Rennes. Le projet de mosquée des Gayeulles abandonné sous la pression des riverains

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mosquee rennes

Le projet de mosquée porté depuis plusieurs années par l’Association culturelle des musulmans de Rennes (ACMR) ne verra finalement pas le jour près du parc des Gayeulles.

Après plusieurs mois de tensions, de réunions publiques mouvementées et d’inquiétudes exprimées par une partie des riverains, la Ville de Rennes confirme que le dossier doit être réorienté vers un autre secteur. Deux nouveaux sites sont actuellement à l’étude.

L’implantation envisagée, à proximité du parc des Gayeulles, était pensée comme une réponse aux besoins croissants de la communauté musulmane rennaise, qui compte aujourd’hui plusieurs milliers de fidèles répartis sur des lieux de culte souvent saturés. Le futur équipement devait intégrer salle de prière, espace d’activités culturelles, accueil et locaux administratifs.

Pourtant, dès l’annonce du lieu, les réactions se sont fait entendre. Certaines associations de riverains ont exprimé leurs réserves, invoquant des questions de stationnement, de flux de circulation, de nuisances potentielles les jours de grande affluence ou encore la proximité du parc. De leur côté, d’autres habitants et collectifs ont défendu un projet jugé utile, nécessaire et cohérent dans une métropole où la diversité cultuelle est un fait.

La pression locale a fini par l’emporter

Si la municipalité rennaise avait d’abord réaffirmé que l’implantation respectait les règles d’urbanisme et les principes de neutralité liés à la gestion du culte dans le cadre de la loi de 1905, les tensions de voisinage ont pesé suffisamment lourd pour que la Ville décide de suspendre cette localisation. Plusieurs échanges entre élus, ACMR et services municipaux ont abouti à une conclusion pragmatique : trouver un site qui offre de meilleures conditions d’intégration urbaine et de cohabitation.

La mairie insiste toutefois sur un point : il ne s’agit pas d’abandonner le projet, mais de le relocaliser dans un cadre moins conflictuel. Pour les responsables musulmans, la décision est accueillie avec une forme de déception, mais également l’espoir qu’un terrain plus adapté permette d’éviter les crispations et de consolider un dialogue apaisé.

Deux nouvelles pistes étudiées

Selon nos informations, deux zones ont été identifiées : l’une toujours au nord de Rennes, dans un secteur plus dégagé et à distance immédiate des grands îlots résidentiels ; l’autre plus proche des limites est de la ville, où un foncier public pourrait être mobilisé. Les études portent à la fois sur la faisabilité technique, les accès, la cohérence avec les flux urbains et la capacité d’accueil.

La municipalité devrait rendre un avis d’orientation avant la fin de l’hiver 2026, ce qui permettrait ensuite à l’association porteuse du projet de lancer la phase architecturale. Les responsables assurent vouloir maintenir des réunions d’information régulières afin d’éviter que ne se reconstituent tensions, incompréhensions ou fantasmes.

Un révélateur des contradictions rennaises

Cette affaire illustre un paradoxe bien connu à Rennes. Une ville volontiers présentée comme progressiste, ouverte et accueillante, mais traversée – comme toutes les grandes métropoles françaises – par des débats sensibles sur la place des cultes, la transformation urbaine et la cohabitation des usages. Si les controverses locales ne prennent pas ici les formes violentes ou politisées observées ailleurs, elles révèlent néanmoins des fragilités grandissantes, des peurs et des impatiences de plus en plus vives.

En toile de fond, un débat plus technique mais très sensible revient régulièrement dans les échanges, celui de la frontière entre association « culturelle » et association « cultuelle ». L’ACMR, comme nombre de structures musulmanes en France, est constituée en association culturelle au sens de la loi de 1901 alors même qu’elle porte un lieu de culte qui est en principe régi par la Loi 1905. Beaucoup de juristes et d’observateurs estiment que cette ambiguïté, jugée volontaire par la mairie de Rennes, lui permet d’accompagner un projet cultuel de son choix (foncier, baux, garanties d’emprunt, équipements) sans assumer ouvertement de financer l’exercice du culte. Et ce, au risque de fragiliser la lisibilité de la loi de 1905 et de nourrir un sentiment de traitement différencié entre religions.

C’est dans ce contexte que plusieurs observateurs s’étonnent depuis des années d’un soutien jugé plus marqué d’Edmond Hervé puis de Nathalie Appéré au développement du culte musulman à Rennes tandis que d’autres cultes ne bénéficient pas d’une telle attention, en particulier les églises chrétiennes – notamment la paroisse chrétienne orthodoxe implantée à Rennes depuis près de quarante ans dont les demandes de soutien ont été régulièrement déçues. Certains y voient la persistance d’une culture municipale marquée par une méfiance à l’égard des expressions chrétiennes, dans la veine d’une sensibilité socialiste, matérialiste et sécularisée ; d’autres y lisent plutôt un soutien à un groupe sociologique important dans une perspective électoraliste ; d’autres enfin estiment que ces choix relèvent avant tout d’arbitrages urbains.

Au demeurant, la décision de déplacer la future mosquée n’éteint pas ces questions. Elle invite au contraire à penser la laïcité, l’aménagement et le vivre-ensemble non pas comme des slogans, mais comme des pratiques concrètes. Où construit-on, pour qui, comment, et à quelles conditions la confiance entre voisins peut-elle être restaurée ?

Les prochains mois diront si les deux options actuellement étudiées permettent enfin d’aboutir. L’enjeu dépasse de loin la seule localisation d’un lieu de culte, il touche aussi au pacte social rennais et à la capacité de la ville à intégrer sereinement la diversité de ses habitants.

À mesure que le projet avancera, Unidivers suivra les concertations, les choix techniques et les réactions des habitants afin de comprendre comment se construit – ou se répare – le consensus autour d’un équipement aussi structurant que symbolique. Et si la municipalité rééquilibre, ou non, le soutien apporté aux différentes expressions religieuses. Car, en fait, tout est histoire d’égalité en sus de fraternité.