Il n’avait sur lui que deux bouteilles d’eau en caisse. Mais dans ses poches, son manteau, et jusque dans ses manches, onze bouteilles de vodka étaient dissimulées. Valeur totale : 759 €. Un vol mal orchestré, repéré immédiatement par les caméras et le vigile du Super U de Saint-Grégoire. C’était le 24 janvier 2024, en plein hiver. Un an et demi plus tard, mardi 8 juillet 2025, le tribunal correctionnel de Rennes a jugé l’homme : un ressortissant géorgien, sans domicile fixe, déjà condamné à plusieurs reprises pour des faits similaires.
À première vue, l’affaire pourrait prêter à sourire, tant elle semble cousue de fil blanc. Mais à y regarder de plus près, elle dit quelque chose d’une misère ordinaire qui se répète dans les prétoires, semaine après semaine. Un homme sans toit, sans revenus, étranglé par l’alcool, rattrapé encore une fois par les mêmes gestes de survie ou de naufrage. La justice a tranché vite : les faits sont reconnus, les preuves irréfutables. Mais derrière la procédure expéditive se rejoue un drame social silencieux, fait de désocialisation, d’addictions, de perte de repères. Comment sortir d’un cycle de délinquance quand on n’a ni abri, ni papiers en règle, ni soutien, ni santé ?
La récidive comme engrenage
Selon plusieurs magistrats rennais, les cas de récidive chez les SDF atteints d’alcoolisme sont en nette hausse, notamment depuis la crise sanitaire de 2020 qui a aggravé les situations de marginalité. Les mesures d’hébergement d’urgence ne suffisent pas à enrayer l’errance ; et la prison devient parfois — paradoxalement — le seul lieu de répit, de chaleur, d’accès aux soins. « Ce n’est pas un choix de vie. C’est une chute sans fond », glissait une avocate en comparution immédiate, un autre jour, dans un dossier similaire.

La vodka comme fuite
Pourquoi voler de l’alcool plutôt que de la nourriture ? La réponse est toujours la même, dans les dossiers de ce type : l’addiction comme béquille psychique, l’alcool comme refuge, comme outil d’anesthésie. En 2023, le CHU de Rennes recensait une hausse de 14 % des passages aux urgences pour alcoolisation aiguë chez les sans-abri, parfois dès le matin. Et dans les centres d’hébergement d’urgence, les équipes sociales alertent régulièrement sur l’insuffisance de structures médico-sociales adaptées à ces profils très désocialisés.
Rennes face à ses invisibles
La ville de Rennes, longtemps considérée comme pionnière en matière de politiques sociales, voit elle aussi ses dispositifs saturés, ses centres d’accueil débordés, et ses maraudes de plus en plus confrontées à des situations de grande complexité. Le centre commercial Grand Quartier, où a eu lieu le vol, est devenu un point d’errance fréquent pour les personnes sans-abri du nord de la ville. La police y est régulièrement appelée pour des vols à l’étalage liés à des addictions.
Que faire de ces vies à la dérive ?
Le juge n’a pas prolongé l’audience plus de dix minutes. L’homme a été condamné — probablement à une peine de prison, partiellement ou totalement ferme. Mais la vraie peine, elle, est antérieure au vol. Elle est sociale, systémique, politique. Elle s’appelle absence de solution de soin pour les sans-abri alcooliques, droit au séjour précaire, désengagement progressif des politiques d’accueil et d’accompagnement. Et tant que ces conditions ne changent pas, les mêmes visages reviendront sur les bancs des accusés. Les bouteilles changeront, les manteaux aussi. Mais la misère, elle, reste bien visible sous le tissu.
