La quatrième édition des Rencontres d’Histoire débute ce mardi 19 mars au Tambour de l’Université Rennes 2. Le thème de cette année, « La ville, tout un monde ! ». L’événement se prolonge à partir de vendredi aux Champs libres pour trois jours de rencontres et de visites. Unidivers a pu échanger avec Florian Mazel, professeur d’histoire médiévale et un des enseignants-chercheurs qui pilotent la programmation.
UNIDIVERS – C’est la quatrième édition des Rencontres d’histoire. Comment est né le projet, et a-t-il évolué ?
FLORIAN MAZEL – À l’origine, le projet répond à une demande explicite de l’ancien maire de Rennes, Edmond Hervé, qui souhaitait que les historiens de Rennes 2 participent à une médiation du savoir dans la ville. Le projet existe depuis une dizaine d’années. Jusque là, c’était un cycle de quatre conférences annuelles, le samedi après-midi. Depuis 2015, l’événement s’étend pour devenir un forum d’Histoire du vendredi au dimanche autour d’une thématique privilégiée, et combinant des temps de plus en plus différents. Cette année, l’événement s’étale encore car il est associé au cinquantenaire de l’Université Rennes 2. Les Rencontres débutent par deux soirées au Tambour, sur le campus de Villejean. Une conférence introductive par Hélène Noizet et Cédric Fériel le mardi, et des projections de films le mercredi soir avec le Ciné-Tambour.
Mercredi 20 mars, 18h, Tambour : Ten d’Abbas Kiarostami (Iran / 2002 / DCP / 1h34).
Mercredi 20 mars, 20h30, Tambour : Collateral de Michael Mann (USA / 2004 / 35mm / 2h).
UNIDIVERS – Selon vous, quel intérêt présente la collaboration entre les institutions culturelles d’une ville et son université ?
FLORIAN MAZEL – C’est une collaboration très fructueuse. Elle nous permet de faire connaitre nos travaux de recherche et d’enseignement en dehors du campus, mais tout de même localement, et de porter cette diffusion de façon collective puisque l’idée est de faire intervenir l’ensemble du département d’Histoire au fil des années et qu’il y ait une forme d’investissement local des professeurs. Du côté des Champs libres, c’est intéressant de ne pas travailler uniquement avec des célébrités nationales, mais d’inclure les compétences locales pour diversifier l’offre culturelle. Il y a aussi l’enjeu de collaborations scientifiques et culturelles qui peuvent se nouer, des liens avec le musée, des contrats doctoraux associant les Champs libres et l’université.
L’enjeu majeur c’est la diffusion du savoir et de la recherche en train de se faire, pour que les activités de recherches ne restent pas cantonnées au laboratoire ou à l’amphithéâtre.
UNIDIVERS – Cette année, le thème de la ville s’inscrit dans le cadre d’Explorations urbaines, le fil conducteur de la programmation de la saison 2018-2019 des Champs libres. Mais en quoi la ville est-elle un objet d’histoire intéressant ?
FLORIAN MAZEL – L’histoire urbaine est un champ de l’histoire extrêmement développé depuis longtemps. Le programme et riche, mais au-delà de la conférence inaugurale qui a un spectre très large, c’est avant tout une succession de focale sur des points particuliers. Pour les Champs libres, deux enjeux étaient à privilégier . D’une part, l’histoire locale, et d’autre part, l’articulation entre l’histoire et l’archéologie, puisque un des ressorts de l’exposition Rennes, les vies d’une ville est la place de l’archéologie au regard des nombreux chantiers qu’il y a eu à Rennes récemment. Il y avait là une conjonction entre l’actualité urbanistique à Rennes et l’évolution de la recherche en histoire ancienne, puisque l’histoire urbaine telle qu’on la pratique depuis vingt ans est révolutionnée par l’archéologie.
à l’échelle du temps, la population des villes n’est majoritaire que depuis peu. Mais, d’un point de vue historique, le phénomène urbain a toujours tenu une place centrale dans les sociétés urbaines
UNIDIVERS – Comment expliquer cette forme de paradoxe énoncée dans la présentation de l’événement ?
FLORIAN MAZEL – On observe une dé-corrélation entre le poids démographique et l’importance politique et culturelle des villes. Il y a une spécificité très ancienne des sociétés urbaines. La ville a un poids démographique très variable au cours du temps et elle ne devient un phénomène démographique dominant qu’au XXe siècle, ce qui est récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité. En revanche elle a toujours été un centre de pouvoir politique et religieux, et d’activités économiques spécifiques (avant même l’industrialisation il y a des activités proto-industrielles qu’on ne trouve qu’en ville). Par conséquent on y trouve des profils sociaux très différenciés des campagnes, et ce même si une des grandes données structurelles de l’histoire urbaine jusqu’au XIXe siècle est que la séparation entre ville et campagne est moins forte qu’aujourd’hui. Y compris sur le plan paysager, où on a des formes d’imbrication de paysages urbains et de paysages ruraux qui sont très fortes jusqu’au XIXe siècle. Les villes de l’antiquité, du Moyen-Age ou de l’époque moderne évoluent de manière plus conjointe avec les campagnes qu’aujourd’hui, où on a l’impression qu’il y a des tensions fortes ou des évolutions contradictoires entre société urbaine et société rurale. Le paradoxe tient surtout au fait que la démographie ne commande pas nécessairement le politique, le social et l’économique autant qu’on voudrait le croire.
