Mélanger dans un roman la vérité historique incontestable avec le fantastique c’est le pari que tente le romancier américain Christopher Moore dans son dernier ouvrage, Sacré bleu, où la communauté artistique de la butte Montmartre vers 1890 côtoie le surnaturel. Van Gogh et Toulouse-Lautrec. Réalisme et imaginaire. Faits historiques et invraisemblances. Laissez vous porter. Ou pas…
C’est Henri de Toulouse-Lautrec, le peintre de petite taille, celui du Moulin Rouge et de la Butte Montmartre qui enquête. Car Henri de Toulouse-Lautrec n’est pas seulement peintre mais il est aussi détective, enquêteur, limier, scrutateur. Enfin il est espion dans le livre de Christopher Moore, et dans son livre seulement. Vincent Van Gogh vient de mourir en juillet 1890 à Auvers sur Oise. Il s’est suicidé. C’est du moins l’opinion communément admise. Mais 
Derrière le peintre graveur, on part ainsi se promener sur la butte Montmartre en compagnie de Pissaro, Renoir qui aime tant « les gros fessiers » (féminins), Manet et son dandysme forcené, Gauguin, Whistler et tant d’autres. On déambule dans les ruelles, dans les boulangeries ou les blanchisseries. Le pavé de la butte résonne sous les mots et fait entendre le langage de Carmen la Rousse blanchisseuse modèle préféré de Toulouse-Lautrec ou la gouaille grossière et enlevée de Aristide Bruant. Avec talent, et souvent grivoiserie, l’écrivain reconstitue à merveille un univers où se mêlent ambitions artistiques, mœurs relâchés, vie 

L’enquête policière totalement déjantée n’est pas sans rappeler le film « le fabuleux destin d’Amélie Poulain », serveuse dans un café de Montmartre. Même lieu, même atmosphère parfois surréaliste, car l’écriture de Christopher Moore est pleine d’images, de portraits vus comme à travers le prisme déformant d’un objectif grand angle. On voit et imagine des trognes, des silhouettes et le savant fou Bastard n’est pas très éloigné des personnages du cinéaste Jean- Pierre Jeuney ou du déjanté « Moulin Rouge » de Baz Luhrmann. Pourtant l’intrigue iconoclaste et invraisemblable traîne parfois en longueur, l’auteur semblant vouloir à tout prix évoquer le maximum de ses connaissances et ne rien oublier des faits et des personnages essentiels de cette période : 
Le lecteur, s’il accepte d’entrer dans le jeu de l’auteur, se laissera absorber par la verve et la truculence d’un récit qui emmènera son imagination au-delà d’une réalité décrite, malgré les apparences, avec justesse et précision. Christopher Moore a transcrit la réalité sous une lumière particulière, celle du fantastique, pour mieux saisir le vrai. Il laisse ainsi le lecteur comme le spectateur d’un tableau impressionniste : sous le plaisir des sensations. Et des impressions. Bonnes ou mauvaises.
Christopher Moore Sacré Bleu, Éditions des Équateurs, 2015. Traduit par Luc Baranger. 480 p. 23,50€.
