Six femmes au foot de Luigi Carletti, du foot… autrement !

Du foot, encore du foot allez-vous dire ? Assurément, mais cette fois-ci vu du côté tribune, du côté féminin même ! Alors cela vaut peut-être la peine de découvrir ce roman original. Prenez votre place travée 11, section 15, siège 33 et regardez. Lisez plutôt. Jusqu’au coup de sifflet final.

Six personnages sont en quête d’auteur dans la pièce éponyme de Pirandello. Six femmes ont trouvé cet auteur dans le roman « Six femmes au foot ». Il s’appelle Luigi Carletti. La pièce de théâtre c’est un match de foot au stade San Siro de Milan. Et pas n’importe quel match puisqu’il s’agit du derby milanais de 2008, celui qui oppose les « rouge et noir » du Milan AC aux « bleu et noir » de l’Inter de Milan. Et le stade, la salle plutôt, est pleine à craquer : quatre-vingt mille personnes sont venues pour hurler, chanter, supporter. Parmi elles, six femmes, toutes là pour des motivations différentes. D’abord, il y a Letizia, la flic qui a monté une opération dans le stade visant à intercepter un caïd au blouson rouge. Et puis Guendalina qui veut rentrer dans le stade par des chemins détournés, avec une bande de rappeurs, porteuse d’un sac mystérieux. Annarosa, quant à elle, est une bonne bourgeoise effrayée par la foule, le peuple, si bruyant, si coloré et qui se demande comment son mariage tient encore. Lola elle, radio reporter, doit faire vivre à la brésilienne, le match par sa voix à des millions d’auditeurs pendant que son ex amant lui envoie des textos meurtriers. Renata est dans un coin du stade, mal placée, dans son fauteuil roulant, paralysée à la suite d’un accident de la circulation. Elle veut se venger. Enfin Gemma. Gemma vient de perdre son mari, Attilio, depuis six mois mais Gemma refuse ce décès. Alors elle a pris deux abonnements, occupe avec le manteau de son mari deux sièges et parle tout le long du match à son fantôme.

Six femmes au foot
Six femmes au foot

Six vies, six destins parmi quatre-vingt mille autres, procédé littéraire déjà utilisé(*) mais qui se situe cette fois-ci dans le cadre du football et de ce lieu irrationnel qu’est un stade. Cet endroit n’est pas anodin car il est le lieu parfait du brassage social, même si les places VIP sont à trois cent vingt-trois euros. Lieu du brassage des sexes aussi, du machisme où se mêlent parfois l’amour et la haine. Scène du mélange des générations également, Gemma regrettant par exemple le passé, le temps où le football était joué par des artistes et non pas par des jeunes incultes. Lieu d’abandon de ses origines sociales, de son langage châtié. C’est tout cela un stade : une véritable arène romaine (à Milan !) où les barrières du quotidien sont abolies, où chacun peut être pendant deux heures, « un autre ». Son environnement, celui des marchands à la sauvette autour de l’enceinte, de la magie de ce carré vert vu d’une hauteur vertigineuse, celui de l’excitation des supporters à l’entrée, des odeurs, du chatoiement des écharpes, est formidablement bien décrit. Les amateurs de foot retrouveront ainsi leur passion, l’excitation qui les gagne quand ils rejoignent leur place. Les autres découvriront cet univers avec ses codes, ses rites.

Dans cette enceinte, tout est donc permis et l’auteur se permet tout. Jusqu’au deuxième ou troisième degré. Comme le ballon qui va d’un camp ou d’un joueur à l’autre, on passe allègrement d’un personnage à l’autre, les destins s’entrecroisant et la vie de chacune des spectatrices progressant à des vitesses différentes, au rythme syncopé des chants de supporters et du déroulement du match qui demeure en toile de fond. Jamais pourtant, le lecteur n’est perdu, tant chaque personnage est campé, typé, si différent l’un de l’autre. Et puis brusquement le rythme de la partie s’accélère :  Lola rencontre Guendalina qui rencontre Letizia qui rencontre… Et l’auteur, à la manière des dribbles de Kaka, ou du coup franc de Gattuso, va alors multiplier les passes et les contre-pieds, pour quitter le domaine des portraits et nous entraîner dans une histoire policière aux multiples rebondissements. Lola n’est peut-être pas brésilienne. Gemma est elle vraiment cette veuve éplorée ? Pourquoi Renata déteste les noirs et en particulier ceux du Nigeria ? Et le stade de foot ne va plus devenir que les coulisses d’un terrible huis clos où tous les personnages vont finalement se croiser, se parler. Et peut-être s’entre-tuer. Tous ne sont pas sympathiques, plusieurs sont racistes par exemple, mais l’auteur démonte leur bêtise par l’ironie mordante plus que par de grands discours théoriques. On est plus proche de Jean Dujardin dans OSS 117 que des James Bond de Ian Fleming, dans un roman qui se termine auprès des services secrets italiens.

L’intérêt de cette histoire est donc double. D’abord le plaisir d’un suspense policier, non dénué d’invraisemblances et d’humour, un humour qui fait jouer un rôle majeur à Materazzi, le joueur de l’Inter à qui Zidane donna un coup de tête lors de la finale 2006. Et ensuite le bonheur de lire une très belle description de cet univers clos, un peu hors du temps et des règles sociales, qu’est un stade de foot.

Chacun trouvera dans cet ouvrage, d’une lecture facile, rapide et agréable, une manière de prolonger les émotions de la Coupe du Monde, ou une façon de s’en moquer en coulisses. Un livre à glisser dans le sac de plage, dans le sac de sport, entre chaussures à crampons et revolver… à eau.

Six femmes au foot de Luigi Carletti. Editions Liana Lévi. 18€.

 

(*) Avec le même procédé, le livre d’Anne Birkefeldt Ragde, « Je ferai de toi un homme heureux, mon fils », décrit la vie de ménagères au début des années 60 dans une cage d’escalier. À travers plusieurs portraits, il s’agit d’un prétexte pour décrire la condition féminine de cette époque en Norvège. Sans intrigue policière. Éditions 10/18.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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