UNIDIVERS – La ville aurait polarisé le sens de l’Histoire ?
FLORIAN MAZEL – À certains moments, le phénomène urbain a joué un rôle décisif. Par exemple, ce qui retiendra notre attention le vendredi est la phase de constitution de la cité antique comme modèle politique, forme paysagère et type de société en Grèce et à Rome. C’est un moment où toute la société antique, même si elle est très minoritairement urbaine, est définie par la ville, qui devient le modèle d’intégration sociale, politique et économique.
Au cours du Moyen-Age c’est très différencié. À partir du XIIe-XIIIe siècle, la ville reprend un ascendant fort, notamment pour des raisons politiques, avec la question des capitales, mais aussi pour des raisons culturelles, avec la naissance des universités, phénomène majeur. Il y aura encore un autre moment urbain avec l’industrialisation, depuis le XIXe siècle, qui donne l’impression que l’histoire générale est dominée par le fait urbain.
UNIDIVERS – La ville peut-elle être vue comme un miroir de l’histoire humaine ?
FLORIAN MAZEL – Ce sera justement l’enjeu de la conférence introductive pendant laquelle les intervenants montreront qu’aujourd’hui, le phénomène urbain a tendance à englober le monde et que, par conséquent, ce qui définit l’humanité c’est de plus en plus son urbanité. Tout un courant de pensée promeut l’expression anthropocène pour définir le moment où l’impact de l’homme sur l’environnement devient désormais déterminant et il est clair que le phénomène urbain joue dans cette évolution un rôle décisif. On pourrait presque parler d’urbanocène, car si l’homme pèse à ce point sur la nature, c’est parce qu’il est devenu urbain dans des proportions que l’humanité n’avait jamais connues. À ce titre le phénomène urbain incarne une évolution énorme de nos sociétés. Le développement scientifique et industriel au XIXe siècle s’accompagne et est complètement coïncidant avec l’urbanisation.
UNIDIVERS – On parle beaucoup en ce moment d’un divorce entre villes et campagnes…
FLORIAN MAZEL – À partir du moment où le monde semble entièrement dominé par le fait urbain, il y a, de facto, pour tous ceux qui n’en font pas partie, indépendamment même des politiques menées qu’on peut reprocher aux uns ou aux autres, un sentiment de marginalisation. On n’est pas au cœur du système. Parallèlement, cette hégémonie urbaine nourrit certains phénomènes étonnants, qu’au moyen-âge on appelait des retraits du monde, et qui aujourd’hui sont des retraits de la ville, des projets utopiques comme les ZAD (zone à défendre). On est là dans une marginalisation qu’on revendique.
UNIDIVERS – Le samedi, vous animerez une rencontre sur la ville et l’université. Que peut-on dire de l’université rennaise sur un plan historique ?
FLORIAN MAZEL – À la fin du XVe siècle, lorsque la principauté ducale de Bretagne se développe, elle fonde une université à Nantes, où est sa capitale. À Rennes, l’université est récente. Elle a bénéficié de l’implantation par la monarchie du Parlement de Bretagne à Rennes, car il y a une forte relation entre l’institution judiciaire et l’institution universitaire qui est d’abord liée au droit avant de se diversifier au XIXe siècle vers les lettres et les sciences. De plus, au début du XVIIIe siècle, les élites nantaises se désintéressent de l’université, ce qui encourage les juristes à quitter Nantes pour s’installer à Rennes. Ici en revanche, les élites locales municipales ont joué très tôt la carte de l’université. Ce sont les municipalités successives qui sont à l’origine de la plupart des sites d’implantation et des locaux de l’université rennaise, que ce soient les anciens bâtiments dispersés dans le centre ville ou les nouveaux campus de Beaulieu et Villejean plus récemment. Il y a là une conjonction entre l’État, la ville et l’université tout à fait exceptionnelle, tandis qu’il a fallu attendre les années 1960 pour que réapparaisse une université à Nantes. Aujourd’hui à Rennes, la dispersion des sites fait qu’il y a un polycentrisme universitaire. La ville et l’université s’entremêlent complètement et de plus en plus.
UNIDIVERS – Quelles autres entrées seront empruntées pour explorer le thème de la ville ?
