’ailleurs, vous le savez aussi bien que moi, l’écriture fonctionne comme une ivresse. Je sors très peu, ne voyage presque jamais, mes seules véritables croisières, trekkings et périples sont mes romans.
« J’ai effectivement un livre à conseiller. Il s’agit de l’Eloge du chat de Stéphanie Hochet. Les mauvaises langues me reprocheront ce choix dans le catalogue de mon propre éditeur, mais qu’importe, c’est un excellent récit ; comme, d’ailleurs, celui de Serge Koster, Mes brouilles, à propos desquelles il évoque ses plus mémorables fâcheries. Outre l’originalité du sujet, la plume est merveilleuse.
« Vous m’offrez le dernier mot ? Vous êtes bien le seul ! (Sourire) – Puisque les droits de Maladie d’amour viennent d’être achetés, faisons comme au cinéma : Coupez ! »
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Maladie d’amour de Nathalie Rheims, Editions Léo Scheer
295 pages – 19 €
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