J’avais été séduit par son premier roman, Je vais m’y mettre, publié déjà aux Editions Allary (et considéré comme le roman le plus drôle de l’année 2016) et chacun sait qu’un auteur est attendu lorsqu’il propose un deuxième projet littéraire. Voilà Paris-Venise.
Eh bien, Florent Oiseau fait mouche avec Paris-venise. Sacré trublion que cet auteur qui ne cesse de visiter et revisiter notre époque, nos mœurs, nos envolées, nos espoirs, nos petits secrets. Attention quand j’écris « notre époque », tout y passe : le monde du travail, la société au quotidien, trouver sa place au sein même de sa pensée, ses relations sociales, ses ambitions amoureuses au cœur même d’un monde sauvage qui en manque souvent de cœur et d’empathie avec les siens, avec les autres…
Roman, un « bientôt » trentenaire a enchaîné les petits boulots. Oui il les a enchaînés. Sans les conserver parce que justement on vit à l’air de la précarité tout en refusant catégoriquement de s’inscrire dans les carrières de nos parents – qu’elles leur plaisent ou finissent par les miner – qui auront duré près de quarante ans. Alors on préfère changer, chercher, faire semblant de chercher ou attendre le bon plan, celui qui nous permettra de vivoter de quelques expédients sans cracher sur les petites démerdes de temps à autre quand ce n’est pas tout le temps; après tout, les petits arrangements ce n’est pas toujours si mal quand on est en accord avec sa conscience.
Roman, donc, décroche un super boulot : il entre dans la compagnie ferroviaire qui assure les trajets allers-retours Paris-Venise à bord d’un trans-européen qui fait rêver les uns les autres sur les cartes promotionnelles, qui fait fantasmer certains couples qui rêvent d’emmener leur femme, leur maîtresse, leur amant profiter de quelques jours dans la cité du palais des Doges face à l’île bucolique, mais si commerciale de Murano. Merveilleux côté jardin.
Mais le Paris-Venise, côté cour, c’est une autre histoire. Quand on traverse le miroir, au-delà du décorum un peu élimé, rien n’est plus aussi luxueux. Le train accuse son âge, le confort n’est pas nécessairement au rendez-vous, la table n’a de table que le nom quand on vous sert de la malbouffe à prix d’or, quand les personnels s’appliquent comme ils peuvent auprès des voyageurs avec les moyens qu’on leur offre pour travailler, à savoir que dalle ! Mais le plus beau des tableaux, summum du cynisme se donne à voir dans la troisième classe, au royaume des blédards (ceux-là mêmes montés du bled), là où s’entassent les migrants, les resquilleurs, les désespérés qui pensent – ô quel bonheur ! – que traverser l’Europe leur permettra de gagner l’Eldorado… En France ? En Angleterre ? En Allemagne ? Un leurre… bien évidemment.
Florent Oiseau nous emmène dans ce Paris-Venise à la découverte du vrai visage (« cachez-moi ce paysage que l’on se saurait voir ») de pays amis, la Suisse, l’Italie… Et il en ressort tout le sens de l’accueil dont nous sommes capables aujourd’hui : chacun pour soi bien trop souvent. Encore que.
Roman, notre héros anti-héros va découvrir les illusions et désillusions de cet emploi, mais aussi la solidarité qui règne entre les petits besogneux de son rang, les petites combines douteuses pour arrondir les fins de mois en profitant de gens encore plus pauvres que soi. Il va s’enticher de femmes qui le laisseront songeur, un peu désabusé quant aux relations sincères en termes d’amour. Et fera le constat qu’il n’est peut-être pas toujours une obligation de parcourir des milliers de kilomètres, de bouffer du rail nuit après nuit pour voyager et rencontrer de vraies gens. Parfois la plus belle échappée n’est qu’à un étage de son modeste appartement.
Au moment de refermer ce roman touchant, drôle autant que d’un réalisme glaçant, me revenait en tête comme une antienne les paroles de la chanson d’Aznavour, « Emmenez-moi au bout de la terre, Emmenez-moi au pays des merveilles, Il me semble que la misère, Serait moins pénible au soleil. »
Paris-Venise est un excellent roman qui se lit d’une traite, de toute façon impossible autrement, alors une seule chose à faire : entrer dans une librairie, attraper ce roman, le composter en caisse et prendre place pour une lecture à bord du Florent-Oiseau.
Paris-Venise, Florent OISEAU, Éditions Allary. 240 pages Parution : janvier 2018. Prix : 17,90 €.
Couverture : © Nigel Van Wieck – Photo Florent OISEAU – © DR