FLORIAN MAZEL – À chaque fois, il y a deux objectifs. D’abord, on veut couvrir tout le champ chronologique, parce que les institutions culturelles ont spontanément tendance à privilégier le contemporain, l’actualité sociale et culturelle immédiate, alors que du côté de l’histoire, on cherche plutôt à réintroduire les questions contemporaines dans une durée longue. Dans le programme, on part de la Grèce jusqu’à l’ultra contemporain. Dans la conférence d’ouverture sont réunis une médiéviste et un contemporanéiste pour jouer sur ce grand écart. Le deuxième enjeu est la diversité thématique, l’histoire sociale avec la conférence de Dominique Kalifa sur les bas-fonds, la question de la forme urbaine avec l’histoire des cartes et des plans de Rennes mais aussi l’urbanisme antique, et les aspects culturels, les plaisirs à Rome, les lieux de spectacles, la question de l’embellissement urbain avec une conférence sur les mosaïques du Rennais Isidore Odorico.
UNIDIVERS – Le programme comporte aussi des projections de films et de documentaires…
FLORIAN MAZEL – Pour nous, le défi est de mettre en relation un espace su ou appris, une sorte de savoir sur la ville porté par l’historien et l’archéologue, avec le ressenti, le vécu qu’on peut tous éprouver en déambulant dans les villes, leur appréhension par les populations et les artistes. Que ce soit le regard des cinéastes dans les films projetés au Tambour le mercredi soir ou bien les documentaires projetés le dimanche, qui sont centrés sur Rennes et l’expérience des nouveaux quartiers.
Dimanche 24 mars, 14h30, Regards sur la ville. Documentaristes, vidéastes, photographes, Jennifer Aujame et Candice Hazouard portent des regards complémentaires sur deux quartiers de la ville, Cleunay et Bourg-l’Évêque.
Dimanche 24 mars, 16h, Les Rumeurs de Babel, de Brigitte Chevet. Pendant trois mois, l’écrivain Yvon Le Men a partagé la vie des habitants de Maurepas. Dans ses pas, le film porte un regard sensible sur cette quête poétique dans l’univers des HLM de Rennes.
UNIDIVERS – La ville de Rennes revient régulièrement dans les sujets abordés. Est-elle un cas exemplaire ou, au contraire, particulier de la notion de ville ?
FLORIAN MAZEL – Sa place dans le programme est liée au fait qu’il y a un enjeu pour nous à s’adresser et à intéresser de manière privilégiée le public rennais, de lui parler de sa ville, de ses lieux de vie. Cela a de l’intérêt et de la valeur en soi et pour soi. Mais il faut aussi replacer la trajectoire urbaine de Rennes dans des dynamiques urbaines générales dans lesquelles sa singularité apparaît.
Toutes les villes ont des histoires singulières, c’est que qui fait que l’histoire urbaine est compliquée. Souvent, il faut concilier des trajectoires extrêmement variées. On peut considérer que Rennes entre dans une certaine catégorie de ville qui sont très anciennes par leur site mais très récentes par leur promotion urbaine. Rennes devient une vraie ville au second XXe siècle, récemment donc. Nantes est déjà une vraie ville à l’époque moderne. À la fin du moyen-âge, Rennes est un centre de pouvoir religieux et politique, puis devient un centre judiciaire à l’époque moderne. Mais la Bretagne et le Grand Ouest sont des régions rurales, les villes sont des exceptions. À ce titre, Rennes a un profil singulier davantage que représentatif, par rapport aux autres exemples qu’on évoquera lors des rencontres. C’est une ville qui s’est énormément développée à l’époque contemporaine et qui continue de se développer de manière extrêmement dynamique.
UNIDIVERS – Comment l’Histoire peut-elle éclairer les politiques urbaines actuelles ? Celles de Rennes par exemple ?
FLORIAN MAZEL – Il y a énormément d’archives et de recherches sur le sujet. Le problème majeur auquel elles sont confrontées est l’interaction avec le politique. C’est une séquence historique où des logiques nationales et régionales très fortes se sont imposées. Concrètement, l’essor urbain de Rennes est directement lié à l’exode rural et à l’effondrement du monde agricole, très puissant dans la région jusqu’aux années 1950-1960. Par rapport à ça, les élites locales et municipales ont souvent été obligées de gérer un afflux de populations nouvelles et jeunes. C’est très net pour l’université où il faut faire face très rapidement à une hausse démographique. D’un point de vue plus personnel, ce qui me frappe à Rennes est la maîtrise du développement urbain, notamment par rapport à certaines villes du Sud qui peuvent avoir des profils proches de Rennes, comme Aix-en Provence. À Rennes, on a l’impression que le développement urbanistique est mieux pensé, organisé, régulé et que cela limite les effets d’une démographie galopante.
UNIDIVERS – Merci à vous, Florian Mazel.
L’ensemble du programme est disponible sur le site des Champs libres, cliquez pour y accéder.
▬▬▬▬▬▬▬▬ INFOS PRATIQUES ▬▬▬▬▬▬▬▬
➭ Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles
📍 19 & 20 mars au Tambour / Université Rennes 2
2, place Recteur Henri le Moal – 35000 RENNES
Métro : Villejean Université
Bus : arrêt Université
📍 du 22 au 24 mars aux Champs Libres
10 cours des Alliés – 35000 Rennes
Métro : station Charles de Gaulle
Vélo STAR : station Champs Libres
Bus lignes C1, C2, C3, 11, 12 : arrêt Champs Libres/Charles de Gaulle