Originaire de Redon, Samuel Auguste vient de remporter le concours blogging du magazine Courrier International pour ses photographies lors de son voyage de trois ans en Amérique du Sud. Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Uruguay… le jeune ingénieur en monétique (sécurité des transactions monétaires) a sillonné les différents pays de la région et nous a rapporté des clichés authentiques de son périple, avec une irrésistible envie de continuer à prendre et partager ses photos avec le plus grand nombre.
Vous avez décidé avec votre famille d’aller retrouver votre frère en Amérique du Sud pour les fêtes de fin d’année en 2014. Ce projet en a fait émerger un autre : quitter votre emploi et rester là-bas quelques mois, au maximum un an. Vous y êtes finalement restés trois ans et avez crée un site internet où vous publiez vos photographies : « Du Monde Dans l’Objectif ». Était-ce un rêve que vous aviez depuis longtemps ou l’idée de ce projet a-t-elle émergé pendant votre voyage ?
Samuel Auguste : La photographie était une passion que j’avais depuis longtemps mais je la pratiquais surtout pendant les week-end, les vacances. J’avais déjà des comptes de photographie sur des galeries du type Flickr. Par contre, c’est vraiment une fois là-bas, quand j’avais tout mon temps libre que je me suis dit : « pourquoi ne pas en faire quelque chose ? ». J’avais envie de faire des projets et non pas uniquement vivre et voyager au jour le jour même si c’est très enrichissant. J’ai crée ce site web pour exposer mon travail photographique, ces cultures que je voyais et que j’avais envie de partager. En voyage nous sommes confrontés à beaucoup de différences, de couleurs, de vie… je me suis dit que c’était l’occasion de faire plein de photographies. C’était le moment ou jamais. À chaque fois les personnes disent que le secteur des arts est très difficile. Pour avoir une chance infime d’en vivre il faudrait s’y consacrer à 200 %. Là, j’étais à l’autre bout du monde avec beaucoup de temps libre. Je me suis dit que ce serait trop bête de ne pas tenter quelque chose.
Vous avez photographié de nombreux paysages puis ensuite souhaité réaliser des portraits plus intimistes de la vie quotidienne des habitants des différents pays d’Amérique du Sud. N’était-il pas délicat de prendre en photo les habitants de chacun de ces pays ? Comment procédiez-vous ?
Samuel Auguste : En caricaturant un peu, on va dire que j’étais, au début, davantage sur de la « photo de vacances artistique » et je n’avais pas le projet du site en tête. L’idée du site est apparue en 2016 et il a concrètement commencé à prendre forme en 2017. Ça a aussi changé ma façon de travailler. Après je travaillais davantage par photo-reportage, sur des sujets spécifiques. L’homme, le lien social est ce qui a attiré mon attention. En voyage, nous pouvons voir de jolis paysages mais quand nous sommes seuls c’est différent. C’est comme aller à la Tour Eiffel, à l’Arc de Triomphe, c’est drôle le temps d’une journée mais pas pendant trois ans. Le lien social est vraiment ce qui fait le charme du voyage. À Paris, je pourrais aller visiter les mêmes sites mais avec des personnes différentes, l’expérience est différente et l’intérêt est renouvelé. L’intérêt était vraiment de partager avec les locaux, de voir comment ils vivent, comment ils pensent. L’appareil photo s’inscrit dans cette relation : saisir des moments du quotidien, découvrir d’autres modes de vie, capter une expression, un sourire qui peuvent dire beaucoup.
Pour prendre des photos, ce n’est pas toujours évident. Il faut avoir le moral pour oser se lancer et essuyer éventuellement un refus même si généralement les personnes sont assez partantes. Il faut oser se montrer et demander car voler une photo ce n’est pas très bien. Le mieux est lorsqu’une relation a pu être construite car la personne nous a hébergé, nous a fait à manger, nous a fait visiter sa maison, montré ses animaux… L’appareil s’inscrit naturellement au bout d’un certain temps. Quand vous restez plusieurs jours, cela ne surprend pas la personne que vous preniez des photos. Comme elle vous connaît, elle est assez naturelle sur les photos. La photo n’est pas imposée. Ce n’est pas toujours évident, il faut prendre le temps. Toutes les photos ne seront pas réussies et ne montreront pas une culture, une tradition, une spécificité d’un pays ou d’un peuple… Dans les articles comme « Gastronomie : aux tables du Paraguay », les portraits sont pris chez l’habitant, il y a une intimité et un partage.
Vous affirmez dans Les infos du pays de Redon : « C’est l’envie de partager des moments avec les personnes que je rencontrais qui a guidé mon voyage ». Combien de temps restiez-vous généralement dans une ville et ce temps vous a-t-il permis de tisser des liens d’amitiés ?
