La culture est confinée et les pièces de théâtre sont en suspens depuis plusieurs mois. En réponse, l’autrice, metteuse en scène et performeuse Marion Siéfert a créé _jeanne_dark_, une pièce hybride jouée sur les planches et diffusée simultanément sur Instagram. La comédienne Helena de Laurens y interprète avec brio une adolescente de seize ans en proie à une révolte intérieure. Elle est passée sur la scène du Théâtre National de Bretagne le 19 mars dernier. Un nouveau live est prévu ce soir à 20h30.
La scène est vide. Chaque surface est recouverte d’un blanc immaculé. Une silhouette se traîne avant de poser son sac à dos à terre et d’en sortir un téléphone portable et un trépied. Chaque geste semble lui peser, porteurs d’une mélancolie adolescente. Cette silhouette, c’est Jeanne, une ado de 16 ans qui vit dans la banlieue d’Orléans.
Au lycée, elle est humiliée par ses camarades qui se moquent de sa virginité. À la maison, elle est étouffée par une famille catholique stricte et omniprésente. Sa mère est surprotectrice. Jeanne est jalouse de sa petite sœur qui est populaire. À l’aumônerie, Jeanne méprise les autres jeunes. À l’église, elle essaie de se livrer à un prêtre aux questions intrusives et gênantes.
Ostracisée dans sa vie « réelle », Jeanne trouve un échappatoire dans la sphère digitale. Sa famille absente, rare moment de tranquillité, Jeanne lance une diffusion en direct sur Instagram sous le pseudo _jeanne_dark_. La projection sur deux écrans sur les côtés de la scène permet au spectateur de ne pas se sentir aliéné alors que la comédienne s’adresse à son téléphone en permanence.
Sous nos yeux, et ceux de son public Instagram, Jeanne laisse tomber les apparences de petite fille sage et coincée, et dévoile la rage qui sommeille en elle. Colère due à cet âge particulier de l’adolescence où, dans une famille suffocante, l’envie d’indépendance et les hormones en ébullition se heurtent à une éducation conservatrice.
Pendant 1h30, Jeanne dévoile sa vie et ses frustrations, la religion et la sexualité en filigrane. Si Jeanne d’Arc entendait des voix, son homonyme contemporain cherche la sienne. Derrière l’aînée sage d’une fratrie catholique se cache une adolescente en proie au mal-être. Comme de nombreux ados, elle a des problèmes d’estime de soi. Très complexée, elle se trouve moche, pas cool et voit sa virginité comme un défaut. Elle est tiraillée entre religion et fantasmes sexuels qu’elle dévoile en direct, libérée grâce à l’anonymat des réseaux sociaux.
Jeanne exorcise ses démons sur des chansons populaires. Les morceaux de Billie Eilish ou Cardi B succèdent aux tubes des années 80 diffusés lors des soirées de l’aumônerie. Jeanne profite des filtres Instagram afin de modifier son apparence. Miroir déformé et lieu d’expression, Instagram est l’échappatoire d’une ado qui se sent incomprise. La pièce blanche et vide ne fait que renforcer cette sensation d’isolement, jusqu’à ce que des lumières colorées accompagnent ses confessions et éclats.
Helena de Laurens captive ses publics pendant 1h30. En direct sur Instagram, elle revêt la casquette de cadreuse. Elle joue avec les gros plans sur son visage et l’utilisation d’une perche à selfie. Elle utilise à son avantage les commentaires de ses spectateurs virtuels. Certains jouent le jeu ou croient vraiment assister à la réalité, créant des situations cocasses.
Souvent happé par les projections, le spectateur du théâtre profite néanmoins d’une intimité partagée avec l’héroïne. Il a un point de vue sur les coulisses de sa performance et peut profiter du jeu très expressif d’Helena de Laurens.
Jouée pendant le confinement depuis une chambre d’appartement, la pièce a retrouvé les planches pour une tournée non ouverte au public. Le direct est supprimé à la fin de la représentation. Un rendez-vous à ne pas manquer.
Compte Instagram _jeanne_dark_
Conception, mise en scène et texte : Marion Siéfert
Collaboration artistique, chorégraphie et performance : Helena de Laurens
Prochaine date (en direct sur Instagram) : 31 mars 2021