Cinéma. Entretien avec Raoul Dattola au sujet de son film Solitarium

SOLITARIUM
SOLITARIUM © Post-INDEP & RAOUL DATTOLA

Dans le film Solitarium, en salle le 19 février 2025, le réalisateur rennais Raoul Dattola propose de rencontrer « un ermite reclus du monde. L’employée d’une épicerie aux rêves brisés… ces personnes solitaires aux destins croisés ont été les patients d’Arthur Morhan, un psychanalyste au bord de la crise de nerf… » L’introspection face à la solitude. Rencontre.

Raoul Dattola, cinéaste autodidacte et créateur prolifique, a trouvé sa voie à travers des projets audacieux, et son dernier film, Solitarium, ne fait pas exception. Ce projet ambitieux, né de l’expérience de sa précédente série Parias, marque un tournant dans sa carrière. À la fois un film choral et expérimental, il déploie un univers unique et explore des thématiques profondes et actuelles. Ce long-métrage d’1h57 se compose d’une série de courts-métrages entrelacés, tous liés par une réflexion commune : la solitude.

Raoul Dattola
Raoul Dattola – Photo Post-INDEP

L’idée de Solitarium a germé dans l’esprit de Raoul Dattola après la production de Parias. Cette série noire, qu’il a menée d’une main de maître tout en occupant de multiples fonctions techniques et artistiques, l’a poussé à réfléchir plus profondément à la notion de solitude. Son isolement lors de la postproduction de la série lui a donné l’envie d’explorer ce sentiment sous différentes formes. « Le postulat de base [de Solitarium], c’était d’obtenir de la création à partir du chaos », confie-t-il, les nombreuses difficultés de production ont paradoxalement nourri le projet. « Il a fallu relancer les castings, trouver les lieux de tournage, tout ça… Et comme je me suis occupé de toute la post-production, ça a pris un temps fou. »

En 2019, Dattola a commencé à assembler une série de courts-métrages autour de la solitude. Ces courts s’entrelacent pour former un long-métrage éclectique qui flirte entre le film comique-dramatique et le film choral. Solitarium parle de la solitude sous toutes ses formes : celle qui est imposée, choisie, ou ressentie intérieurement, et aborde des sujets comme l’insoumission, la quête d’identité, la cupidité et les choix de vie. Pour le réalisateur, Solitarium représente une rupture avec Parias, moins défaitiste et plus nuancé dans son approche de la réalité.

Le film se distingue par son approche de la narration, il expérimente avec l’entrelacement de cinq histoires distinctes. Cette structure originale permet une exploration de la solitude à travers des prismes variés, et chaque personnage, dans son isolement, nous confronte à une réalité plus complexe et moins tranchée.

« Je n’ai pas vraiment d’influences conscientes », précise-t-il lorsqu’il évoque les références cinématographiques qui ont guidé sa création. « C’est plutôt des influences inconscientes que je me rends compte un peu après. » Ce mélange inconscient d’influences et d’expérimentations donne à Solitarium sa dimension unique, un film où le « tragi-comique » se fond dans des tons très variés. Par exemple, nous retrouverons une scène qui rappelle celle de Buffalo Bill dans Le Silence des Agneaux, où il se maquille et danse, une influence qu’il n’a pas consciemment intégrée.

« Le but initial était de ne pas qualifier ce film, de ne pas me cantonner à un seul genre. » Cette liberté a permis au cinéaste de créer une œuvre plus personnelle, plus authentique qui, selon lui, se distingue comme un manifeste du cinéma d’auteur, loin des attentes du cinéma institutionnel.

Solitarium ne se contente pas d’être un film sur la solitude, il est aussi le fruit d’une démarche de cinéma indépendant. Réalisé en autoproduction, le film s’est construit avec un budget limité, mais une équipe passionnée et déterminée. Cette démarche lui a permis de s’affranchir des contraintes économiques et artistiques du système traditionnel : « L’autoproduction m’a permis de travailler sans pression, de suivre mon instinct, et d’aller là où je voulais sans avoir à rendre des comptes à personne. »

Les acteurs et techniciens ont majoritairement travaillé bénévolement, ce qui témoigne de la solidarité autour du projet. Parmi les talents présents, on retrouve Eddy Frogeais, Pierre Le Baleur, Marie Moriette, Maël Nouvel, Cécile Dubois, Eddy Del Pino, Gwendal Audrain, Gabriel Guillerit, Pierre Devann, Elysa Delpech, Anita Del Sol, et Diane Martin.

