C’est le tour de François-René de Chateaubriand. Dans le premier épisode de notre série sur Rennes et les écrivains, nous avions croisé sur la piste du grand écrivain de Condate l’écrivain beat Jack Kerouac. Force est de constater que la littérature boude la capitale bretonne. Le ventre de Rennes gargouille, la prose daigne à le rassasier. Mais la quête n’est pas terminée.
Aujourd’hui, un écrivain qui a aimé notre ville. N’ayez crainte, il n’est pas le seul. Finalement, la présence des écrivains à Rennes importe moins que le récit de leur absence. Si Paris inspire le spleen et les mystères, le chef-lieu de la Bretagne suscite la page blanche. Dans le cas de Chateaubriand, au contraire, Rennes devient un théâtre épique et sanglant. Continuons la balade littéraire…
Non, Chateaubriand n’est pas qu’une pièce de bœuf.
Si on ne lit plus trop Les Mémoires d’outre-tombe, et encore moins Le génie du christianisme ou René, on croise Chateaubriand partout. Là un collège, ici une agence immobilière, ailleurs une avenue. À Saint-Malo, son tombeau côtoie la mer et la tempête, sur le rocher du Grand Bé. « Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’y entendre que le vent et la mer. Passant, respecte sa dernière volonté » peut-on lire sur la plaque commémorative. Sur la route qui nous ramène à Rennes, un panneau de signalisation touristique, très esthétiquement marron, nous indique que Combourg est le berceau du romantisme. À Plancoët, dans les Côtes-d’Armor, une plaque signale que le jeune homme a passé là ses premières années.
Entre Kerouac, qualifiant Rennes de « chien policier » et Hugo, Flaubert et autres écrivains du XIXe siècle présentant la région comme une province sauvage et arriérée, on trouve François-René. Contemporain de la Révolution française – il a 21 ans –, l’écrivain royaliste est aussi le témoin partisan de la contre-révolution. Dans cette lutte qui oppose Chouans, Vendéens et révolutionnaires, Rennes se trouve au cœur du conflit.
Ce n’est donc pas sans nostalgie que Chateaubriand se remémore ses jeunes années à Rennes, encore sous l’Ancien Régime. En 1782, il est alors âgé de quatorze ans et quitte le collège de Dol pour celui de Rennes.
Je ne tardai pas à partir pour Rennes : j’y devais continuer mes études et clore mon cours de mathématique, afin de subir ensuite à Brest l’examen de garde-marine.
Monsieur de Fayolle était principal du collège de Rennes. On comptait dans ce Juilly de la Bretagne trois professeurs distingués, l’abbé de Chateaugiron, l’abbé Germé pour la rhétorique, l’abbé Marchand pour la physique. Le pensionnat et les externes étaient nombreux, les classes fortes.
Le jeune François-René a passé cette année rennaise dans la rigueur de l’étude et l’insouciance de de l’internat. Ce texte, extrait des Mémoires d’outre-tombe, continue plus loin sur une analogie inattendue : « Rennes me semblait une Babylone, le collège un monde ».
La Révolution française fut vécue comme un drame par l’écrivain. Idéologiquement, il était un fervent royaliste. La passation de pouvoir provoqua la ruine partielle de sa famille, dont certains membres furent par la suite guillotinés. Toujours dans les Mémoires, il raconte les États généraux de 1789, à Rennes. L’épisode dont il parle est en réalité la Journée des Bricoles, un événement prérévolutionnaire qui opposa nobles et étudiants.
« Un journal, La Sentinelle du Peuple, rédigé à Rennes par un écrivailleur arrivé de Paris, fomentait les haines. Les États se tinrent dans le couvent des Jacobins, sur la place du Palais. Nous entrâmes, avec les dispositions qu’on vient de voir, dans la salle des séances ; nous n’y fûmes pas plus tôt établis que le peuple nous assiégea. Ces 25, 26, 27 et 28 janvier 1789 furent des jours malheureux ».
Chateaubriand narre les duels qui opposèrent les deux camps. Imaginez donc l’actuelle Place du Parlement transformé en champ de bataille. Tour à tour épique et lyrique, Chateaubriand décrit l’affrontement :
Las d’être bloqués dans notre salle, nous prîmes la résolution de saillir dehors, l’épée à la main ; ce fut un assez beau spectacle. Au signal de notre président, nous tirâmes nos épées tous à la fois, au cri de : Vive la Bretagne ! et, comme une garnison sans ressources, nous exécutâmes une furieuse sortie, pour passer sur le ventre des assiégeants. Le peuple nous reçut avec des hurlements, des jets de pierres, des bourrades de bâtons ferrés et des coups de pistolet. Nous fîmes une trouée dans la masse de ses flots qui se refermaient sur nous. Plusieurs gentilshommes furent blessés, traînés, déchirés, chargés de meurtrissures et de contusions. Parvenus à grande peine à nous dégager, chacun regagna son logis.
Lecteur, je t’arrête : regarde couler les premières gouttes de sang que la Révolution devait répandre. Le ciel a voulu qu’elles sortissent des veines d’un compagnon de mon enfance.
Si Chateaubriand ouvre la littérature française du XIXe, il s’attache aussi à rendre compte d’un monde qui s’effondre. Cette révolution, portée notamment par les étudiants, placera Rennes dans une position inconfortable : capitale d’une Bretagne pauvre, retranchée, contre-révolutionnaire, elle n’attire pas à elle la matière romanesque. Les écrivains du XIXe s’intéresseront à la Chouannerie, comme Balzac ou Hugo, donc à des villes comme Fougères ou Lamballe. La prise de la Bastille aura eu raison de la Journée des Bricoles sur le point de vue littéraire. Au moins, Rennes aura été Babylone dans le cœur d’un homme…
Dans le prochain épisode, vous découvrirez avec un fameux auteur à moustache pourquoi Rennes, sans son phoque, n’est plus rien…