RÉCIT D’UN DEUIL, OÙ VONT LES FILS ? D’OLIVIER FRÉBOURG

Après Gaston et Gustave, chant d’amour déchirant à Arthur, son fils disparu à la naissance et frère jumeau de Gaston, le survivant, Olivier Frébourg nous revient dans le récit tendre, mélancolique et triste d’un homme inconsolable d’être éloigné de ses fils Martin, Jules et Gaston, qu’il retrouve seul désormais, quitté par son épouse et maman des trois garçons. Les livres successifs d’Olivier Frébourg tournent les pages d’une existence à jamais endolorie il y a dix ans par le deuil d’un enfant et d’un couple, socle d’un bonheur à jamais disparu. Où vont les fils ? est l’ultime chapitre de cette aventure personnelle, bouleversée et bouleversante.

olivier frebourg

Olivier Frébourg vit en Normandie – « la liberté est vers l’océan, l’ouest, le voyage » écrit-il dans Gaston et Gustave -, c’est là qu’il s’est marié, a vu grandir ses fils. Une partie de son enfance fut lointaine, ultramarine, passée à la Martinique où il emmena un jour femme et enfant, unique héritier à ce moment de son existence, pour leur montrer tous ces lieux qui avaient été le nid enchanteur de sa prime jeunesse : « Il n’y a pas d’alliance sans le roman de deux enfances qui finissent par se fondre dans le même or. » Olivier est fils de marin. Son père, « un homme à la mer » comme il intitulera l’un de ses précédents livres, était commandant en second d’un paquebot de croisière – Antilles était son nom – et emmenait les voyageurs, et le petit Olivier, sur les eaux bleues et limpides des îles caribéennes. « Tout autour du paquebot c’est une cave d’outremer pur » disait Cendrars dont Olivier Frébourg aime à citer les paroles. La marque sur le tout jeune enfant fut indélébile : « Le roman des Tropiques m’avait constitué. »

Mais, hélas, « le bonheur est un pays de construction et de certitude où l’on se sent si vite étranger », un bonheur à deux, et brisé en deux quand sa femme le quitte sur un terrible et cinglant « je ne t’aime plus ». Inconsolable, elle aussi, de la mort d’Arthur, jumeau de Gaston, elle n’a pas pardonné à son mari de l’avoir entraîné dans un voyage professionnel, littéraire et festivalier, à Saint-Malo qu’elle a jugé après coup périlleux pour sa future maternité et qui a provoqué selon elle l’accouchement très prématuré des deux bébés. Avec la tragique conséquence que l’on sait.

Désunion, demande de divorce. C’est alors l’inévitable et triste parcours judiciaire qui va séparer père, mère, enfants. « La fin d’une histoire d’amour n’est rien par rapport à l’éclatement d’une famille…Atrocité de la judiciarisation de l’enfant. Le mystère de la nature est soudain piétiné par des juges, des avocats. Toute notre vie consignée, découpée, autopsiée par les légistes. Plus aucune géographie familière ne pouvait m’accueillir. J’avais été expulsé des territoires où nous avions vécu dans l’insouciance. […] Un divorce c’est sept deuils en même temps. Deuil d’un amour, deuil de la confiance, deuil de l’amour-propre, deuil d’une vie de famille, deuil des enfants, deuil du présent, deuil de l’avenir. Éclatement. »

Finis les grands repas de famille, « feux d’artifice de sentiments », finis les jeux et les rires sur la plage de Port-Halguen, « cette plage que nous avions connue, elle et moi séparément, enfants, était devenue notre ruban commun et enlaçait notre histoire », fini « l’émerveillement et la découverte d’un pays, ensemble », adieu la maison de famille pleine des cris joyeux des enfants, point de ralliement des vacances, « la vigne vierge qui en recouvrait les murs perdait ses fruits pareils à de petites perles qui tombaient comme des larmes. » Désormais, Olivier s’occupera de ses enfants en temps partagé avec son ex-femme. Et la « cérémonie des adieux » au moment des vacances et des weekends lui déchirera régulièrement le cœur, « journées de cendre et de pluie. » Cette explosion de la cellule familiale, « signe manifeste de l’éclatement de notre époque où l’unité est suspecte », contraint à une logistique et une triste organisation pendulaire du temps et de l’amour. Quand il embrasse ses trois garçons au moment de la séparation, « ces baisers donnés parfois mécaniquement sont pourtant instants de grâce. »

Au fil des pages, Olivier Frébourg se réfugie dans sa propre jeunesse, une époque où les mères à chignon « ressemblaient à des hôtesses d’Air France », une époque de chansons douces, du Sud de Nino Ferrer et des Foules sentimentales d’Alain Souchon. Olivier mêle volontiers ses souvenirs, jusqu’à les confondre, aux scènes mélancoliques des films de Claude Sautet dans lesquels aurait pu jouer aux côtés de Montand l’ami François Floch, l’imprimeur de Mayenne à qui il rendait régulièrement visite et qui lui fabriquait les livres de sa maison d’édition des Équateurs, – « un métier de l’ancien monde » -. François, un homme fidèle en amitié qui aimait les femmes, le whisky, les bons repas entre copains et dont Olivier pleurera la mort brutale.

On était loin alors de l’époque actuelle, où « nous passons notre existence à beaucoup saccager et un peu à construire », où l’on (se) consume autant que l’on consomme, « grandes surfaces et petites vies », un présent à toute allure, celui du numérique qui gomme la mémoire des familles et tout ce qui en porte la trace. C’était mieux avant, vieille antienne. Quand la femme d’Olivier était là, bien sûr. Mais aussi quand on ne vivait pas à grande vitesse, consommateurs-acteurs gavés comme aujourd’hui de selfies, de tweets, d’invectives sur réseaux sociaux – « la peste soft-power » -, de palabres et d’images de guerre sur les chaînes d’info en continu. Car ce livre, histoire d’enfance, est aussi histoire d’en France.

« Mon enfance fut un paquebot. Mes trois enfants ont connu le naufrage du beau navire. » Naufrage du bonheur d’un équipage à cinq, qui aurait dû être six. Olivier vit désormais la paternité solitaire, « répétant les gestes de tendresse de leur mère que j’avais vu leur prodiguer et les paroles de ma propres mère », ces mots qui « nous sculptent et nous permettent de tenir debout avant l’effondrement et l’arrachement à ceux que l’on aime.»

« Les pères de famille, ces grands aventuriers du monde moderne » écrivait Péguy. Pour Olivier Frébourg, grand reporter parcourant le monde et navigateur lui-même, dans le sillage familial et filial d’un marin capitaine de navire, l’aventure ne sera à jamais que celle-là : aimer et voir ses enfants grandir, embarqués eux aussi plus tard, peut-être, vers des horizons lointains, sans se perdre ni perdre de vue le port d’attache, la maison, les racines…

OLIVIER FREBOURG

Où vont les fils ? d’Olivier Frébourg, comme les précédents, est un livre d’amour et de tendresse, tissé de phrases délicates et vibrantes où rien ne pèse ni ne pose. Un récit, merveille d’écriture, d’émotion et de sincérité, qui pourrait aussi s’intituler : Famille, je vous aime.

Où vont les fils ? d’Olivier Frébourg, Éditions Mercure de France, octobre 2019, 155 p., ISBN 978-2-7152-5390-2, prix : 15.50 euros.

Sélection Prix Interallié 2019.

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