Samuel Auguste : Sur mon site, il est possible de voir mon parcours sur une carte. Sur les trois ans, j’ai fait 372 haltes nocturnes donc environ tous les trois jours. Dans la réalité, ce n’était pas aussi contrasté. Quand j’étais en bivouac dans ma tente, je restais juste une journée, une nuit. Quand j’étais chez l’habitant, je restais une nuit ou deux nuits, parfois une semaine dans les grandes villes où il y avait beaucoup de choses à faire et avec qui je m’entendais très bien. L’idée était aussi de se reposer. Les villes étaient un peu l’exception du voyage qui me permettaient de me ressourcer. J’étais avec des jeunes, des étudiants souvent qui sortaient. Il y avait des musées. Il fallait trouver à l’avance des habitants qui pouvaient m’héberger. Je passais sur des sites de couchsurfing où les locaux proposent d’héberger gratuitement des personnes qui voyagent contre un échange. Je racontais mes aventures, faisais à manger. Le plus souvent, j’étais dans la nature, dans des petits villages. En faisant de l’auto-stop, en demandant aux habitants où je pouvais mettre ma tente, des propositions arrivaient : dormir chez l’habitant, dans son jardin, au poste de police ou dans la nature… J’essayais d’aller dans une ville toutes les deux ou trois semaines. Concernant les amitiés ce n’était pas toujours évident car j’étais en voyage avec une certaine fatigue psychologique sur les trois ans du fait de devoir tout reprendre à zéro tout le temps. Il y a eu des moments partagés qui peuvent être très forts, des personnes avec qui l’échange a été plus approfondi. Il y a eu beaucoup de connaissances avec qui je continue de parler, qui sont contents de savoir où j’en suis, ce qui est très sympa. Sinon ce n’est pas évident car je suis quand même dans le mouvement. Ce sont de belles relations aussi mais j’étais plus contemplatif. J’observe ce qui se passe. Les personnes ont leur vie et elles m’accueillent de façon très amicale et simple.
Qu’est-ce que le voyage permet que d’autres expériences ne rendent pas possibles ?
Samuel Auguste : Le voyage est un accélérateur de vie, il va accélérer les expériences. Si vous êtes dans une routine que j’ai connue dans la région parisienne, il y a peu d’imprévus. Je vivais seul, je prenais ma voiture jusqu’à mon lieu de travail tous les jours en semaine. Je rencontrais les mêmes collègues tous les jours. Il y avait parfois un peu d’imprévu quand même mais la marge est assez faible. Il est possible de voir des amis le soir, le week-end et de partir en vacances mais c’est quand même dans un cadre assez figé et routinier. Quand vous êtes en voyage, vous vous exposez à l’inconnu et à l’opportunité de rencontres tous les jours. Ce que j’ai vécu en trois ans, j’ai l’impression qu’il aurait fallu attendre dix ans pour avoir les mêmes résultats peut-être. Un jour je rencontre quelqu’un qui me dit qu’il est professeur de surf, le lendemain je rencontre des paysans… Ce sont des choses que je n’aurais naturellement jamais faites, dans quinze ans peut-être par pur hasard lors de vacances en France. C’est une bonne école de la vie. J’inviterais les jeunes qui le peuvent à voyager cette façon ou même en France; s’exposer à l’imprévu, aux autres, pour vivre de nouvelles expériences.
Comment percevez-vous le métier de photographe à l’heure du numérique et des réseaux sociaux ?
Samuel Auguste : Le métier de photographe est un grand mot car pour le moment je ne l’ai pas encore professionnalisé. C’est une passion à laquelle je consacre 100 % de mon temps. Je suis sur une niche qui me plaît, la photo de voyage mais je n’ai pas de clients potentiels ou alors des clients qui ne me plaisent par pour le moment. Cela va être un voyage en Suisse pour Courrier International, un voyage au Maroc pour une agence de voyages mais de façon non rémunérée. Par contre, on m’invite et on m’offre tout, ce qui est quand même sympa. Le métier de photographe à l’heure du numérique est un vrai bouleversement, car ça permet d’être visible plus vite mais en même temps c’est un frein, car les personnes peuvent être noyées dans l’offre. Maintenant que ce soit Instagram, Twitter ou Facebook il faut payer pour avoir de la visibilité, surtout Facebook. J’ai 700 fans sur ma page Facebook mais l’audience moyenne d’une publication est de 200 ou 250 personnes. S’il n’y a pas de « like » et de commentaires, ça n’atteindra même pas les gens qui ont aimé ma page, c’est dommage. Je suis de plus en plus sceptique vis-à-vis des réseaux sociaux.
Je pense éventuellement lancer une newsletter pour atteindre mensuellement ma propre audience. Je pense que la professionnalisation du métier est très compliquée avec les banques d’images : les photos de cartes postales que vous pouvez acheter pour un euro sur les banques d’images et qui ne rémunèrent par les photographes. La première photo que j’ai vendue est une photo du président Evo Morales en Bolivie, vendue par une agence de l’AFP, rémunérée 3 euros. Je ne me dis pas que je vais vivre de ça. Je pense beaucoup plus à écrire des articles, à faire des expositions pour ma passion, trouver des sponsors, créer des projets… Je suis en train de voir pour faire une exposition sur ces trois ans de photos en sélectionnant les plus belles sur un thème, sur un voyage, sur un pays en particulier ou encore sur les portraits. Je cherche à avoir des mécènes qui pourraient payer le prix d’impression, un lieu où les photographies puissent se vendre. Je suis en train de voir avec les cinémas qui organisent la semaine du cinéma hispanique et avec l’association culturelle franco-argentine pour promouvoir l’Argentine à travers de mon travail photographique. Plus j’ai de visibilité et plus j’aurai d’opportunités et de partenariats. C’est ce qui va m’intéresser dans un premier temps.