Frida Kahlo et Diego Rivera étaient faits pour s’aimer et se détester. Dans son roman haut en couleur Rien n’est noir Claire Berest décrit l’histoire d’une passion dévorante, destructrice. Et créatrice.
À force de vouloir m’abriter en toi, j’ai perdu de vue que c’était toi, l’orage. Que c’est de toi que j’aurais dû vouloir m’abriter. Mais qui a envie de vivre abrité des orages? Et tout ça n’est pas triste, mi amor, parce que rien n’est noir, absolument rien.
C’est « un homme quintal », une montagne de chair. Un monstre agile en mouvement.
C’est un petite femme légère comme le vent.
Il a quarante ans.
Elle en a vingt.
Il est le plus grand peintre mexicain.
Elle n’a jamais touché un pinceau.
Il regarde et séduit toutes les femmes.
Elle ne voit que lui.
Il est un « mi-pachyderme » plein de santé.
Elle est un puzzle brisé de partout et reconstitué par des dizaines d’opérations.
Il s’appelle Diego Rivera.
Elle s’appelle Frida Kahlo.
Ils vont former l’un des couples les plus explosifs de l’histoire de l’art et Claire Berest dans son roman va s’attacher, plus qu’à écrire une nouvelle biographie du couple, à décrire la fusion, mais aussi la violence d’une passion tellurique.
Comme le scalpel qui déchire perpétuellement le corps de Frida fracassé par un accident de tramway, « des mois clouée dans une sorte de sarcophage tel un insecte épinglé », le roman raconte la souffrance et la joie qui accompagnent Frida lors de sa première rencontre avec celui qui peint des fresques murales gigantesques, au divorce et au remariage. Deux événements symboles de cet aller-retour permanent entre fusion et séparation, entre fidélité et adultère.
Frida est asservie et libre. Asservie, car elle obéit aux injonctions du peintre, elle devient son tout, ne vit qu’à travers sa présence, lui qui multiplie les maîtresses et les injonctions. Libre car elle va se battre de toutes ses forces par amour, bouger son corps mutilé, goûter à tous les plaisirs. Et peindre. Il peint des scènes de trois mètres de haut. Elle peint de petits tableaux. Il veut devenir un peintre mondialement reconnu. Elle peint sans savoir pourquoi, sans but précis. Et sa peinture va devenir le reflet inconscient sa vie : tourner sur les tourments du corps et de l’esprit. Un hymne à la résistance.
Les deux peintres ont en commun le goût de l’explosion des tonalités brutes, des couleurs qui donnent leur titre aux chapitres, du bleu du ciel mexicain des débuts au rouge des États-Unis, et au jaune des déchirements. Les mots de Claire Berest sont comme des tons violents posés sur une toile. Ils vibrent d’intensité et décrivent à merveille l’emprise de la passion qui exacerbe les sens et peuvent rendre fou. Tout résonne dans l’exagération, la démesure. Comme les objets colorés que Frida collectionne et auxquels elle donne une valeur sentimentale incontrôlée, le roman nous secoue dans un partage sensuel, chaotique de vie et de mort, de désir et de répulsion. À l’image de ce tableau ” les deux Frida ” qui représente la Frida aimée par Diego avec la robe de mariée qu’elle s’était refusée à porter, et la Frida que Diego n’aime plus, armée d’une paire de ciseau prête à couper une veine de son coeur.
Rien n’est noir est écrit sur la couverture, au dessus d’un baiser fougueux et coloré.
Rien n’est noir disent les peintres. Claire Berest démontre que la couleur peut aussi être l’apanage des mots et de la littérature.
Rien n’est noir de Claire Berest. Stock. 282 pages. Parution 21 août 2019. 19,50€.