Pour la diffusion du film, Fanny Ranson, chargée de distribution & attachée de presse, explique : « On a toqué aux portes de chaque cinéma pour voir qui voulait bien nous accueillir. » Ce côté « fait maison » témoigne d’une volonté de se libérer des schémas traditionnels de distribution et conserve une dimension humaine et locale.

« C’est vrai qu’il n’y a pas de lien direct entre la solitude et la Bretagne, mais c’est là que je vis, et j’ai voulu faire jouer les talents locaux pour éviter l’élitisme parisien, » explique Dattola. Cette volonté de tourner en Bretagne est à la fois un ancrage personnel et un moyen d’offrir une visibilité aux talents bretons. Les lieux de tournage, entre Rennes, le Morbihan et le Finistère, plongent le spectateur dans un environnement qu’il connaît peu, mais la région, par son authenticité et son caractère brut, apporte au film une dimension émotionnelle supplémentaire. « Il y a eu des difficultés, comme le vieillissement de certains acteurs, les changements de saison et la période Covid, mais on a su jouer avec les contraintes. »

Au-delà de la simple exploration de l’isolement, Solitarium aborde aussi la notion de mal-être dans les sociétés modernes. Raoul Dattola choisit de ne pas tomber dans le misérabilisme et préfère montrer que la solitude n’est pas uniquement une souffrance, mais aussi une source de réflexion et de prise de conscience.

La manière dont les personnages, bien que vulnérables, trouvent des moments de rédemption et de compréhension, même dans les situations les plus absurdes. Dattola cite comme exemple « L’ours en peluche au départ est vue de manière assez terrifiante. Progressivement va être dédiabolisé, on se rend compte que c’est juste la projection de l’absence paternelle de l’enfant. De même, le travesti au début perçu comme ayant des intentions purement perverses, cherche en réalité un refuge dans l’appartement de la femme. Bien que son acte reste une effraction, il apparaît, à mon sens, sous un jour plus positif à la fin. »

À peine finalisé, Solitarium a déjà été sélectionné dans plusieurs festivals et a commencé à récolter des prix et des nominations, notamment au Festival International du Film de Bretagne et au Festival International du Film de Nice. Avec des prix comme « Meilleur Film Français » et « Meilleure Image » au Independentarn Festival 2024, le film semble confirmer l’originalité et la force de son propos.

Fanny Ranson, quant à elle, souligne l’accueil encourageant du public et des cinémas : « Les cinémas nous ont reprogrammé après la projection, et même si les salles n’étaient pas pleines, le retour du public a été extrêmement positif. Ce n’est pas souvent qu’un film expérimental reçoit ce genre de retour. »

Avec Solitarium, Raoul Dattola signe une œuvre audacieuse où la solitude devient bien plus qu’un simple thème central : elle se transforme en un terrain d’exploration personnelle, artistique et sociale. À travers ce projet expérimental, riche de ses influences et de ses questionnements, il invite le spectateur à une réflexion profonde sur notre place dans le monde et sur la manière dont nous vivons ensemble ou seuls.

Après Tripman Legends, qu’il considère comme un essai, Parias la thèse et Solitarium, qu’il qualifie d’antithèse, le réalilsateur s’apprête à travailler sur un projet qui incarnera la synthèse de ses explorations. Ce futur film racontera l’histoire de l’ascension d’une secte à travers les yeux de plusieurs personnages clés : le fondateur, le messie, la prophétesse, un adepte et une fanatique. Il servira aussi de métaphore sur les dynamiques de pouvoir et d’influence, qu’elles soient dans le cinéma ou dans le monde de l’entreprise

Avec son parcours original, Raoul Dattola s’impose comme un cinéaste audacieux. Il est clair qu’il faudra suivre son évolution de près.

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Crédit photo : Post-INDEP & RAOUL DATTOLA

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